My Brazza
My Brazza de Ronan Chéneau, mise en scène de David Bobée.
Cela se passe dans la grande salle polyvalente du lycée Évariste Galois de Sartrouville, avec des élèves installés à toutes les tables, que se donne My Brazza, – « une cartographie sensible écrite et dansée pour quelques mètres carrés ».
My Brazza, c’est avant tout l’acteur-danseur Florent Mahoukou, une élégance majestueuse et souple, à la fois sombre et lumineuse, aux cheveux hirsutes, pantalon gris, T-shirt blanc, capuche de de survêtement et sac à dos.
L’interprète – voix ferme et attentive – est un spectacle vivant à lui seul ; le public auquel il s’adresse ressemble aux habitants de Brazzaville dont il est originaire et d’où il puise tous les souvenirs de son destin tragique : « Brazzaville, dit-il, est une sorte de spectacle Les gens dans la rue aux coins des maisons Regardent ça eux aussi : ce qui passe Ils regardent je les regarde Ils sont le spectateur et le paysage »
Le professeur d’un jour enseigne la géographie de l’Afrique en faisant de son corps – tête, buste, pieds – la reproduction du continent noir. La ville résonne de son effervescence et le danseur s’anime, jouant des mouvements et des gestes mais aussi des mots mêmes qui font la vie et sa respiration, révélant l’existence d’un corps qui pense et vibre, en même temps : « Il faut bouger Ça bouge Ça fait pas mal de choses à voir Ça ne peut pas tenir dans l’œil Alors on tourne On tourne la tête sans arrêt comme ça Faire attention »
De la même façon qu’il bousculerait le marchand d’allumettes ou le vendeur d’arachides, ou éviterait une chèvre dans les rues de Brazzaville, le passant d’ici et de là-bas déplace les tables et les chaises, bouscule les élèves confortablement assis, marche entre les rangées, et imagine une autre chorégraphie de l’espace en question, dessinant d’autres lignes de passage et de fuite, en désorganisant le cadre initial.
Le danseur monte sur les tables, debout ou replié sur telle figure figée, puis redéploye son corps en majesté. Mahoukou fait l’éloge du chantier, un espace de vibration d’un monde à reconstruire : « C’est comme si tu devais refaire ta maison chaque matin, avant d’aller à l’école ou de partir bosser. »
Il invective les jeunes gens, le sourire aux lèvres, leur rappelant qu’eux aussi « débordent » en quelque sorte, et qu’ils sont naturellement un chantier en devenir, des matériaux en attente de forme et d’identité, une promesse vivante d’avenir. Faisant retour dans sa ville natale six ans après un départ précipité, l’acteur fait le récit de ses jeunes années jusqu’à l’âge de seize ans, quand des massacres affligèrent son pays : « J’ai dû grandir d’un coup C’est ce que j’ai fait J’ai couru j’ai foncé Comme si ma vie entière elle aussi avait explosé Partie loin dans tous les sens »
L’image d’une population poussée à courir, surgit : quelque chose qui explose, et la vie de chacun qui part dans tous les sens jusqu’à ce qu’on en cherche les morceaux éparpillés. Le comédien invite les spectateurs à venir l’écouter sous une table, refuge ou abri, et il raconte la violence orchestrée des bourreaux immondes sur une population désarmée.
Grâce à la danse, aux répétitions avec un ami sur les plages congolaises, grâce aussi à la rencontre avec des percussionnistes, l’artiste s’est construit authentiquement.
Il a confiance dans le futur d’un peuple qui, dans la rue, à Brazzaville, est en pleine nature encore car « les fleurs sont plus colorées que la tôle et les arbres plus verts que la poussière et les ordures qui traînent ». Le pays bouge, comme l’espoir et les mentalités de la jeunesse et de la maturité, d’un côté et de l’autre du continent africain.
Véronique Hotte
Théâtre-Danse, tout public dès 14 ans, jusqu’au 30 mars. Odyssées en Yvelines, Biennale de création théâtrale.
T : 01 30 80 86 77.
Le texte de la pièce est publié aux Éditions Les Solitaires Intempestifs.