Une Saison en enfer

Une Saison en enfer d’Arthur Rimbaud, mise en scène de Benjamin Porrée.

648847_0203300830120_web_teteLe célébrissime recueil de poèmes en prose- qui fut publié à compte d’auteur !- dont nous connaissons tous au moins quelques passages, fut écrit en juillet 1873 par un jeune homme de dix-neuf ans ! Il connaissait une grave dépression, après que Verlaine lui ait tiré dessus et qu’il ait dû revenir dans la ferme familiale.
C’est un sorte de chant personnel, à la fois grave et fantastique, où le poète, en proie au mysticisme, essaye d’exorciser sa déception sentimentale et se livre à une condamnation sans appel de la civilisation occidentale qui l’a pourtant forgé quelques années plus tôt, quand il était encore un brillant élève du collège où il raflait tous les prix. Comme une sorte de chant du cygne prématuré,  puisque le poète n’écrira plus rien après ses vingt ans et partira pour l’Afrique se livrer à toutes sortes d’aventures et de trafics et revenir mourir à Marseille à 37 ans!
« C’est, disait Verlaine, une prodigieuse autobiographie psychologique, écrite dans cette prose de diamant qui est la propriété exclusive de son auteur. Le recueil commence par ces mots fulgurants : « Jadis, si je me souviens bien, ma vie était un festin où s’ouvraient tous les cœurs, où tous les vins coulaient. Un soir, j’ai assis la Beauté sur mes genoux. – Et je l’ai trouvée amère. – Et je l’ai injuriée. Je me suis armé contre la justice.
Benjamin Porrée avait créé ce spectacle en 2006 quand il était, avec Matthieu Dessertine,  au cours Florent; depuis le metteur en scène et son acteur ont grandi ; Dessertine est passé par le Conservatoire et Porrée a mis en scène Platonov au Théâtre de Vanves, avec une belle maîtrise de la scène, et  dont a pu voir aux Ateliers Berthier en janvier dernier (voir Le Théâtre du Blog).  Et ils ont décidé de reprendre Une saison en enfer au Studio Casanova.
Matthieu Dessertine est jeune et beau; il a une présence en scène indéniable (il jouait dans le Roméo et Juliette d’Olivier Py) et possède quelque chose de fascinant et de magnétique quand il s’avance vers le public. Et il a une passion pour Rimbaud qui lui convient bien et, comme le dit Porrée, le texte mythique a quelque chose de résolument contemporain. Il suffit de relire le magnifique : J’inventai la couleur des voyelles! – A noir, E blanc, I rouge, Ô bleu, U vert. – Je réglai la forme et le mouvement de chaque consonne, et, avec des rythmes instinctifs, je me flattai d’inventer un verbe poétique accessible, un jour ou l’autre, à tous les sens. Je réservais la traduction.
Ce fut d’abord une étude. J’écrivais des silences, des nuits, je notais l’inexprimable, je fixais des vertiges ».
Reste à savoir comment mettre en scène cet ensemble de poèmes qui a influencé tant de poètes français ou non. Benjamin Porrée a choisi une mise en scène des plus sobres et une scénographie minimale avec juste,  une baignoire où Matthieu Dessertine, un moment, s’allongera nu , et à la fin, un panneau métallique qui ira vers le public.
Benjamin Porrée sait créer de belles images, cela au moins, c’est sûr mais il y a juste un petit bémol : quand on l’entend, son acteur est très bon mais… on ne l’entend pratiquement pas, même à deux mètres, ou on comprend très mal ce qu’il dit, à cause d’une diction des plus défaillantes ! Ce qui est gravissime quand il s‘agit d’un tel poème.
Alors, plusieurs hypothèses: 1) C’est le metteur en scène qui l’a dirigé ainsi, de manière à privilégier une sorte de grande proximité, voire d’intimisme avec le texte. Mais cela parait peu probable. 2) Ce n’était pas le bon jour et l’acteur était paniqué le soir de la première. Là aussi cela paraît douteux, surtout face à un public de quelque cent vingt personnes et d’autant plus qu’il sait parfaitement son texte. 3) Les spectateurs qui tendaient tous l’oreille, avaient, ce soir-là, des problèmes d’audition : là aussi, difficile d’y croire. 4) La salle a des problèmes d’acoustique ; sans qu’elle soit géniale, on y entend, et quel que soit le spectacle, généralement bien !
Le mystère reste donc entier, et c’est d’autant plus dommage pour le public qui mourrait d’envie de savourer les mots de Rimbaud; répétons-le pour qu’il n’y ait pas d’ambiguïté, Matthieu Dessertine a une vraie présence sur le plateau. Mais on a l’impression d’avoir eu affaire, pas même à un filage mais à un mauvais brouillon, et rarement, en tout cas, à une véritable représentation.
Bref, demandez au Théâtre des Quartiers d‘Ivry si le metteur en scène a cru bon de rectifier le tir, sinon, désolé de dire les choses aussi crûment, ce n’est pas la peine de vous déplacer jusque là. Arthur Rimbaud mérite beaucoup mieux que cela…

Philippe du Vignal

Théâtre des Quartiers d’Ivry, Studio Casanova. T : 01 43 90 11 11, www.theatre-quartiers-ivry.com , jusqu’au 15 février.

 

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