Joséphine (Les Enfants punis)
Joséphine (Les Enfants punis), d’Anna Nozière.
« Cette histoire m’est arrivée il y a longtemps. Si je ne l’ai jamais racontée, c’est que personne ne m’aurait crue. Je m’en souviens très bien pourtant : j’avais sept ans, et mon père venait de me punir. » La fillette se réfugie dans le grenier où elle découvre d’autres enfants et un placard derrière lequel ils aperçoivent la mer.
Joséphine et ses amis prennent le bateau qui les mène sur une île où vivent cerf, biche, oiseaux, cheval, chèvre …. Ces animaux-là rassurent, écoutent les enfants et ne donnent pas de punition. Mais pourtant on dirait bien qu’ils ressemblent étrangement aux parents de ces petits chenapans : « Tous on observait nos parents … Ils étaient presque humains, mais encore animaux. Maladroits en vêtements de ville, ou nus, sans habits ni fourrure… Ils gesticulaient sous la lune, ils avaient tant de choses à dire ! Il y avait des rires, de la joie. » Finalement, tout ne va pas si mal puisque la gaieté et le bonheur de vivre retrouvent leurs droits dans une enfance au cours chaotique.
C’est la brillante Sarajeanne Drillaud qui incarne les malheurs de cette satanée Joséphine. De l’énergie à revendre et une envie de mordre la vie à pleines dents, elle porte des petites oreilles d’âne, peut-être dues à l’ascendance paternelle, et de longues couettes de cheveux châtains, un T-shirt et un bermuda classique, avec de petites socquettes noires. Sans oublier des genouillères car la vie n’est pas un long fleuve tranquille mais un torrent de saccades précipitées.
Toute la malice et les possibilités de facéties de l’enfance sont recelées dans ce corps joueur et têtu. La comédienne court, s’assied, danse, grimpe au mât de son bateau en toute liberté : elle donne prise entière à l’esprit d’enfance – naïveté et cruauté dans les jugements et les points de vue. L’imaginaire de la petite fille est aussi vorace qu’inépuisable, et les images et les inventions visionnaires et colorées se succèdent sans se lasser. L’actrice joue tous les rôles, Joséphine bien sûr, mais aussi son père et les autres parents, la Grande Fille, Colette, Gaëtan, les autres enfants, le cheval, le grand cerf brun, la chèvre blanche, l’âne, la cochonne rose et les autres animaux.
La parole enfantine n’a ni limite ni de barrière : les mondes oniriques se construisent et disparaissent à ses yeux à une vitesse vertigineuse. Sauts, bonds et rebonds, toute fatigue est bafouée : la petite fille part à l’assaut d’une existence pleine et juste, sans châtiments immérités. L’expérience est époustouflante, et la comédienne aguerrie danse sur la scène et s’enivre de paroles. Un moment d’enchantement provoqué par ce retour à un passé douloureux peut-être, mais attachant, qu’on croyait oublié. Nous sommes tous un peu Joséphine.
Véronique Hotte
Théâtre tout public dès 6 ans. Odyssées en Yvelines, Biennale de création théâtrale. Jusqu’au 30 mars 2014. T : 01 30 80 86 77
Éditions Heyoka Jeunesse, Actes Sud-Papiers