la leçon de Ionesco
La Leçon d’Eugène Ionesco, texte additifs de Thomas Bernhard, mise en scène de Jean-Pierre Brière.
Écrite en 1950, et créée l’année suivante au Théâtre Poche-Montparnasse dans une mise en scène de Marcel Cuvelier, toujours représentée avec celle de La Cantatrice chauve au Théâtre de la Huchette à Paris record sans doute mondial… Un vieux professeur reçoit chez lui une jeune bachelière pour lui donner des cours. Mais, au fil du temps, l’élève ne comprend plus plus le maître, et il devient de plus en plus méchant envers la jeune fille, qui, épuisée, va devenir une sorte de zombie que le vieux professeur, exaspéré finit par tuer. Elle sera la 40e victime de la journée…Comme toujours chez Ionesco, l’absurde finit par tout envahir; ici, le langage avec des mots de langues étrangères mal traduits, n’arrivent plus à traduire les pensées et les sentiments, de sorte que les personnages au demeurant tout à fait ordinaires vont sombrer dans le délire. Et le Professeur ira jusqu’au meurtre…
Ionesco prend bien soin de le préciser dans ses longues et très précises didascalies : « La voix du professeur devra elle aussi devenir, de maigre et fluette , de plus en plus forte et à la fin, extrêmement puissante, éclatante, clairon sonore, tandis que la voix de l’Elève se fera presque inaudible, de très claire et bien timbrée qu’elle aura été au début du drame ». C’est donc une sorte de farce, mêlée de réflexion sur la vacuité du langage qui tournera au tragique.
Plus de soixante après sa création, la pièce malgré ses qualités, ne vaut pas, et de loin La Cantatrice chauve; elle est souvent bavarde et ce qui paraissait sans doute bien neuf, voire très burlesque à l’époque, a pris un coup de vieux, surtout quand on y mêle, comme le fait Jean-Pierre Brière, des extraits d’Evénements de Thomas Bernhardt; « Prendre au pied de la lettre, dit il, la désarticulation du langage, la dislocation du réel, avec autant de sérieux que la désarticulation du langage, la dislocation du réel, avec autant de sérieux que la désarticulation de l’action dans le burlesque déployé par les comiques américains ». Après, tout pourquoi pas? Mais là, il y a quelque chose qui ne fonctionne pas bien dans cette mise en scène.
D’abord, sur le plan scénographique: il y a une longue table grise, assez drôle, et très réussi sur le plan plastique avec deux pieds remplacés par des piles de livres mais… elle encombre le petit plateau; comme l’Elève y passe, assise dessus, de longs moment face au Professeur qui lui est assis sur une chaise), ela donne un côté très statique à la mise en scène. Les acteurs David Stevens ( le Professeur), Karine Huguenin ( La Bonne) et Marie Crouail ( L’Elève) font leur boulot; mais l’accent de l’acteur anglais qui apporte un peu de distance au début, devient vite lassant. Et tout le texte est ainsi débité sans trop de nuances parce que la direction d’acteurs est peu convaincante.
Même si c’est réglé avec précision, on ne sent pas en effet , ou si peu, la montée de la folie qui s’empare du Professeur quand il donne ses cours à l’Elève,- cela criaille beaucoup et inutilement- Et surtout l’humour décapant et le basculement de la pièce vers la folie et le meurtre ne sont pas au rendez-vous. Il aurait sans doute fallu que Jean-Pierre Brière adopte une dramaturgie, une mise en scène et une direction d’acteurs, plus simples et mieux adaptées au propos d’Eugène Ionesco. Ici, la pièce est et qui doit rester une pochade, est traitée trop sérieusement. Pourquoi en effet avoir ainsi ajouté des extraits de textes de Thomas Bernhard, ce qui ne se justifiait absolument pas? Pourquoi avoir transformé le couteau qui va tuer en marteau? Pourquoi ce « drame comique », comme l’indique le sous-titre de la pièce, n’a, ici, rien de bien comique, et pourquoi le public (à peine douze personnes, c’est à dire un fantôme de public et ceci peut en partie expliquer cela ) rit vraiment peu? La faute au metteur en scène surtout, ou un peu à Ionesco? Les deux, sans doute, mon capitaine.
L’homme Ionesco, que nous n’avons rencontré qu’une seule fois, et qu’on n’avait guère envie de rencontrer une autre fois, cachait, sous une apparente bonhommie, un profond désespoir. Mais il avait un sens du comique grinçant évident quand il écrivait ses célèbres dialogues et que l’on retrouve bien à la lecture de La Leçon. Mais, de cet absurde qui le dispute au loufoque, rien ne transparait ici, sauf à de trop rares moments, et ces soixante-dix minutes paraissent même parfois un peu longues. Dommage…
Philippe du Vignal
Théâtre Essaion 6 rue Pierre au Lard 75004 Paris (juste derrière le centre Georges Pompidou) jusqu’au 39 mars mes jeudis, vendredis, et samedis à 20 heures