La Vipère

La Vipère (The Little Foxes) de Lilian Hellman, mise en scène de Thomas Ostermeier.

 

1389613998_kleine_fuechse-0114  La dramaturge américaine Lilian Hellman a écrit The Little Foxes en 1939, adaptée ensuite  à l’écran sous le titre La Vipère par William Wyler en 1941, avec Bette Davis. Le beau personnage féminin,  pervers et inquiétant,  a fasciné nombre de comédiennes, dont Simone Signoret à Paris, et plus tard en 1981, Elizabeth Taylor.
Comme son compagnon Dashiell Hammett, la dramaturge paiera cher ses sympathies pour la gauche  et  sera inscrite  sur la liste noire de la commission McCarthy dans les années 1950; de ce fait, elle sera  bannie des studios d’Hollywood et des scènes new-yorkaises. Elle a évoqué ses engagements dans trois volumes autobiographiques,  dont l’un a inspiré Julia (1977) de Fred Zinnemann, où  Jane Fonda interprète le rôle de l’auteure.
Thomas Ostermeier
a écrit, avec son dramaturge Florian Borchmeyer, une adaptation de La Vipère, et l’a remarquablement mis en scène, avec, dans le rôle de Regina, Nina Hoss, l’héroïne de Barbara (2012), un film de Christian Petzol. Mais l’univers de la pièce n’est plus celui d’une richissime plantation de coton, mais celui  des milieux d’affaires et de la finance dans l’Allemagne contemporaine dont on parle finalement peu, si ce n’est pour évoquer l’aristocratie d’où est issue Birdie (Ursina Lardi), la femme d’Oscar (David Ruland), époux intéressé qui a fait main basse sur les terres familiales de cette héritière. Avec Barbara, la fille d’Horace et Régina, et la  femme de chambre, Birdie est la seule figure authentique  parmi ces rapaces masculins mais elle se réfugie dans l’alcoolisme pour se consoler d’une existence sans âme et sans art.
La scénographie de Jan Pappelbaum touche ici à la perfection : c’est un grand et luxueux appartement aux murs noirs, dont seuls bénéficient les magiciens de la finance internationale, grands prédateurs d’aujourd’hui et parvenus au faîte de biens rapidement acquis. U
n salon, avec fauteuils et large canapé de cuir noir, et une table basse avec verres de cristal et bonnes bouteilles,  et, en fond de plateau, une vaste salle-à-manger  fermée par des portes coulissantes… Avec, en guise de signature architecturale, un escalier à deux volées qui s’élève jusqu’aux chambres.
Addie (Jenny König), petite robe noire, tablier blanc et chignon de rigueur,  est la femme de chambre efficace et discrète de Regina, qui a invité ses  frères Oscar et  Ben (Mark Waschke) un boss  qui mène l’équipée,
lisse en apparence mais sauvage, de la fratrie complétée par Leo (Moritz Gottwald), le fils d’Oscar et de Birdie, laquelle  se moque bien des arrangements de ses mari, beau-frère et fils.
Est aussi  présente aussi Alexandra (Iris Becher), la fille de Regina et d’Horace (Thomas Bading),
absent à ce dîner; il viendra plus tard car il est soigné dans une clinique pour une grave  maladie de cœur. Marshall (Andreas Schröders), un séduisant investisseur propose aux trois frères et sœur une affaire juteuse à ne pas manquer. Mais il faudrait à Regina l’aval de son mari pour qu’il participe financièrement à ces manœuvres hasardeuses, dont les bénéfices lui permettraient de vivre une vie libre à New York, loin justement de cet Horace malade qu’elle ne supporte plus. Plus subtil qu’elle ne l’imagine, son mari  ne voit pas du tout  le projet d’un bon œil… Mais il a la crise cardiaque de trop, elle  ne lui apporte même pas le médicament qui pourrait le sauver et  et  il  meurt  très vite…  Et, à force de calculs et de prévisions, Regina parviendra cependant à ses fins, alors que tout laissait présager le contraire.
La mise en scène,  précise à l’extrême, invite le spectateur à pénétrer dans l’espace d’un film noir, entre jeux subtils de lumières et  plateau tournant où l’on voit passer de face et  de profil,  seuls ou et en groupe, tous les personnages de ce drame. Nina Hoss, comme un personnage hitchkockien,  en escarpins, robe haute couture, et chignon parfait, possède une beauté froide; elle est apparemment calme mais brûle d’un feu intérieur étouffé.
Dans un monde où nulle place n’est faite à la vérité des sentiments, les intentions personnelles, les stratégies sourdes et les réactions affectives restent  secrètes. Tout est calcul, anticipation: rien d’autre ne compte et chacun le sait qui adhère à cette école, sauf Alexandra, la fille d’Horace et de Régina qui s’enfuit de cette maison après avoir découvert son père étendu et mort;  Birdie, elle, égrène,  sans faillir, ses notes clairvoyantes sur le grand piano noir à queue ….
Un théâtre si intense que la tension dramatique atteint un bel acmé, vif et pénétrant.

 Véronique Hotte

 Théâtre Les Gémeaux à Sceaux. Jusqu’au 6 avril, du mardi au samedi à 20h45, dimanche à 17h. Tél : 01 46 61 36 67. 


Archive pour mars, 2014

Les Frères Karamazov

 Les Frères Karamazov, d’après Dostoïevski, traduction d’André Markowicz, adaptation de Sophie-Iris Aguettant, Olivier Fenoy, Cécile Maudet et Bastien Ossart, mise en scène de Cécile Maudet et Olivier Fenoy.

14.les-freres-karamazov1Dostoïevski, mort à soixante ans en 1881, avait commencé Les Frères Karamazov en 1878. Paru en 1880,  donc, à la toute fin de sa vie, ce fabuleux roman connaît vite un succès populaire et il a fasciné nombre d’auteurs et philosophes comme, entre autres Freud et Kafka, et des générations de metteurs en scène depuis Jacques Copeau qui en avait fait une adaptation déjà en 1911, avant Albert Camus en 1938…
C’est l’histoire de
Fiodor Pavlovitch Karamazov, cinquante-cinq ans, marié deux fois et père de Dimitri, Ivan et Alexeï mais aussi de Smerdiakov, dont il a fait son domestique et cuisinier… Assez vulgaire, il ne s’est pas occupé de ses enfants et sera tué par Smerdiakov.
Fils aîné issu du premier mariage, Dimitri, 28 ans, sûr de lui et orgueilleux, est alcoolique et s’offre de nombreuses femmes pour lesquelles il dépense tout son argent. En violent conflit avec son père au sujet d’un héritage dont il a été spolié, et d’une femme, Grouchenka, qu’il convoite comme son père… C’est lui d’abord qu’on sera accusera du meurtre
.
Ivan, premier fils du deuxième mariage de Fiodor, est lui, à 24 ans, très solitaire, athée et marqué par la souffrance qui existe dans le monde ,  il voue à son père une haine qui le ronge.
Influencé par Smerdiakov, Ivan finit par se croire coupable du meurtre de son père. Et il y a enfin Alexeï ou Aliocha, 20 ans, un jeune moine influencé par Zossima, le vieux patriarche du monastère qui, vénéré par les habitants, et très malade, va bientôt mourir.
Après sa mort, Aliocha que le patriarche a poussé à retrouver sa famille, doit affronter le grave conflit entre ses frères et son père. Il se sent proche de Dimitri, mais beaucoup moins d’Ivan l’athée. Et il y a enfin le fils illégitime, gentiment surnommé « Smerdiakov  « qui pue » en russe par Fiodor Pavlovitch qui l’a eu de Lizaveta, une pauvre muette. Mal vu parce que bâtard, comme on disait à l’époque et non demi-frère, triste et épileptique comme Dostoïevski, il admire Ivan, un athée comme lui. Et il finira par avouer qu c’est lui qui a tué Fiodor avec la bénédiction d’Ivan.
Grouchenka, 22 ans, elle, a été abandonnée par un officier polonais et est la maîtresse d’un homme tyrannique, et vit de la prostitution. Proche de Fiodor et de Dimitri Karamazov,  elle, l’humiliée veut se venger des hommes…
Mais elle aime Dimitri, le parricide désigné, et croit en son innocence. Quant à Katerina Ivanovna (Katia), fiancée et fidéle à Dimitri qui a effacé les dettes de son père, elle n’est pas insensible à l’amour d’Yvan. Il y a aussi de nombreux personnages secondaires qui ont tous une personnalité mais qu’il est évidemment impossible d’introduire dans une adaptation théâtrale. Et le livre VI parle surtout de la vie de Zosime, le patriarche orthodoxe.
Tout l’enjeu est donc là et ne date pas d’hier: comment faire passer l’univers d’un roman, avec nombre de descriptions,  et de   plus célébrissime comme celui-ci, sur le plateau d’un théâtre sans le dénaturer: comment aussi mettre en scène ces personnages hors normes : un criminel, une prostituée, un alcoolique amateur de femmes, un jeune moine, etc… et faire partager, non à des lecteurs, mais à un public de théâtre, les grandes idées qui ont obsédé Dostoïevki sa vie durant : la souffrance physique et/ou mentale qui accable l’humanité, la maladie qui frappe à l’aveugle, l’inconsciente complicité fondée sur la vengeance des frères Karamazov dans le meurtre de leur père qui ne s’est pas occupé d’eux enfants. Et la question de l’existence de Dieu, au centre de la pensée du grand romancier russe ; sans lui, l’homme livré à lui-même, se conduit sans interdits moraux, puisqu’il devient lui-même Dieu, dit Dostoïevski, et ce qui pose la nécessité absolue d’une force morale incontournable, face à la liberté de l’homme.
Dostoïevski condamne l’athéisme d’Ivan et le matérialisme socialiste censé satisfaire les besoins et le bien-être de l’humanité, car il entraîne en fait une insatisfaction, et pousse donc les hommes à des actes violents, à l‘alcoolisme et à l’addiction au sexe, comme Fiodor Karamazov. Seule solution pour l’auteur russe, revenir aux fondamentaux : la croyance au Christ, unique espoir de rédemption pour les hommes, le pardon et l’expiation des péchés des parents, au besoin dans la souffrance, de façon à donner un ciment et donc une indispensable unité à la société. Tous thèmes philosophiques qui forment la substance même des
Frères Karamazov.
Reste maintenant à traduire les choses dramaturgiquement et sur le plateau, sans réduire le roman à une trame socio-policière : l’entreprise n’est pas, on peut s’en douter, des plus faciles ! Le travail de compagnie de l’Arc-en-ciel est honnête : avec toutes les qualités et les restrictions attachées au terme.
Un plateau nu ou presque avec le minimum d’accessoires : le lit du père, la projection d’une icône pour suggérer le monastère, un banc pour recevoir le corps du patriarche, et de belles lumières mais souvent trop crépusculaires. Ce parti pris scénographique de dépouillement, bien conçu par Eric Baptista qui a refusé l’anecdotique, permet au public d’avoir accès plus vite et plus facilement au texte. Mais soyons francs : cette adaptation bavarde du roman ne possède aucun fil rouge, la mise en scène peu inventive, reste maladroite, et les petites scènes se succèdent sans rythme et sans véritable émotion…
Le public, pour une fois très nombreux et jeune (plus une place de libre, ce qui est plutôt rare à l’Epée de Bois !), semble apprécier au début (il y a une attention d’une très grande qualité) mais a ensuite tendance à somnoler. Et on le comprend d’autant plus que la première partie, souvent donc peu éclairée, dure presque deux heures, et la troisième heure, après une courte pause, est un petit plus nerveuse mais souffre des même défauts !
Les comédiens font un travail correct, on les entend bien, c’est déjà cela, mais, à part Bertrand Boss (le Père Zossima) et Gabriel Milchberg ( Aliocha), qui font preuve tous les deux d’une belle présence, le reste de la distribution, faute d’une direction d’acteurs plus solide, est inégale. Et à cause surtout d’une mise en scène trop timorée où il n’y a guère d’émotion, sauf justement dans les scènes entre Aliocha et le père Zossima, le spectacle manque singulièrement de conviction, et ne décolle pas.
Il aurait fallu imaginer d’abord une dramaturgie et une mise en scène capables d’insuffler un véritable souffle à cette tragédie familiale qui pose des questions essentielles à n’importe lequel d’entre nous, croyants ou non. Mais malheureusement ici , c’est loin d’être le cas, et on n’a pas rendez-vous avec quelque chose qui aurait à voir avec le sacré…
Donc, à vous de voir mais ici, on est trop loin du compte, même si, répétons-le, il s‘agit d’un travail honnête et scrupuleux qui donne, en tout cas, très envie de relire le roman…

Philippe du Vignal

Théâtre de l’Epée de Bois,  Cartoucherie de Vincennes, jusqu’au 13 avril.

 

Emilia de Claudio Tolcachir

 Emilia, texte et mise en scène de Claudio Tolcachir.

emilia de Claudio Tolcachir ©gustavopascaner10  Après Le Cas de la famille Coleman (voir Le Théâtre du Bloget El Viento en un violin, le public français découvre Emilia, quatrième pièce de Claudio Tolcachir,  créée à Timbre 4 à Buenos-Aires.
La conception originale de l’espace accroche le regard : une pièce carrée, bordée de piles de couvertures pliées avec soin, le long de murs invisibles qui cernent la surface, telle une bordure laineuse, moelleuse et feutrée, que les comédiens arpentent pour se détendre, au cours de la représentation.
Cela s’apparente à un gîte social, à un foyer-résidence pour jeunes travailleurs, ou encore au refuge modeste et incertain d’une organisation humanitaire. Avec comme connotations : une précarité de logement et des urgences à gérer.
Mais les habitants du lieu viennent juste d’emménager dans leur nouveau domicile et les couvertures accumulées et pliées représentent des cartons de déménagement qui ne sont pas encore défaits; et ils ne savent même plus où sont rangés les vêtements ni la vaisselle… Un sentiment de malaise tombe comme une chape de plomb sur le noyau familial.
Pour les besoins d’une femme âgée, Emilia qui souffre de grande pauvreté, Walter, autour duquel tournent les autres personnages, Caro, sa femme, et Léo leur fils cherchent dans les cartons,  des vêtements à donner à Emilia qui vient ainsi de rencontrer par hasard dans la rue, ce Walter qu’elle a gardé enfant, un garçon malheureux dont les parents ne s’occupaient guère et qui était reclus dans la solitude.
Emilia est la narratrice enjouée d’une l’intrigue qui va se dévoiler sous les yeux du spectateur. Une fois les scènes d’un passé récent jouées, Emilia fait, par intermittences, retour sur elle-même, quand elle était bouclée dans une cellule de prison. Un crime a en effet été commis  dans la famille,  qu’a rejoint Gabriel, le père naturel de Léo qui vient de décrocher un emploi et qui  aimerait renouer avec Caro.
Claudio Tolcachir s’appuie sur la confrontation physique et verbale des personnages
englués dans la douleur diffuse d’une misère affective et matérielle, que les comédiens aguerris transcendent. Ils incarnent des êtres d’une violence extrême dans leurs  relations quotidiennes fondées sur le non-dit. Ils se confondent d’abord en embrassades, puis se rassurent mutuellement avec des manifestations d’un prétendu amour  avant, l’instant d’après, se rejeter et s’agresser.
Walter, le malheureux enfant malmené d’autrefois, transmet
à ses proches d’aujourd’hui, la violence qu’il a subie, et l’enfant réel du présent au milieu d’adultes non matures,  devient sa victime,  comme si l’espoir d’un basculement positif dans une existence plus équilibrée,  était impossible… La violence, les rapports de pouvoir et la volonté de domination se faufilent directement d’une génération à l’autre.
La direction d’acteurs est précise et les comédiens incarnent physiquement la confusion des valeurs et des sentiments dans des relations de trop grande proximité et  devenues inhumaines à force d’excès, quand, de plus, la misère étouffe les êtres, ainsi empêchés de vivre en liberté.
Une fresque tendue  où Claudio Tolcachir  dénonce âprement des conditions de vie inacceptables.

 Véronique Hotte

MAC Créteil/Maison des Arts, les 27, 28, 29 mars. En espagnol, surtitré en français. Les Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles/Blanquefort, les 1er et 2 avril. Théâtre de Vanves, Festival Ardanthé, le 5 avril et Scène nationale 61, Alençon, les 8 et 9 avril. Théâtre Paul Éluard à Choisy-le-roi, le 11 avril. Théâtre de la Manufacture à Nancy, le 16 avril.

 

Le Faiseur de théâtre

 Le Faiseur de théâtre de Thomas Bernhard mise en scène de Julia Vidit

 

528  En pleine tournée régionale, Bruscon, un comédien d’État, par ailleurs tyran domestique envers sa femme, son fils et sa fille,  échoue dans la salle de bal du Cerf Noir à Utzbach, petite commune de de deux cent quatre-vingts habitants. Accueilli par  l’hôtelier,  sa femme et leur fille en effervescence qui  s’apprêtent à tuer le cochon et à faire les saucisses de la semaine…
Plein d’arrogance, et de mépris haineux pour cet Utzbach  aux  « vieilles gens qui n’entendent ni ne voient», l’acteur ne cesse d’entreprendre l’hôtelier, entre admonestations et injures, pour qu’il lui serve du bouillon à l’omelette et qu’il informe sans délai le capitaine des pompiers de son exigence : avoir le noir absolu à la fin de sa comédie, La Roue de l’Histoire, une pièce sur l’humanité avec César, Napoléon et Churchill…
Ressassement, répétitions, obsessions, folie, imprécations et désespoir, Bruscon dans Le Faiseur de théâtre (1984) est un personnage typique de Thomas Bernhard qui entretenait une relation de fascination-répulsion pour le théâtre et pour ceux qui le font. Il fait ici le
portrait d’un cabotin, nostalgique d’un théâtre perdu, à la fois aimé et haï : Bruscon a joué Faust à Berlin et Méphisto à Zürich. « Le monde est féroce, dit-il à sa fille, et n’épargne personne, pas un être, rien; tout est conduit au naufrage par lui. » Sa famille constitue une entreprise théâtrale et sa femme, son fils et sa  fille sont les créatures de cet homme au  pouvoir tyrannique, qui joue de sa théâtralité à outrance pour réduire ses proches à de simples serviteurs tout justes bons à porter les malles…
Il ignore son fils;  quant à sa fille et à sa femme qui tousse,   l’acteur les sollicite  mais pour mieux les renier aussitôt après. En proie à un sentiment mystique, à la mélancolie et à la solitude, Bruscon est interprété par François Clavier,  avec  un chapeau à larges bords et  un manteau qui lui tombe aux chevilles, et  avec  une canne à la main;  les didascalies de l’auteur mènent à une vision napoléonienne que souligne encore Julia Vidit.
François Clavier semble en effet  sorti  d’un tableau au pessimisme romantique de Caspar David Friedrich. C’est un comédien bourré de talent qu’on  voit  souvent au théâtre mais la folie du personnage bernhardien ne lui sied guère et une attitude zen naturelle l’empêche de basculer dans la déraison. Quant à la mise en scène approximative, elle  mélange maladroitement les genres: les hôteliers semblent sortis de la tribu des clowns du formidable théâtre russe Licedei, et ces pantins fantasques ressemblent à des marionnettes vivantes et  burlesques qui se dandinent comme sur  une piste de cirque.
Traités au premier degré par la metteuse en scène qui a pris
au pied de la lettre l’univers bernhardien,  ils semblent appartenir à un autre spectacle et, du coup, provoquent un contre-sens  quand  Bruscon prononce son discours ridicule. La dimension symbolique de l’œuvre se perd en effet , au profit d’un drame petit-bourgeois,  quand le tyran use et abuse de son pouvoir domestique, en réduisant sa fille à une souillon  et à une victime de la maltraitance parentale.

 Véronique Hotte

 Théâtre de L’Athénée à Paris, jusqu’au 12 avril, le mardi à 19h, mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 20h, matinée exceptionnelle dimanche 6 avril à 16h. T : 01 53 05 19 19

Le texte est  publié aux Éditions de L’Arche.

Le Faiseur

Le Faiseur d’Honoré de Balzac, mise en scène d’Emmanuel Demarcy-Mota.

 

Le Faiseur ®JeanLouisFernandezCe «faiseur» est un filou qui achète des marchandises sans jamais les payer, un escroc de haut vol qui intrigue dans des affaires fort peu honorables dont il tire un maximum de bénéfices. Honoré de Balzac, grand romancier devant l’Éternel mais moins connu comme dramaturge, écrit Le Faiseur (1848) créé en 1851; il meurt un an avant sa création …
Peut-être s’est-il inspiré de la comédie de Lesage,
Turcaret ou Le Financier (1709) : et Mercadet a un nom aux sonorités proches de Turcaret…  Il fait de son personnage, un franc capitaliste et un financier clairement identifiable par les temps qui courent.
C’est un seigneur moderne, un aventurier et un artiste des cotations en Bourse, un spéculateur qui tire tout de rien, jongleur de valeurs et acrobate sur le fil des truquages et mensonges.
Serge Maggiani est ce vendeur de rêves, alchimiste princier de la dette, qui loupe la marche mais qui se rattrape au dernier moment et arrive à remonter la pente. Manipulateur de la langue, c’est un inventeur de formules qui font mouche, un magicien du verbe capable de relancer le désir pour le plaisir.
Ainsi, le capital ne cesse de circuler dans des tuyaux plus ou moins fluides et  les spéculateurs jusqu’aux naïfs que l’on berne, sont tous âpres au gain, qu’ils soient manipulateurs ou manipulés. Délits d’initiés, emprunts pourris, paniques financières organisées avec baisse d’actions achetées puis revendues à la hausse… L’intrigue révèle les dérives financières de la Monarchie de Juillet, et dépeint à l’avance la société du second Empire, avec un affairisme d’État en pleine expansion.
La famille du Faiseur, imaginée par Emmanuel Demarcy-Mota est presque traditionnelle: père boursicoteur et impulsif, inventif et bâtisseur potentiel; mère, jolie bourgeoise jusqu’au bout des ongles, qui essaye de se réfugier dans un alcoolisme mondain,  jouée par la lumineuse Valérie Dashwood. «Une femme est une enseigne pour un spéculateur» disait Balzac.
La fille (Sandra Faure), peu gâtée par la nature, a trouvé un amoureux honnête à sa convenance (Jauris Casanova) mais son mariage sera une affaire comme une autre, et un marchandage.
Quant au valet, à la femme de chambre et à la cuisinière (Pascal Vuillemot, Gaëlle Guillou et Céline Carrère) qui ressemblent à des copies de leurs maîtres, ils savent leur sort lié à celui du spéculateur.  Ce sont de fieffés coquins pleins de verve et qui ont la rage d’en découdre socialement. L’intrigue développe du Molière à tous les étages :
Dom Juan, Tartuffe et L’Avare… Sganarelle réclame ses gages, l’épouse joue la comédie pour les besoins d’un mari un peu fou, et enfin, un jeune homme qu’on croyait sans le sou, se voit enfin reconnu.
La pièce, véritable critique de la politique, se passe dans un espace déstructuré, avec soubassements et cachettes, avec un parquet  qui s’élève ou descend, selon les créanciers à la poursuite des personnages, et selon l’éternelle baisse ou montée improbable des cours.
Et le jeu des étiquettes politiques est mis à nu à travers un imposteur, La Brive (Philippe Demarle), qui aimerait épouser la fille de la maison : «Je serai socialiste, dit-il cyniquement. Le mot me plaît. À toutes les époques, il y a des adjectifs qui sont les passe-partout des ambitions ! Avant 1789, on se disait économiste ; en 1805, on était libéral. Le parti de demain s’appelle social, peut-être parce qu’il est insocial : car en France, il faut toujours prendre l’envers du mot pour en trouver la vraie signification.»
Le spectacle est plein de vitalité et fort d’une direction pétillante d’acteurs qui perdent joyeusement l’équilibre, sur fond d’instabilité intime et collective. Emmanuel Demarcy-Motta a réussi le  pari d’un jeu récréatif et les comédiens chantent
Money des Pink Floyd.
Il y a ici des souvenirs de ses mises en scène (Luigi Pirandello, Eugène Ionesco), et des tableaux de groupes à la façon des chœurs antiques, qui constituent autant de vrais morceaux d’humanité…

 Véronique Hotte

 Théâtre des Abbesses, Paris, jusqu’au 12 avril. T: 01 42 74 22 77.

Tartuffe, Luc Bondy

Tartuffe de Molière, mise en scène de Luc Bondy.

 

 

tartuffe_thierry-depagne_1La pièce, est une des plus célèbres  du théâtre classique. Tartuffe ou l’Imposteur avait été représentée pour la première fois à Versailles en 1664,  et ne comportait alors que trois actes, au lieu de cinq maintenant  avec presque 2.000 alexandrins. Satire de la dévotion et des dévots présentés comme des hypocrites, voire des roublards, elle dut, à l’époque, faire l’effet d’une bombe, et fit rire le public aristocratique.
Mais Louis XIV, courageux mais pas téméraire, en interdit les représentations publiques dans le théâtre du Palais-Royal de Molière, à la demande de l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, son ancien précepteur. Et Molière la remania de façon à la rendre moins provocante. Jouée de nouveau au Théâtre du Palais-Royal, en 1669, elle connut un grand succès avec 28 représentations de suite…
En cinq actes, donc avec une construction finalement des plus classiques, pour traiter un thème explosif à l’époque. Avec, d’abord, une scène d’exposition où  madame Pernelle, mère d’Orgon, est  très en colère contre la vie que mènent la famille de son fils, qui,  veuf, s’est remarié avec la belle  Elmire. Famille recomposée avant la lettre et fréquente à l’époque où les épouses mourraient souvent en accouchant… Mais Orgon est déjà père du jeune et bouillant Damis, et de la belle Marianne, amoureuse et fiancée à Valère, ce qui ne va pas simplifier les choses.
Orgon, visiblement ébloui, fait alors part à son frère Cléante de la rencontre avec un certain Tartuffe, pas vraiment un prêtre mais un religieux- aujourd’hui ce pourrait être un membre d’une secte qu’il a accueilli chez lui. Ce qui a vite provoqué un séisme au sein de la famille; Tartuffe n’a en effet aucun scrupule à vivre à l’aise chez Orgon, qui, bizarrement, entend offrir Marianne en mariage à  cet amateur de chair fraîche…
Le second acte, conséquence directe du premier,  est celle d’un dépit amoureux entre Marianne et Valère, que Dorine, une sorte d’intendante, arrivera à calmer; très lucide, elle a, en effet,  bien vu le danger que représente ce Tartuffe, et ne se gêne pas pour dire ses quatre vérités aux deux amoureux comme à Orgon.
A l’acte III,  Tartuffe essaye de séduire la belle et distinguée  Elmire mais Damis caché, a entendu la scène, et en parle à son père qui ne le croit pas, et qui l’accuse de calomnier Tartuffe. Orgon finit même par chasser Damis de la maison, et par  le déshériter  pour en faire profiter  Tartuffe. Là aussi, cela sonne comme quelque chose de tout à fait contemporain: une dame âgée
de notre connaissance, ci-devant médecin,  avait fait don de sa magnifique maison à une secte, privant ainsi son fils unique d’héritage; ce n’était pas au 17ème siècle mais il y a vingt ans…
A l’acte IV, le frère d’Orgon, Cléante reproche à Tartuffe d’être la cause de la brouille entre Damis et son père, et lui signifie qu’il ne peut prétendre en aucun cas à l’héritage. Mais Tartuffe, très sûr de son emprise sur Orgon, reste sur ses positions : il tient à cet héritage et lui dit cyniquement qu’il n’interviendra pas en faveur de Damis…
C’est alors qu’Elmire, qui voit Marianne désespérée par la décision de son père, et comprenant que la famille est en passe d’exploser,   veut procurer à son aveugle de mari les preuves irréfutables de la trahison de son protégé, et elle lui demande de se cacher sous la table pour entendre Tartuffe qui va de nouveau essayer de la séduire. Tartuffe, échaudé par le premier refus d’Elmire,  et qui a dû en voir d’autres, se méfie mais finalement se laisse prendre au piège: il drague sans détours la belle Elmire, qui, très habile, sait bien s’y prendre et semble même prendre un certain plaisir à cette petite comédie mais sans tout de même que cela aille trop loin…
Orgon, assommé par cette révélation et incapable de réagir, met du temps à sortir de sa cachette; il explose alors  de colère contre Tartuffe, et contre lui-même, accablé de n’avoir pas eu le moindre éclair de lucidité. Il lui donne l’ordre de quitter aussitôt sa maison. Mais Tartuffe, toujours aussi cynique, lui rappelle qu’il lui a fait donation de sa maison dont il est désormais le seul propriétaire.
Et à l’acte V, on apprend que Tartuffe, sans aucun scrupule,  a demandé qu’Orgon soit arrêté comme traître au Roi, à cause de documents sur une sombre histoire politique des plus compromettantes pour lui. Et un huissier de justice vient  faire procéder à l’évacuation des lieux, puisque Tartuffe a fait valoir ses titres de propriété.
Mais, deus ex machina,  un exempt  arrive et, sur ordre du Roi, arrête aussitôt Tartuffe, coupable d’un crime commis autrefois et resté impuni. Et, en récompense des services rendus par Orgon, il lui annonce que le Roi lui pardonne cette correspondance et de plus, fait annuler l’acte de donation… Madame Pernelle commence seulement à comprendre la situation et Orgon, bouleversé et revenu à plus de lucidité, autorise le mariage entre Marianne et Cléante…
Reste à savoir comment monter la pièce aujourd’hui. Luc Bondy, pour remplacer le
Comme il vous plaira de Shakespeare, que devait monter Patrice Chéreau, malade et malheureusement décédé  en octobre 2013,  avait  décidé de faire une nouvelle mise en scène de ce Tartuffe qu’il avait montée l’an passé à l’Akademietheater de Vienne. Mais cette fois, avec des acteurs français et  en en  proposant une version, disons contemporaine,  et bien sûr, avec  le texte écrit
en alexandrins dans une langue sublime, et dont en France, tout le monde, et les comédiens en particulier, connaît des dizaines de répliques. En pratiquant quelques coupes, notamment à l’acte V, et en “inquiétant le rythme de l’alexandrin” comme dit Daniel Loyaza, et en conservant la même scénographie de Richard Peduzzzi, à quelques détails près, lors de la création à Vienne, .
Et cela fonctionne? Oui, et non! On sera reconnaissant  à Luc Bondy d’avoir donné une certaine fraîcheur de style à la pièce et une nouvelle approche, notamment dans un cadre, et avec des costumes contemporains, (même si on ne comprend pas bien que les femmes de chambre soient encore en petite robe noire et tablier blanc comme dans les années cinquante) et avec des acteurs solides comme Gilles Cohen (Orgon), Micha Lescot (Tartuffe), Clotilde Hesme (Elmire), ou Jean-Marie Frin (L’Exempt) …

photo de la représentation de Vienne

photo de la représentation de Vienne

Mais, il y a aussi malheureusement trop de choses qui font penser à de l’imagerie, voire à des clins d’œil bien faciles. Comme d’abord, cette scénographie qui reste une sorte de beau et imposant décor, très construit avec escaliers à cour et à jardin, et aux murs blancs avec de lourds rideaux sur quatre mètres de hauteur, et carrelage en damier noir et blanc qui parasite fâcheusement la vision que l’on peut avoir des personnages. (Le carrelage du Tartuffe  mis en scène par Roger Plahcon était plus discret). Bref, c’est beau mais pas vraiment efficace,  et  on a connu Richard Peduzzi mieux inspiré…
Pourquoi ce mobilier dépareillé, avec des animaux naturalisés sous globe, et des trophées de cerfs et de chevreuil, des chaises et fauteuils dépareillés un peu partout, et un prie-Dieu couvert de velours rouge. Cela tient à la fois du salon bourgeois et de la cuisine de campagne chic et choc, avec quatre tables blanches du genre Habitat, que l’on dispose différemment sans que l’on sache vraiment pourquoi, et où Dorine, au début du spectacle, prépare la farce d’un poulet. Il y a là un mélange de réalisme et de symbolisme que l’on n’arrive pas bien à appréhender…
Le début est vraiment beau: tous les personnages, encore un peu ensommeillés, viennent prendre en silence leur petit déjeuner mais ce n’est pas la joie, on le sent; Elmire, seule, est déjà habillée en belle robe en robe crème de cocktail et boa de fourrure, comme si elle était  rentrée
d’une réception au petit matin
Mais, quand on amène madame Pernelle en fauteuil roulant, la direction d’acteurs ne semble pas être tout à fait au rendez-vous, comme si Luc Bondy attendait et il le dit, « que les acteurs affirment émotionnellement ce qu’ils jouent. Moi, je pars de ce que les acteurs me proposent”. Pour arriver à quoi? Françoise Fabian débite son texte comme si cela ne l’intéressait pas  pas du tout! Ce début augure mal de la suite et  on voit alors très vite ce que signifie  « inquiéter l’alexandrin »!  Luc Bondy dit aussi qu’il “joue Molière dans sa langue avec les alexandrins, les rimes”, mais la diction de tous les acteurs, sauf peut-être de Gilles Cohen, est si médiocre qu’il faut toujours tendre l’oreille; quant aux  alexandrins, ils  n’ont pas toujours, et de loin, les six pieds requis. Et ce n’est pas du tout un problème d’acoustique: Berthier n’est pas si grand et offre presque une sorte d’intimité.
Par ailleurs, d’autres bons acteurs semblent un peu perdus comme Lorella Cravotta (Dorine) qui n’arrive pas à imposer vraiment son personnage, ou Victoire du Bois (Marianne) assez absente. Micha Lescot réussit, lui, à s’affirmer grâce à un jeu physique remarquable et compose un jeune Tartuffe, maigre, à la barbe qui lui mange le visage, en pantalon noir et pieds nus. Assez inquiétant, il ressemble à une sorte de gourou tout à fait convaincant mais, désolé, lui aussi, ne dit pas non plus très bien son texte.
Côté mise en scène, Luc Bondy, ce qu’il ne faisait jamais autrefois, semble gourmand d’effets visuels, comme s’il les considérait aussi importants que le texte pourtant explicite pour qui sait le lire: ainsi Tartuffe réussit à enlever son slip à Elmire après l’avoir coincée sur une banquette, et va l’accrocher à un trophée, comme un trophée bis! Orgon embrasse Tartuffe sur la bouche; Tartuffe et Damis se battent furieusement sur le carrelage, et Dorine prépare la farce d’un poulet, etc….
On veut bien… mais Bondy aurait pu nous épargner ces facilités qu ne sont pas dignes de lui et dont on voit mal ce qu’elle apportent. Quel curieux besoin a-t-il de surligner les choses!  On aurait préféré qu’il nous montre mieux et, dès le début, les ravages provoqués dans cette famille de bourgeois par l’arrivée d’un manipulateur hors-pair… Et là, malheureusement on ne sent pas grand-chose
En fait, on retrouve les mêmes procédés et la même volonté de faire image que dans
Les Fausses confidences récemment montée par lui à l’Odéon (voir Le Théâtre du Blog), et il y a ici cette tendance qui semble faire fureur actuellement, celle de traiter les classiques dans un style B.D.  (voir l’Hamlet de Bobée), comme pour leur administrer une cure de jouvence bien inutile, quand il s‘agit de grands textes comme celui-ci, qui possèdent une langue aussi fabuleuse. Et encore tout à fait accessible plus de trois siècles après! Désolé, Luc Bondy, cette langue fait partie de notre patrimoine à tous,  et appartient au plus petit des Français et vous considérerez sans doute comme normal qu’on vous demande de la respecter.
Au moins, à partir de la fameuse scène où Orgon est caché sous la table, et du presque viol d’Elmire par Tartuffe, les choses se resserrent, et les scènes d’ensemble, comme celle où déboule l’huissier, sont remarquablement traitées: la pièce semble alors enfin vivre. Le dernier tableau, où la famille réunie dîne – Elmire dit le Benedicite dans le soir qui tombe-  et où tous dégustent, en silence et dans la paix enfin  retrouvée, les poulets préparés au début par Dorine,  est émouvant et d’une grande beauté plastique.
Alors à voir? C’est selon… à vous de décider mais nous avons été déçus.
Luc Bondy, rendez-nous notre Luc Bondy d’autrefois… Si, au moins, on entendait bien le texte, cela serait déjà quelque chose! Donc, tout n’est peut-être pas perdu mais, pour le moment du moins, on reste quand même un peu loin du compte…

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier Paris 17ème à 20 h.

 

Le Mardi où Morty est mort

 Le Mardi où Morty est mort, de Rasmus Lindberg, mise en scène de François Rancillac, traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres.

 

Morty2©JeanLouisFernandez086-1La pièce de l’écrivain suédois est écrite pour deux hommes, deux femmes et un chien, une distribution qui se veut désinvolte et qui suscite la curiosité du spectateur amusé. Le Mardi où Morty est mort est un titre inédit : le dit Morty appartient à l’espèce canine mais l’événement fatal qui le concerne, ce fameux deuxième temps d’une semaine quotidienne,  longue des travaux et des jours, fait encore le point sur la situation existentielle de son maître et de ses rencontres à cette date indéterminée.
Cela ne débute pas sur l’image du chien et de son maître, spectacle idyllique d’une compagnie animale frétillante pour médecin solitaire, mais sur une scène qui évoque le sentiment d’une répétition vaine et invariable dans l’espace et le temps d’un passage sur terre sans éclat :«
C’est le matin…C’est le soir…»
Un couple âgé, portant ostensiblement perruque, se tient derrière un long comptoir élevé aux couleurs joyeuses, métaphore ironique du promontoire savant où l’on tient des discours métaphysiques. Le vieil homme égrène les journées qui passent et la vie qui s’en va ; son épouse, elle, tient un grand bol couleur vert printemps et s’esclaffe de la saveur agréable de son café. Lumière et noir en alternance sur le couple, comme des éclats photographiques. La vie est absurde et son sens échappe. Lui, toutefois évoque un voyage à deux à Copenhague, souvenir de bonheur resté jusqu’au bout dans la mélancolie ambiante d’aujourd’hui.
Mais il meurt soudainement; suivent les obsèques la veuve, la petite-fille et un pasteur en crise intérieure qui fait des ratés lors de sa prédication en chaire. Le public voit les fidèles de dos : des chevelures de marionnettes de carnaval brutalement installées… Les êtres ne sont que des pantins ! À partir de ces funérailles, tout va se déglinguer dans l’organisation de la vie de chacun : la grand-mère est atteinte d’un cancer fulgurant, la jeune fille, en mal de voyage et d’ailleurs, est sur le point de rompre avec son compagnon, le jeune fils du pasteur désœuvré et amoureux d’elle , en sweat, casquette, et pantalon de gym, Elle va avoir le coup de foudre pour le médecin au chien, mais l’étincelle d’amour est davantage pour elle que pour lui qui promène Morty… …
Julien Bonnet, Maxime Dubreuil, Thomas Gornet, Laëtitia Le Mesle et Valérie Vivier, associés au Fracas-Centre Dramatique National de Montluçon, s’en donnent à cœur joie et la mise en scène que signe François Rancillac, ludique, aux tons pastels et vitaminés, est absurde à souhait mais jamais chaotique. Les acteurs volubiles s’amusent dans un univers à la fois simple et extravagant : la maison, le temple, le cimetière avec ses petites croix grises d’un paysage nocturne digne d’Elseneur et les rues de la ville, jusqu’au moment où l’amant éconduit se met en colère et tire pour se venger.
La grand-mère choisit cet instant pour en finir avec la vie et s’envole sous la voûte céleste, au milieu des étoiles et non loin de la lune ; on voit la vieille dame en figurine miniaturisée, visiter les nuits pleines de lumière de la galaxie et le pasteur perdu sur la terre apparaît en ange aux ailes blanches et aux oreilles de chien.
Cette farce burlesque est un micro-conte lunaire, un bonbon acidulé…

 

Véronique Hotte

 

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes du 25 mars au 13 avril du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. T : 01 43 74 99 61

Le texte est publié aux Éditions Espace 34.

Aimer, boire et chanter

Aimer, boire et chanter d’Alain Resnais.

 

compoC’est la troisième fois qu’Alain Renais adapte une œuvre du dramaturge anglais Alan Ayckbourn au cinéma. Après Smoking/No Smoking (1993) et Cœurs (2006),  il transpose librement pour l’écran The Life of Riley, créée en 2010.
Du théâtre dans le théâtre,  au cinéma : dans la pièce d’Ayckbourn, une autre pièce se répète, qu’on ne verra jamais (on entendra juste quelques bribes de dialogues insipides).
Pas plus qu’on ne verra George Riley qui pourtant innerve toute l’intrigue. Condamné à mort par un cancer, il est l’objet des sollicitudes de ses amis, et surtout des femmes qu’il a le don de séduire. Celui qui brille par son absence est aussi le révélateur des dysfonctionnements des trois couples en jeu, déclenchant la jalousie des maris pourtant infidèles ou négligents.
L’esthétique du film est imprégnée par le théâtre. Hormis la caméra subjective qui arrimée à une joyeuse voiture fantôme (celle de George ?) explore les petites routes verdoyantes du Yorkshire, tout est artificiel. Les éléments naturels se mêlent à des toiles peintes ; les accessoires sont en trompe l’œil ; massifs de fleurs et herbes en carton côtoient de vrais végétaux. Les dessins coloriés du bédéiste Blutch situent, d’une séquence l’autre, les jardins des couples respectifs où se cantonne l’action.
Comme toujours les acteurs occupent le devant de l’écran. La caméra les scrute, les épie, leur ménage des apartés en gros plan sur un fond abstrait. Nouvelle venue, Sandrine Kiberlain côtoie les acteurs fétiches de la troupe, Sabine Azéma et André Dussolier en tête,  sans oublier Hippolyte Girardot, Michel Vuillermoz. .
Comme dans Vous n’avez encore rien vu, la mort rôde et finit par avoir raison comme le prouve l’ultime plan du film et le décès du réalisateur le 1er mars dernier. Mais, jusqu’au la fin, plus facétieux que jamais, le vieux jeune homme, dans cet hymne qu’il adresse à la vie, s’amuse à semer le trouble, à entretenir le doute, et termine par une pirouette comme pour faire un dernier pied de nez à la camarde.
Est ce lui ce personnage hors champs, comme le réalisateur derrière sa caméra? Ou bien revient-il faire un petit signe, en taupe malicieuse qui subrepticement, d’un acte à l’autre, sort épier les acteurs, et nous autres communs des mortels ? Mystère.

 

Mireille Davidovici

Sortie du film le 26 mars 2014

Don Giovanni

Don Giovanni2

Don Giovanni de Wolfgang Amadeus Mozart, livret de  Lorenzo da Ponte, mise en scène de Christophe Perton

 

Sous l’œil amusé de Mozart au clavecin, Don Giovanni, escorté de son fidèle Leporello mène une course de vitesse contre la mort. Dès lors qu’il a trucidé le Commandeur après avoir séduit sa fille (Donna Anna) et jusqu’au festin de pierre fatal, il continue, au nom de la liberté, et en toute inconscience, de séduire à tout va, poursuivi par des figures vengeresses dont il a attisé la haine par ses forfaits.
A ses trousses, Donna Elvira, Donna Anna, flanquée de son amoureux transi, Masetto le fiancé trompé de Zerlina et ses copains… Mettre en scène «l’opéra des opéras» selon Wagner avec une troupe de jeunes chanteurs constitue une gageure. Christophe Perton a relevé le défi et met à profit la jeunesse, la vivacité de ses interprètes, issus de l’Atelier Lyrique de l’Opéra de Paris, pour offrir un spectacle enlevé, sans pour autant sacrifier la musique et le chant.
La solide direction d’orchestre d’Alexandre Myrat, à la tête de l’orchestre-atelier Ostinato, assure une partition musicale de grande qualité à des voix très prometteuses, dont celles des sopranos Yun Jung Choi (Donna Anna) et Elodie Hache (Donna Elvira). Pas d’esbroufes vocales, le chant semble couler de source. On apprécie la virtuosité de Mozart dans tous les registres de son chef-d’œuvre.
La présence du clavecin sur scène est une belle trouvaille qui se justifie musicalement car l’instrument intervient en continuo pour soutenir le chant et les récitatifs, se démarquant ainsi du corps de l’orchestre. De plus, cela permet au musicien habillé façon XVlllème siècle (alors que les costumes sont pur XXème siècle) de représenter un compositeur-démiurge, qui suivrait d’un regard bienveillant et ironique les aventures de ses protagonistes.
Une distanciation qui désamorce tout tragique et tire l’œuvre vers la comédie. Petite touche nostalgique cependant, le sol d’une piscine désaffectée peint tout au long du plateau, renvoie à une certaine décadence. De part et d’autre de cet espace unique, à la fois place publique et terrain de jeu, à cour et à jardin, s’ouvrent de multiples portes, en bas et en haut : on entre, on sort, on gravit et on déboule les escaliers, on s’arrête à peine quand le chant devient répétitif ou lancinant. Il y a de la bagarre dans l’air, et de la fête, et, au bout de cette quête effrénée du plaisir, la mort elle-même semble légère.
Ce Don Giovanni séduit par sa simplicité car Perton met en valeur la musique et les voix, par la rapidité de l’action qui gomme les incohérences dramaturgiques du livret, par une liberté de ton qui laisse libre cours au jeu des chanteurs-acteurs.

 

Mireille Davidovici

 

 MC 93 – 9 Boulevard Lénine, Bobigny 93000, T. 01 41 60 72 72 du 22 au 31 mars;  wwwmc93.com et Théâtre de la Piscine, Châtenay -Malabry 92290254 Avenue de la Division Leclerc, ; T. 01 41 87 20 84,  du 24 au 26 mai, www.theatrefirmingemier-lapiscine.fr

 

Festival Ardanthé de Vanves

Festival Ardanthé de Vanves

Depuis seize ans, José Alfarroba développe avec son équipe, un travail acharné et a découvert de jeunes équipes prometteuses ; il leur prête des locaux de répétitions, et leur offre plusieurs dates pour leurs spectacles,  souvent repris à Vanves l’année suivante, et dans d’autres lieux à Paris comme la Loge, l’Odéon-Théâtre de l’Europe, bientôt le 104 ou le Théâtre des Tanneurs à Bruxelles.
Les premières saisons d’ARDANTHÉ ont été consacrées à la danse contemporaine, mais le spectre artistique s’est s’ouvert aussi aux performances, à la musique, au théâtre et au cinéma, dans différentes salles de la ville.
Du 27 janvier au 5 avril,  pas moins de 57 spectacles  dont plusieurs performances, des solos et des spectacles en devenir ont ainsi rassemblé un public passionné, et beaucoup plus jeune que celui d’institutions mieux dotées.

 Fire of emotions  (chantier) de et par Pamina de Coulon.

 Pamina de Coulon, une jeune fille boulotte, est assise par terre ; au moment où nous pénétrons dans un sous-sol de la mairie. Elle se lève, sac au dos, pour entamer un long monologue, à partir de sa « conviction absolue d’être le centre de l’univers ».
Elle entame alors un long monologue philosophique sur l’histoire de l’univers, les fausses assertions de Leibniz et d’Einstein, se coiffe d’une couronne de fleurs, parle, parle avec un débit saccadé. « Aristote affirme n’importe quoi, mais il n’y arien qui prouve le contraire (…) un autre monde est possible (…) There is no alternative (…) depuis que je suis petite, le futur est lié à la mort de mes parents »…
Elle avoue n’avoir pas de texte écrit, et parle, parle au fil de sa pensée, ce qui lui permet de changer, au fil des représentations. Elle n’est pas sûre, dit-elle, d’être une bonne comédienne et pour l’instant, c’est sans doute vrai, mais son naturel est désarmant, le temps de ce solo qui ne dure qu’une vingtaine de minutes.

Pamina de Coulon, née en Suisse, s’est installée à Bruxelles, elle est en résidence à l’L où elle a entamé en 2011, une première phase de recherche avec Si j’apprends à pêcher, je mangerai toute ma vie, qu’elle a présenté au Festival Actoral de Marseille. Fire of émotions ouvre sa seconde phase de recherche à l’L.

 Asymptote (chantier) de Kevin Trappeniers

 asymptote-0Dans la pénombre, on distingue deux formes humaines, allongées sur le dos, épaule contre épaule, sur un tapis lumineux ; au dessus du plateau jonché de bandes magnétiques, un morceau de voie lactée brille bizarrement.
Un grondement sourd rythme les corps qui se déploient avec une lenteur infernale, on aperçoit un bras, une jambe, les deux dos semblent virils, on s’interroge sur le sexe des corps en question. Avec des mouvements géométriques, ils parviennent enfin après un long, très long moment à se mettre debout, c’est un couple, un homme et une femme qu’on aperçoit enfin devant un cadre jaune lumineux. Malgré sa lenteur, cette performance énigmatique ne manque pas de charme. Kevin Trappeniers a débuté en 2008 avec Jo Decoster, et a suivi des ateliers avec Wim Vandekeybus, entre autres. Il a réalisé trois œuvres qui explorent les frontières entre représentations et installations.
Asymptote a été accueilli dans le cadre de son parcours à l’L à Bruxelles.

La vieccha Vacca, écriture et mise en scène de Salvatore Calcagno.

 la-vecchia-vacca-0Étonnant spectacle que cette bizarre ronde de femmes dans une cuisine, autour d’un jeune adolescent qu’elles cernent d’un amour dévorant et étouffant. La viecchia Vacca est la deuxième pièce  d’un jeune Sicilien de vingt-quatre ans, né en Belgique et formé à l’Institut  National des Arts de Bruxelles.
Quatre femmes se déchaînent dans une furie culinaire autour d’un jeune homme muet, pétrifié par ces manifestations d’amour.
Les images baroques et insolites se succèdent, les femmes caquètent en italien avec des échappées en français, seins nus posés sur la table, devant le jeune homme muet et à la fin aussi nu qu’il est sorti du ventre de sa mère.
La beauté des images qui se succèdent à un rythme rapide avec un certain humour, est exempte de toute vulgarité,. Malgré d’inévitables longueurs à la fin du spectacle, le spectacle et son équipe semblent avoir un bel avenir devant eux. 

Après Gnocchi  qui mettait déjà en scène un « inceste culinaire » , La viecchia Vacca, deuxième spectacle de Salvatore Calcagno, a reçu le soutien de la compagnie d’Armel Roussel, compagnie expérimentée, elle-aussi accueillie régulièrement au Théâtre de Vanves.
Créé à Bruxelles, le spectacle a reçu deux nominations au Palmarès des prix de la critique 2013.
Salvatore Calcagno créera
Le Garçon de la piscine au Théâtre des Tanneurs de Bruxelles, en coproduction avec le Théâtre de Vanves, en décembre 2014.

Edith Rappoport

Théâtre de Vanves Festival ARTDANTHÉ jusqu’au 5 avril T : 01 41 33 92 91

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