Savannah bay

Savannah Bay de Marguerite Duras, mise en scène de Didier Bezace

Emmanuelle Riva, à quatre-vingt-six ans, revient sur scène après des années d’absence, et après joué dans Amour (2012), un grand film de Michael Haneke. Trente ans ont passé depuis  Savannah Bay interprété par le couple mythique Madeleine Renaud-Bulle Ogier. Mais l’importance du sous-texte est toujours là, dans ce dialogue entre une actrice âgée et une jeune femme avec qui elle essaie, avec difficulté, de se ressouvenir. Au bord du grand âge, au bord de la disparition  -de la mémoire et de la vie- Emmanuelle Riva assise sur un praticable, au centre d’un sobre dispositif blanc se déplace peu. C’est la légère Anne Consigny qui bouge.

Le mouvement palpite en Emmanuelle Riva, dans le frémissement qu’elle insuffle aux mots à un rythme hésitant; ses doigts fragiles font vibrer l’espace et ses yeux sont attentifs à la moindre chose. Performance immobile et versatile. Elle danse au bord du gouffre : pendant une heure, funambule sur le texte de Marguerite Duras, elle nous tient en haleine et nous fait respirer plus vite, plus haut. Et un autre fil renforce l’émotion théâtrale, celui qui relie les deux femmes, la plus âgée et la plus jeune. Anne Consigny, à l’écoute, une écoute extrême, s’exprime par le regard, par les mains qui tiennent, retiennent ou soutiennent, devinent et devancent.

On ne sait ce qui provient du jeu, des personnages ou des actrices. Réel et fiction s’interpénètrent ici dans ce duo poétique, puissant et fragile à la fois, relié par la même grâce que celle des acrobates, et les actrices nous tiennent en haleine. Mystère du théâtre, plus fort encore que celui qui émane du texte. Acrobates de la scène, Emmanuelle Riva et Anne Consigny nous donnent une immense leçon de théâtre et nous font vivre une heure d’intense émotion.

Béatrice Picon-Vallin

Théâtre de l’Atelier, Place Charles Dullin, Paris XVIII ème jusqu’au 9 mars T. : 01 46 06 49 24.

 


Archive pour 21 février, 2014

Knock ou le triomphe de la médecine

Knock de Jules Romains, mise en scène d’Olivier Mellor.

a370a2e5adaaa7cddbb581f5270a2e9dCette comédie assez cruelle qui tourne  aussi à la farce, avait été créée en 1923 par Louis Jouvet qui jouait aussi le docteur Knock,  s’inscrit dans la vieille tradition théâtrale de la satire du monde médical et, presque cent ans après sa création, n’a  rien perdu de son acuité. Surtout quand on veut bien se souvenir des récents scandales où des médecins qui ont pourtant tous fait le serment d’Hippocrate,  ne sont pourtant pas les derniers à créer des médicaments ou des traitements miracle pour se faire des fortunes sans aucun scrupule,  sur le dos  de patients aussi naïfs que fragiles, et donc facilement manipulables. Et toutes les recettes sont bonnes: il suffit de savoir s’y prendre et de bien communiquer…
La pièce de Jules Romains est
devenu un classique dans les lycées vingt-cinq ans à peine  après sa création. Qui dit mieux?  Et elle  a connu la gloire, grâce en grande partie,  au film de Guy Lefranc (1951) avec toujours  Louis Jouvet,  mais aussi Pierre Renoir, Jean Carmet et… Louis de Funès…
La fable parait inoxydable:
ce qui se passait dans un canton français dans les années 20, se produit encore et toujours à l’ère d’Internet: tout est bon pour se soigner  de maux bien réels, voire gravissimes ou imaginaires: comme le dit le bon docteur Knock
: « Les gens bien portants sont des malades qui s’ignorent. »
Avec des séjours bidon en cliniques spécialisées, ou avec  gélules dont on ignore le plus souvent ce qu’elles contiennent: de l’or, du cuivre, de l’argent, des plantes tropicales, du magnésium, ou de la poudre de perlimpin, etc….
A
vec un bon argumentaire, la manipulation fonctionne  à merveille, surtout quand les malades et/ou leurs familles  ne veulent pas voir que la maladie est irréversible, du genre:  » Votre sœur, dites-vous, souffre de dégénérescence neuronale, bon, mais rien n’est perdu et je me fais forte de la remettre sur pied en une quinzaine de jours » avait  dit un jour, une médecin  à un proche qu’il avait rencontrée par hasard dans un avion! C’est bien connu, en matière de manipulation mentale, plus gros sont les mensonges, plus ils passent facilement…
Jules Romains a situé sa pièce dans un gros bourg  français; normalien, agrégé de philo, il connaissait pourtant bien cette société encore très rurale mais prête à s’ouvrir aux derniers progrès de la médecine, quitte à en payer le prix. Le docteur Parpalaid vient de vendre sa clientèle à un confrère, le docteur Knock qui, de façon très pragmatique, commence à faire un bilan financier en estimant les revenus potentiels de la clientèle locale. Il  s’aperçoit vite qu’il s’est fait avoir et que le cabinet à fortes ressources vanté par Parpalaid est une belle chimère.
Mais voilà, Knock a roulé sa bosse : il a servi comme médecin à bord d’un bateau dont il a soigné l’équipage entier mais sans en avoir ni  le titre ni les compétences… Il a visiblement aussi déjà tout  compris  du marketing, de la publicité et de la communication; très habilement, il instaure même une matinée de consultation gratuite, et  arrive donc vite à avoir une clientèle parmi les paysans du coin,  en commençant par recevoir tout de suite,le tambour de ville dont il fait semblant de prendre très au sérieux ses démangeaisons: « Attention. Ne confondons pas. Est-ce que ça vous gratouille ou est-ce que cela vous chatouille? – ça me gratouille. mais çà me chatouille bien un peu aussi.-Est-ce que ça ne vous gratouille pas davantage quand vous avez mangé de la tête de veau à la vinaigrette?-Je n’en mange jamais. Mais il me semble que si j’en mangeais, effectivement, ça me gratouillerait plus ». 
Célèbre dialogue,  des plus surréalistes et où Louis Jouvet excellait.
Knock sait se montrer apparemment attentif et près des gens, alors qu’il les méprise d’être aussi naïfs, mais aussi s’appuyer sur  Mousquet, le pharmacien dont il se fait vite, à coup de flatteries, un allié indispensable, et sur Bernard, l’insituteur. Le bon docteur Knock  va aussi se faire respecter d’une malade imaginaire qui veut le voir tous les jours ou presque,  ou d’un jeune garçon bien imbibé, à qui il procure la peur de sa vie, en lui montrant des cartons  illustrés d’organes: « Voici votre cœur. mais chez vous, le cœur est déjà plus abimé qu’on ne l’a représenté là-dessus ».
La mise en confiance, les offres gratuites de services qu’il faudra ensuite payer encore plus cher, la prétendue volonté de prendre les choses au sérieux, les calculs stratégiques pour attirer le client, le cynisme … Bref, des techniques de manipulation, le docteur Knock a déjà tout compris. Et cela va lui réussir au-delà de ses espérances…
En effet, au troisième acte, encore plus grinçant, le docteur Parpalaid qui a quitté la région  et s’est établi au centre de Lyon, revient voir le docteur Knock pour se faire payer.  Et il découvre, assez incrédule, la parfaite réussite du nouveau médecin  dont il s’était bien moqué, il y a seulement quelques mois, le renvoyant ainsi à son amateurisme et à son incompétence en affaires.
Knock règne effectivement en maître incontesté sur la santé des habitants de la région! Cela se passe à l’hôtel de la Clef, devenu une sorte de résidence hôtelière pour malades qui viennent, et souvent de  loin, consulter le merveilleux docteur Knock. Lequel s’offrira en prime, le cynisme et le luxe d’humilier Parpalaid quand, un peu naïf, il lui propose de lui vendre son nouveau cabinet et de revenir, à sa place, à Saint-Maurice…
Même si
elle manque singulièrement de rythme, la mise en scène d’Olivier Melior se laisse voir,  mais plutôt pour  sa direction d’acteurs qui sont bien dirigés. Stephen Szekely (Knock) est remarquable  de justesse et tout à fait crédible; cela, dès les premières minutes, et assez inquiétant à la fin; il forme  avec Rémi Pous (Parpalaid) un tandem qui réussit à s’imposer. Il  y a aussi Marie-Laure Boggio dans deux rôles opposés: d’abord en vieille dame en noir qui, dit Jules Romains, « respire l’avarice et la constipation ». Elle est tout aussi étonnante de vérité que dans le personnage de Madame Rémy, la directrice de l’hôtel de la Clef. Les autres rôles sont bien et solidement tenus pendant tout le spectacle.
On oubliera la scénographie, sauf la route sur un déroulant en fond de scène assez bien trouvé; elle se voudrait drôle mais d’inspiration lointainement surréaliste, et souvent laide, elle reste assez peu convaincante et part dans tous les sens et dans toutes les époques. Il y ainsi des projections à plusieurs reprises de visages caricaturaux et grimaçants dont sans doute celui  de Jouvet, dont ne voit pas du tout l’intérêt.
Il y a, par ailleurs, la présence fréquente d’une petite  fanfare sympathique qui accueille le public à l’entrée de la salle et qui joue bien mais dont les intermèdes  cassent le rythme du spectacle, comme cet inutile entracte juste avant le dernier acte, sans doute celui dont la mise en scène  est la mieux maîtrisée. Avec un chœur final du corps médical de la clinique du docteur Knock très réussi.
Ce n’est sans doute pas un très grand Knock mais Olivier Melior a réussi à rendre vivante cette pièce, dont le personnage principal est, comme il dit, « tutélaire et emblématique du théâtre de répertoire » à la française »…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Epée de Bois,  Cartoucherie  de Vincennes jusqu’au 22 février.

 

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