Stolypine et Tolstoi

Stolypine et Tolstoï d’Olga Mikhaïlova, mise en scène de Vladimir Mirzoev.

wpid-Photo-28-févr.-2014-1915.jpgLa pièce est inspirée par une correspondance privée entre Stolypine et Tolstoï. Dans un genre qui existe depuis quelque vingt ans à Moscou, le Théâtre Doc, socialement et politiquement engagé, emprunte des thèmes à la réalité et destinés à stimuler la conscience critique des spectateurs. Ce n’est pas une nouveauté absolue: il prolonge une tendance persistante la vie culturelle russe, comme le mouvement, dit de « littérature factuelle » dans les années vingt, ou le théâtre d’agit-prop… Mais, à la différence de ces formes qui étaient au service de l’idéologie communiste et obligatoire, le Théâtre Doc revendique son indépendance vis-à-vis du pouvoir. Pauvre, alternatif, il se joue dans de petites salles et s’adresse surtout à un public intellectuel, désireux de combattre les idées reçues. Fait remarquable: Vladimir Mirzoev, metteur en scène très reconnu et invité par les plus grandes scènes, a rejoint le Théâtre doc et donne maintenant plus la priorité dans son travail, à l’expression des idées qu’à la recherche d’innovations esthétiques, où il s’est pourtant illustré avec éclat.
Cette tournée en France de
Stolypine et Tolstoï a reçu l’aide du Ministère russe de la culture, et celle de l’Ambassade de Russie. Et grâce à l’initiative conjointe du magazine Affiche-Paris-Europe et de l’Association France-Oural qui l’a mis au programme des Journées du livre russe, organisées autour du Prix Russophonie destiné chaque année à couronner une traduction littéraire en français.
Malgré la distance historique, choisir de faire venir cette pièce était en effet pertinent: le conflit entre politique et morale représenté par Stolypine et Tolstoï, trouve encore aujourd’hui un écho en Russie, mais aussi en France et dans le monde. Même si la fonction du théâtre n’est sans doute pas de servir de tribune à des échanges d’idées contradictoires… dont nous sommes par ailleurs gavés, entre autres  par la télévision.
Les acteurs bien dirigés par Mirzoev sont excellents mais dommage! l’absence d’action dramatique et le déluge verbal de la pièce d’Olga Mikhaïlovna, trop mal construite et mal écrite, lassent vite le public. Le metteur en scène, malgré son habileté, s’est laissé submerger par cette « graphomanie », comme les a caractérisés, en privé, l’un des participants… Mais on ne saurait réduire le théâtre à sa dimension esthétique, et c’est sans doute la leçon à tirer de cette rencontre entre le public français et le Théâtre Doc qui appartient à un courant presque clandestin, échappant ainsi à la fois à la routine du répertoire, et au mercantilisme du spectacle russe d’entreprise. Expérience réussie: le théâtre peut être une distraction et un moyen d’avoir des moyens, mais il répond aussi aux besoins les plus urgents de la société civile.
On se souvient en effet du Théâtre de la Taganka vers 1970, et du rôle d’exutoire qu’il avait joué pour faire bouger les lignes d’un pays enfoncé dans la stagnation. Les acteurs, metteurs en scène, et scénographes qui continuent à faire vivre ce Théâtre Doc, méritent donc notre soutien: ils se mettent au service de la société, et perpétuent une tradition fondamentale de la culture russe qui, depuis Pouchkine, a été le seul contre-pouvoir capable d’endiguer, voire de renverser, les tendances mortifères d’un Etat autocratique qui renaît sans cesse de ses cendres…

Gérard Conio

Spectacle joué au Théâtre de l’Atalante du 12 au 14 février.

 


Archive pour 28 février, 2014

Opéra@Theatre nô

Opéra@Theatre nô, Livietta et Tracollo, intermezzo de Jean-Baptiste Pergolèse et Actéon, opéra de chasse de Marc-Antoine Charpentier, mise en scène de Shugo Ikoh.

wpid-Photo-28-févr.-2014-1227.jpgC’est une sorte de pari que s’est lancé le jeune metteur en scène japonais en réunissant sur un même plateau des chanteurs d’opéra, des acteurs de théâtre nô et de kyogen, et des musiciens  jouant d’instruments occidentaux et d’une flûte de nô.
Pour monter deux œuvres de compositeurs français baroques, comme ce célèbre intermezzo de Pergolèse, mort à 26 ans en 1710, emporté par la tuberculose, et auteur d’œuvres religieuses non moins célèbres comme son Stabat mater et des messes. Et Actéon, petit opéra de chasse en six scènes, de Marc-Antoine Charpentier, mort presque en même temps que Pergolèse en 1704 mais après avoir vécu lui … 71 ans, donc presque l’exact contemporain de Louis XIV, et auteur d’une œuvre religieuse très importante, avec entre autres, ce Te Deum, redécouvert en 1953 et devenu… l’indicatif de l’Eurovision mais aussi de musiques pour les comédies-ballets de Molière, etc…
Sur scène, pour Livietta et Tracollo, le fameux et beau plateau carré du nô, avec un poteau de bois à chaque angle, un cyprès sur le côté et le pont par lequel entrent les acteurs. En fond de scène, un rideau peint représentant dans un vert un peu trop acide, un cyprès. Côté jardin, au pied de la scène, un claveciniste, une hautboiste, une violoncelliste et deux violonistes, et des chanteurs/acteurs vont interpréter cet intermezzo, devenue ensuite une œuvre à part entière, qui raconte en à peine une heure,comment la belle et jeune Livietta a décidé de se venger d’un certain Tracollo, un jeune truand qui a volé et sérieusement tabassé son frère.
Après un entracte, lui succède Aktéon, ce petit opéra de Charpentier qui met en scène la malheureuse aventure du chasseur Actéon qui va surprendre la belle déesse Diane quand elle prend son bain. Furieuse d’avoir été vue nue par Aktéon, Diane va le transformer sans état d’âme en cerf. Et le pauvre jeune homme se fera ensuite dévorer par ses chiens.
Shugo Ikoh a imaginé qu’il pouvait effectuer une fusion entre l’opéra baroque français et le nô japonais, et aussi avec cette petite forme comique qu’est le kyogen qui s’intercalait dans les très sérieux nô, comme l’intermezzo chez nous dans l’opéra séria. Il ajoute qu’il y a d’autres affinités intimes comme le nombre restreint d’interprètes ou le personnage de femme, ivre de colère que l’on retrouve aussi dans le nô qui a toujours passionné et
fasciné les gens de théâtre français. On connaît l’admiration sans bornes de Paul Claudel pour le nô, ses comédiens et pour Zeami (1363-1443), son fondateur qui fut à la fois acteur, auteur, compositeur, et théoricien et qu’il cite dans son Journal : « Oubliez le théâtre et regardez le Nô. Oubliez le Nô et regardez l’acteur. Oubliez l’acteur et regardez l’idée (le cœur, kokorô). Oubliez l’idée et alors vous comprendrez le Nô ».
De leur côté,
les artistes japonais ont depuis une trentaine d’années ont été très sensibles à nos compositeurs baroques.
Mais comparaison n’est pas toujours raison, et le système mis en place ici ne fonctionne pas vraiment: la rigueur absolue du plateau et le système hiératique de jeu très codé du nô japonais ne font pas forcément un mariage d’amour réussi avec les formes baroques d’un opéra français.
Même si tous les interprètes sont de très haut niveau, le spectacle fait le grand écart en hiératisme et fantaisie, et souffre d’une certaine sécheresse mais aussi d’un manque d’unité scénique.Le public a en effet le regard constamment sollicité par le remarquable petit orchestre qui n’est pas dans une fosse mais juste à côté de la scène côté jardin, par l’action scénique, par les chanteurs et le surtitrage… ce qui commence à faire beaucoup!
Pour Aktéon, par exemple, les quatre chanteurs sont installés en rang, à genoux, côté cour, lisant leur partition sur de petits pupitres, comme les musiciens de nô, tandis que les acteurs, vêtus de costumes magnifiques en soie, miment l’action, accompagnés par les musiciens.
Nos amis japonais semblaient aussi déconcertés que nous par cette fusion auto-proclamée, pas très convaincante. Reste le bonheur de voir évoluer ces acteurs de nô, venus autrefois au Festival d’Automne et qui, de façon invisible, ont sans doute beaucoup influencé le théâtre occidental. Mais aussi d’entendre des chanteurs japonais chanter en français du Marc-Antoine Charpentier…. Comment alors ne pas craquer devant ces intonations d’une fraîcheur absolue.A la fin, phénomène inhabituel chez nous mais courant au Japon, les musiciens sont sortis très dignes, suivis des acteurs; le public attendait mais ils ne sont pas revenus saluer…

Philippe du Vignal

Maison de la Culture du Japon à Paris; spectacle joué les 20, 21 et 22 février.

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