Un Chien dans la tête
Un Chien dans la tête de Stéphane Jaubertie, mise en scène d’Olivier Letellier
La honte est un déshonneur, un sentiment pénible d’infériorité et d’indignité devant sa propre conscience, d’humiliation devant autrui et d’abaissement dans l’opinion des autres.
On note dans les interprétations seiziémistes de l’origine du mot honte, une pratique judiciaire ancienne et régionale de l’Est en France: quand un gentilhomme était condamné pour un délit grave – sédition, vol, incendie – on l’humiliait avant de l’exécuter en lui faisant «porter sur les épaules un chien à travers champs, jusques aux limites du prochain territoire» ; la désignation du chien en allemand étant hund, le français aurait emprunté ce mot pour faire honte.
Une étymologie certes curieuse, approximative et invérifiable. Mais comment ne pas penser au titre imagé de ce spectacle judicieux et inventif, pour l’œil des grands comme pour celui des plus jeunes, qui met au centre de l’intrigue, un enfant victime de la honte, à travers un flot de moqueries et d’insultes infligées non pas à lui-même mais à son père devenu fou. Tel est le Fils (Jérôme Fauvel), singulier et universel, l’interprète scénique de son propre rôle, garçonnet blessé du passé et adulte équilibré du présent.
Ce héros douloureux joue sa partition enfantine de jeu mais porte aussi la narration en même temps qu’un sentiment de culpabilité brute qu’il libère et échange avec deux autres comparses, Celle qui reste (Camille Blouet) et le Fils de la Baleine (Alexandre Ethève), des enfants facétieux et amusés qui viennent troubler le for intérieur du protagoniste, des compagnons de route héritiers, de leur côté, d’une histoire personnelle sur le chemin de la vie et d’une destinée autonome.
La mise en scène d’Olivier Letellier est un festival scénographique de jeux d’ombres et de lumières, de couleurs nuancées et acidulées sur un espace d’un fond bleu lumineux, un feu d’artifices d’images et d’accessoires insolites. Autour d’un canapé autel, symbole de scène initiale et de foyer familial, des marionnettes comiques, des silhouettes d’adolescents de B.D. et des poupées roublardes, tombent du ciel, glissant en acrobates d’une barre verticale, qui semblent comme rattrapées par les comédiens qui les manipulent avec malice.
Portée à la tige par Camille Blouet, une longue chevelure rousse onirique et inquiétante désigne avec subtilité l’étrangeté de la mère, tandis que des filets de brume voyageuse issus de sa sempiternelle cigarette volètent pesamment dans une ambiance sourde d’enfer obscur.
La représentation se met à l’exact diapason de l’écriture vive et incisive de Stéphane Jaubertie, et les acteurs excellent à dessiner dans l’espace qu’ils habitent avec une aisance, une vivacité gestuelle tonique, et une liberté corporelle admirable.
Cette histoire existentielle est celle de tous : humour, déplacements soudains, bonds et rebonds, mouvements vifs, corps contrôlés, chutes, pirouettes et réceptions salvatrices. Les réparties enfantines, cruelles et pernicieuses, ajoutent leur concert de voix cristallines et coupantes à ce ballet baroque – un constat d’humanité maladroite par lequel il faut passer pour être enfin libre.
Apprendre à grandir, c’est aussi savoir ne pas esquiver, et prendre de plein fouet les menaces superficielles qui s’annoncent, pour les dépasser, les transcender et mordre la vie.
Véronique Hotte
Tout public à partir de 9 ans. Théâtre National de Chaillot, Place du Trocadéro, Paris XVIème du 4 au 12 mars. T : 01 53 65 30 00
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