Opéra@Theatre nô
Opéra@Theatre nô, Livietta et Tracollo, intermezzo de Jean-Baptiste Pergolèse et Actéon, opéra de chasse de Marc-Antoine Charpentier, mise en scène de Shugo Ikoh.
C’est une sorte de pari que s’est lancé le jeune metteur en scène japonais en réunissant sur un même plateau des chanteurs d’opéra, des acteurs de théâtre nô et de kyogen, et des musiciens jouant d’instruments occidentaux et d’une flûte de nô.
Pour monter deux œuvres de compositeurs français baroques, comme ce célèbre intermezzo de Pergolèse, mort à 26 ans en 1710, emporté par la tuberculose, et auteur d’œuvres religieuses non moins célèbres comme son Stabat mater et des messes. Et Actéon, petit opéra de chasse en six scènes, de Marc-Antoine Charpentier, mort presque en même temps que Pergolèse en 1704 mais après avoir vécu lui … 71 ans, donc presque l’exact contemporain de Louis XIV, et auteur d’une œuvre religieuse très importante, avec entre autres, ce Te Deum, redécouvert en 1953 et devenu… l’indicatif de l’Eurovision mais aussi de musiques pour les comédies-ballets de Molière, etc…
Sur scène, pour Livietta et Tracollo, le fameux et beau plateau carré du nô, avec un poteau de bois à chaque angle, un cyprès sur le côté et le pont par lequel entrent les acteurs. En fond de scène, un rideau peint représentant dans un vert un peu trop acide, un cyprès. Côté jardin, au pied de la scène, un claveciniste, une hautboiste, une violoncelliste et deux violonistes, et des chanteurs/acteurs vont interpréter cet intermezzo, devenue ensuite une œuvre à part entière, qui raconte en à peine une heure,comment la belle et jeune Livietta a décidé de se venger d’un certain Tracollo, un jeune truand qui a volé et sérieusement tabassé son frère.
Après un entracte, lui succède Aktéon, ce petit opéra de Charpentier qui met en scène la malheureuse aventure du chasseur Actéon qui va surprendre la belle déesse Diane quand elle prend son bain. Furieuse d’avoir été vue nue par Aktéon, Diane va le transformer sans état d’âme en cerf. Et le pauvre jeune homme se fera ensuite dévorer par ses chiens.
Shugo Ikoh a imaginé qu’il pouvait effectuer une fusion entre l’opéra baroque français et le nô japonais, et aussi avec cette petite forme comique qu’est le kyogen qui s’intercalait dans les très sérieux nô, comme l’intermezzo chez nous dans l’opéra séria. Il ajoute qu’il y a d’autres affinités intimes comme le nombre restreint d’interprètes ou le personnage de femme, ivre de colère que l’on retrouve aussi dans le nô qui a toujours passionné et fasciné les gens de théâtre français. On connaît l’admiration sans bornes de Paul Claudel pour le nô, ses comédiens et pour Zeami (1363-1443), son fondateur qui fut à la fois acteur, auteur, compositeur, et théoricien et qu’il cite dans son Journal : « Oubliez le théâtre et regardez le Nô. Oubliez le Nô et regardez l’acteur. Oubliez l’acteur et regardez l’idée (le cœur, kokorô). Oubliez l’idée et alors vous comprendrez le Nô ».
De leur côté, les artistes japonais ont depuis une trentaine d’années ont été très sensibles à nos compositeurs baroques.Mais comparaison n’est pas toujours raison, et le système mis en place ici ne fonctionne pas vraiment: la rigueur absolue du plateau et le système hiératique de jeu très codé du nô japonais ne font pas forcément un mariage d’amour réussi avec les formes baroques d’un opéra français.
Même si tous les interprètes sont de très haut niveau, le spectacle fait le grand écart en hiératisme et fantaisie, et souffre d’une certaine sécheresse mais aussi d’un manque d’unité scénique.Le public a en effet le regard constamment sollicité par le remarquable petit orchestre qui n’est pas dans une fosse mais juste à côté de la scène côté jardin, par l’action scénique, par les chanteurs et le surtitrage… ce qui commence à faire beaucoup!
Pour Aktéon, par exemple, les quatre chanteurs sont installés en rang, à genoux, côté cour, lisant leur partition sur de petits pupitres, comme les musiciens de nô, tandis que les acteurs, vêtus de costumes magnifiques en soie, miment l’action, accompagnés par les musiciens.
Nos amis japonais semblaient aussi déconcertés que nous par cette fusion auto-proclamée, pas très convaincante. Reste le bonheur de voir évoluer ces acteurs de nô, venus autrefois au Festival d’Automne et qui, de façon invisible, ont sans doute beaucoup influencé le théâtre occidental. Mais aussi d’entendre des chanteurs japonais chanter en français du Marc-Antoine Charpentier…. Comment alors ne pas craquer devant ces intonations d’une fraîcheur absolue.A la fin, phénomène inhabituel chez nous mais courant au Japon, les musiciens sont sortis très dignes, suivis des acteurs; le public attendait mais ils ne sont pas revenus saluer…
Philippe du Vignal
Maison de la Culture du Japon à Paris; spectacle joué les 20, 21 et 22 février.