La Visite de la vieille dame

La Visite de la vieille dame, de Friedrich Dürrenmatt, traduction de Laurent Muhleisen, mise en scène de Christophe Lidon

_ND31013L’œuvre du neuchâtelois Dürrenmatt a toujours traqué les drôles de connivences qui relient les hommes à une culture raffinée tout autant qu’à des réflexes primitifs barbares, quand l’argent et le pouvoir s’en mêlent. L’âpreté au gain dénature l’humanité en profondeur, hantée par les préjugés sociaux et l’hypocrisie d’une morale de convenance.
Le regard aigu du dramaturge concerne la Suisse, mais c’est bien entendu comme exemple infime et parodique du monde alentour. La parabole de
La Visite de la vieille dame (1956), un chef-d’œuvre de « comédie tragique » a fait le tour de l’Europe et au-delà, depuis sa province helvétique originelle.
L’héroïne controversée et fantasque de l’intrigue, Kläry Wäscher, séduite et abandonnée, revient au pays de Güllen, en milliardaire provocatrice et désenchantée, devenue Claire Zachanassian.
Le jeu de voix artificiel, à la manière d’une mécanique en marche de
Danièle Lebrun,  un peu trop tôt figée et caricaturale, ne varie jamais. Animée par un désir ardent de vengeance et de reconnaissance sociale qui la hante depuis sa jeunesse, elle promet la richesse aux notables du bourg, à condition que soit mis à mort le séducteur d’antan, aujourd’hui commerçant à son tour, puisqu’il a épousé une fille d’épicier – d’où la répudiation de jadis de Kläry, la jeune fille qu’elle était, de milieu trop modeste…
L’épicier est promis à revêtir l’écharpe officielle de maire car il est soutenu par tous les représentants du pouvoir et de la morale de la bourgade, le maire, le professeur, le commissaire, le médecin et le pasteur. La commune n’a plus un sou : la dame exilée qui a réussi dans les affaires, est attendue par les politiques comme le dernier recours pour les sauver de la débâcle. Et ils abandonneront leur concitoyen et se plieront, avec le temps, à tous les caprices de la dame pour obtenir la manne espérée. La satire est mordante : on a peu à attendre des hommes…
La mise en scène formelle et appuyée de Christophe Lidon suit, en bon élève, la dimension ludique de l’œuvre, son esthétique parodique, ses jeux grotesques et ses airs de cabaret. Mais elle ne pénètre pas dans le tréfonds obscur et dangereux des consciences, comme si elle restait à la porte de la violence, de la dureté et de l’iniquité d’un monde prêt à payer n’importe quel prix, quand il faut « décrocher le magot », à travers tromperies, mensonges et trahisons perpétuels.
Les pions sont  bien posés sur le tapis de jeu mais les mouvements du drame, malgré une scénographie savante, ne prêtent nulle vie à ces personnages/ devenus ici fantoches, et trop imperméables à toute sensibilité et toute incertitude. Le spectacle, du coup peu vivant, se déroule pesamment jusqu’à sa fin.

Véronique Hotte

Théâtre du Vieux-Colombier. T : 01 44 39 87 00 jusqu’au 30 mars.


Archive pour 7 mars, 2014

Hamlet de William Shakespeare mise en scène de David Bobée

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Pascal Collin, mise en scène de David Bobée

David Bobée s’était attaqué sans beaucoup de bonheur il y a deux ans à Roméo et Juliette à Chaillot (voir Le Théâtre du Blog), et avait déjà monté Hamlet en 2010 il y a quelques années avec un certain succès. Cette fois, il dirige un groupe de jeunes acteurs russes qui ont constitué le Studio 7 du Théâtre d’Art, dirigé par Kirill Serebrennikov qui sera  à Chaillot avec  Metamorphosis et  Le Songe d’une nuit d’été.
Il
a adapté sa mise en scène  pour la recréer au Gogol Center de Moscou et en a aussi conçu la scénographie:  une salle au sol et aux murs carrelés noirs. Sur le mur, côté cour, huit carrés en inox qui se révèleront être les portes de tiroirs d’une morgue qui, plus tard, sera inondée et tout le monde pataugera dans l’eau. Une citation maintes fois utilisée de Massacre à Paris d’Edward Marlowe  mise en scène par Patrice Chéreau.
Des images belles et fortes: aucun doute là-dessus, David Bobée sait inventer un monde pictural, sous l’influence évidente du cinéma  et surtout de la B.D. Et peut-être est-cela et
le personnage d’Hamlet qui le fascinent, plus que la pièce elle-même. « J’ai, dit-il,  des interrogations à la fois intimes et politiques qui résonnent avec ce que j’explore dans mes spectacles depuis toujours : la présence de la mort, du deuil, la catastrophe comme révélateur ou élément perturbateur… Le père d’Hamlet est roi, le père d’Hamlet meurt et Hamlet ne devient pas roi. » Dès l’ouverture du spectacle, l’ordre du monde -naturel, sociétal, familial, intime- est brisé, bouleversé. (…) Et en matière de langage contemporain, d’écriture de plateau, j’ai l’impression d’avoir abouti quelque chose en faisant toujours un pas de côté. Un pas de côté vers la danse, un pas de côté vers la vidéo, un pas de côté vers les arts plastiques, vers le cirque. (…) Tous mes spectacles sont traversés par une imagerie publicitaire, cinématographique, musicale et par des éléments référencés. Hamlet a ce caractère référencé. Il ne s’agit donc pas seulement de raconter une histoire (puisque le plus grand nombre a la maîtrise de la dite histoire) mais aussi de se livrer à l’exercice de la lecture. »
Les mots sont lâchés: ce spectacle a en effet plus à voir avec des images très mode, véhiculées un peu partout,  qu’à une véritable prise en compte de la pièce. Ainsi, les personnages deviennent des sortes de marionnettes que David Bobée utilise à son gré. Les acteurs russes, au jeu très physique,
en particulier celui qui joue Hamlet, ont sans doute été bien formés pour jouer Shakespeare mais ne sont pas vraiment crédibles: tout le monde criaille et les voix sonorisées (une fois de plus!) sont soutenues pratiquement tout le temps par un fond de musique rock ou synthétique, un vieux truc usé qu’on peut utiliser en atelier mais bien facile et vulgaire, surtout usant pour le public.
Comme si Bobée ne se sentait pas très sûr de sa mise en scène et avait besoin d’une béquille pour faire passer le texte. Et bien entendu, comme c’est aussi plus facile, il a recours à la vidéo quand il veut évoquer le fantôme du père -avec,
sur grand écran, l’image de synthèse d’une tête… Pas laide d’ailleurs mais elle serait plus à l’aise dans un musée d’art contemporain. Peu convaincante, elle n’a rien à faire ici…
En fait ici tout se passe le plus souvent du côté de l’anecdotique, du clin d’œil et de l’effet: cela commence dès le début quand on enlève quelques grains de poussière sur le corps du père d’Hamlet… et continue ensuite, avec, entre autres, des glissades interminables et des combats dans l’eau noire. « J’aime çà, c’est marrant, comme le disait une ancienne directrice de théâtre parisien. »  « Marrant »: le mot est juste mais cette fausse modernité prétentieuse a quelque chose de vain.
Et le metteur en scène ne joue pas les modestes:  »
Hamlet n’a pas la connaissance, il a l’intuition de la vérité. De mon côté, j’ai l’intuition de ce texte-là, l’intuition qu’il a de grandes résonances par rapport à mon travail, par rapport à moi, et par rapport à notre époque ». Rien à voir avec une question de génération: la jeune personne de dix-huit ans qui nous accompagnait et  qui prépare le bac option: théâtre, avec Hamlet au programme, avouait son admiration pour l’Hamlet de Patrice Chéreau qu’elle n’a pourtant vue qu’en DVD mais restait un peu accablée par ces trois heures sans pause qui n’ont rien en effet de passionnant et où elle ne se retrouvait pas.
David Bobée nous fait payer cher quelques très belles images, comme à la fin, ces corps allongés dans les tiroirs de la morgue. Alors, à voir? Tout dépend de ce que l’on vient chercher. Si c’est un travail intelligent sur cette pièce-culte, capable de vous apporter un plus, autant y renoncer tout de suite: on n’en a pas une bonne vision fondée ici sur une lecture réductrice et une réécriture scénique.
Si c’est une adaptation d‘Hamlet façon B.D., à condition de n’être vraiment pas trop exigeant, cela peut se voir à la rigueur. Même dans ce cas, c’est beaucoup trop long et on ne vous poussera pas à y aller. David Bobée fait joujou avec la pièce mais n’a pas su en fait adopter un véritable parti pris. Et cela se sent. On repense à cette phrase d’Antoine Vitez demandant cet exercice intelligent à ses élèves: « Faites-moi un Hamlet d’après vos seuls souvenirs. Vous avez dix minutes pour préparer. » Sans aller jusque là, le metteur en scène aurait pu se livrer à une déconstruction/reconstruction du mythe d‘Hamlet mais il ne semble pas en avoir les moyens. Il est trop dans l’exercice de style, parfois brillant mais des plus superficiels… Dommage et tant pis!

Philippe du Vignal

Théâtre Les Gémeaux à Sceaux jusqu’au 8 mars à 20 h 45 et le dimanche 9 mars à 17 h.

So Blue

So Blue,  chorégraphie de Louise Lecavalier.

 

So Blue  Le corps, rien que le corps,  toujours en mouvement, emporté par la musique de Daft Punk, ou les pulsations électro-soufistes de Mercan Dede : Louise Lecavalier nous offre un solo hallucinant et halluciné.     Elle traverse le plateau, semé de découpes lumineuses géométriques, à une vitesse vertigineuse, tous membres déployés, se pose, se plie et se déplie au ras du sol, pour s’envoler de plus belle.
Telle une petite humanoïde industrieuse, la danseuse québécoise déploie une
inépuisable énergie. Elle offre une partition tétanisée où chaque parcelle de son corps semble emportée au-delà de ses limites. Une performance funambulesque, acrobatique ou presque.
Rejointe par Frédéric Tavernini, elle entraîne le danseur dans un duo extravagant. Colosse tranquille, il essaye d’endiguer la course de la petite danseuse vibrionnante : celle-ci s’amuse à lui échapper pour mieux le rejoindre dans un corps à corps arachnéen où bras et jambes semblent se démultiplier.
L’ex-danseuse vedette de La La La Human Steps, qui participa naguère aux concerts mythiques de David Bowie et de Frank Zappa, poursuit seule sa carrière, depuis 1999, et désormais au sein de sa compagnie Fou glorieux, fondée en 2006. Elle conserve toute sa fougue  avec, n prime,  la maîtrise de la maturité .
Dans cette pièce, le bleu qui, à la fin, inonde la scène renvoie à une alternance de rythmes, d’ombres et de lumières, qui, au-delà des contrastes, dévoilerait « un peu des tumultes, des débordements et des contradictions dont nous sommes faits. La part obscure qui nous habite et l’insoutenable légèreté de l’être et de l’âme. »

 

Mireille Davidovici

 

Spectacle présenté par le Théâtre de la Ville au 104, du 26 février au 6 mars 2014.

Pour suivre les créations de Louise Lecavalier : http://www.louiselecavalier.com/

Lucrèce Borgia

Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de Jean-Louis Benoit.

 

«Dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux», écrit Victor Hugo en 1833 dans son Avertissement , en préface à Lucrèce Borgia. Et la pièce fit un tabac au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. Une victoire sur le pouvoir et la censure après l’interdiction du Roi s ‘amuse.
Dans cette œuvre, la plus puissante de Victor Hugo, selon George Sand il déforme sans complexe la réalité historique, pour mieux servir son propos, et pousse la monstruosité de son héroïne jusqu’à lui attribuer l’assassinat de son frère à la place de César Borgia.
Mais Jean-Louis Benoit ne s’attache pas à la reconstitution de l’Italie mouvementée du XVl ème siècle, même si les somptueux costumes de David Debrinay rappellent ceux de l’époque. C’est surtout la lisibilité et l’efficacité de cette sombre histoire qui lui importe.
La pièce est donnée, telle qu’elle a été écrite (en quatorze jours) : trois actes rapides encadrés par deux fêtes, (carnaval du début, festin mortel de la fin), et ne s’attarde jamais sur le seul personnage de Lucrèce.
On oublie vite la première scène à Venise, peu rythmée du fait de sa fonction d’exposition, pour se laisser entraîner dans les péripéties du spectacle. Le drame se dessine dès que Lucrèce apparaît, sur les traces de son Genarro, qu’on croit d’abord son amant et qu’on devine très vite être son fils.
Nathalie Richard (Lucrèce) évite le pathos que le rôle pourrait offrir. Toute en retenue, elle reste jusqu’au bout un personnage combattant, et s’acharne à sauver ce fils adoré que ses intrigues ont, sans le savoir, condamné à mort. Fabien Orcier est un Don Alphonse d’Este non dépourvu d’humour, et Thierry Bosc campe Gubetta, sautillante et inquiétante âme damnée de Lucrèce dont le double jeu apporte un contre-point comique au drame.
La scénographie de Jean Haas, simple et élégante, propose la clôture et l’ouverture de l’espace ; elle ménage de sombres coulisses et joue sur une alternance subtile de couleurs, où dominent le rouge et le noir.
Sobre et rondement menée, sans effusion de sang, de larmes ni de sentimentalisme, le spectacle, malgré quelques scènes moins réussies, sait ménager le supense et laisse entendre ce mélange de grotesque et de sublime, de comique et de tragique, où Hugo excelle encore ici.

 

Mireille Davidovici

 

 

Théâtre de la Commune d’Auberviliers T : 01 48 33 16 16 du 5 au 9 mars theatredelacommune.com

Et le11 mars, Théâtre de Chelles ; les 26 et 27 mars au Théâtre de la Ville de Luxembourg ; le 29 mars, Théâtre de Esch-sur-Alzette, Luxembourg ; du 3 au 6 avril, à la Comédie de Picardie à Amiens ; les10 et 11 avril, Théâtre de Narbonne ; le le 15 avril, Théâtre du Centre Culturel Marcel Pagnol, Fos-sur-Mer ; les 17 et18 avril, Le Cratère d’ Alès ; le 13 mai, Théâtre de Chartres et du 16 au 25 mai Les Célestins, Lyon).

 

Les Amants parallèles

Les Amants parallèles de Vincent Delerm.

 photoCe n’est sans doute pas un hasard qui amène Vincent Delerm à chanter les chansons de son dernier disque dans un des lieux historiques du théâtre qui ont une âme, comme le Dejazet , ou comme pour son dernier concert-spectacle, les Bouffes du Nord.
Situé sur le boulevard du temple appelé b
oulevard du Crime au XIX ème siècle, (l
arcins et meurtres en tout genre y ont été aussi perpétués, d’où son surnom), le Dejazet faisait partie d’un groupe de vingt théâtres et cabarets qui accueillaient des spectacles de chansons, pantomime, acrobatie,  marionnettes…
L’atmosphère de l’époque a été immortalisée au cinéma par le célèbre
Les Enfants du Paradis de Marcel Carné, sorti en 1945, qui raconte les amours contrariés de Garance (Arletty) et du mime Debureau (Jean-Louis Barrault). Et le théâtre Dejazet est le seul qui subsiste de cette période. Aidé pour la scénographie par Aurélien Bory, le chanteur est, cette fois-ci, seul en scène, en dialogue musical avec un autre piano, lui, mécanique.
La première partie est consacrée à son nouveau disque L
es Amants parallèles, où il nous fait vivre, dans une tonalité douce amère et nostalgique, la vie d’un couple d’aujourd’hui. Comme Vincent Delerm le dit: « C’est une façon de vivre à deux aujourd’hui, de mettre en place une complicité autrement, qui existe, et qui me touche ».
Dans la deuxième partie de ce parcours-concert, il retrouve les succès de ses précédents albums  et évoque les bonheurs passés que la vie laisse trop vite échapper. La tonalité rouge et or de cette salle à l’italienne se retrouve dans les lumières du spectacle qui plongent le chanteur dans une alternance de jeux d’ombres et de lumières. Avec des mots qui évoquent le quotidien d’un couple: lit, hôtel, tunnel, amants etc.., et des silhouettes projetées en ombres chinoises en fond de scène
Le public est plongé avec délices dans ces fragments de vie qui peuvent lui rappeler la sienne. Le spectacle possède une couleur impressionniste, et le chanteur pourrait reprendre les mots du marionnettiste russe Sergueï Obraztsov : «Qu’est-ce qui est le plus important, l’essentiel dans l’art ? Le plus important est de voir. Voir autour de soi la vie dans toutes ses manifestations : discerner dans la vie non seulement ce qui est important, mais aussi ce qui peut sembler secondaire, et comme fortuit. Il faut savoir enregistrer tout ce qu’on voit pour en comprendre la signification et la relation entre grandes et petites choses, savoir dégager le grand qu’on trouve parfois dans le petit, et inversement le petit dans le grand».
Ici, Vincent Delerm y réussit parfaitement.

Jean Couturier

Théâtre Dejazet jusqu’au 29 mars.

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