Médée, poème enragé

Médée, poème enragé, écrit et interprété par Jean-René Lemoine

medéeOn parle du mythe de Médée. Mais ce qui fait sa pérennité, c’est sa richesse : Médée est plusieurs mythes. Médée, c’est l’effroi : la mère qui tue ses fils par vengeance, pour tuer leur père Jason, et par amour, dit-elle, pour qu’ils ne tombent pas en d’autres mains. Cette Médée-là, c’est l’impensable, qui trouve son apothéose dans le chant lyrique, à l’opéra. Et puis il y a Médée la magicienne, Médée l’étrangère. Les Médée de la littérature ont la grandeur de cette complexité : celle de Corneille, par exemple, vit et meurt de l’ivresse d’un isolement absolu : «…que me reste-t-il ? Moi, moi, dis-je, et c‘est assez». Elle tue ceux qu’elle aime –pourquoi non ? L’amour a eu lieu, quel plus haut prix la vie pourrait-elle offrir ? -, déchiquette son frère chéri pour fuir avec les Argonautes, pour retarder la poursuite de son père. Elle tue la fille du roi qui les a recueillis, et le roi, pris dans les flammes, et leur palais : Jason ne prendra pas une nouvelle jeune épouse, ils sont trop engagés ensemble par le sang. Elle tue ses fils.
Dans son poème, Jean-René Lemoine la fait naviguer, usée, flétrie, vers le tombeau muet de ses parents. Sorte d’Antigone inversée, ayant tué tout espoir, elle va rejoindre ses morts et se décomposer avec eux. Puis il reprend la légende à sa source. Il le “file“ pour nous avec des mots qui pourraient être ceux de la pornographie et qui s’élèvent à la hauteur de la tragédie. Au centre du cercle de la lumière, il se présente, élégant et doux, femme et homme. Droit devant : il est, à l’évidence, d’aujourd’hui, et il porte une parole trimillénaire. Pas de morale, pas d’excuses : la passion est ce qu’elle est, l’instant de l’acte est sans retour. Le public est avec lui, dans le même souffle, emmené par la musique entêtée de Romain Kronenberg. Arrive le moment où la Médée étrangère, l’exilée, prend le dessus. C’est vrai, et l’on y retrouve ce monde que nous connaissons bien : Assez de la femme désirée comme un objet exotique ! Assez de l’asservissement par la laideur du monde puissant –le notre- qui détruit la beauté de celui qu’il colonise. Elle ne s’excuse pas –et de quoi ?-, elle accuse. Ou c’est lui. Jean-René Lemoine poète et acteur a parfois des accents à la Genet. Mais ce qui tient en haleine, c’est la haute tenue, l’élégance de son «poème enragé». Élégant ne signifie pas joli, mais fin et efficace comme une lame ; et haute tenue ne signifie pas abstraction, mais exigence d’aller droit et fort là où il faut aller.

À la sortie, malgré lui, le poète acteur est livré à l’excès d’amour du public, comme un Orphée effleuré par les bacchantes. C’est le prix à payer pour être allé si loi, et peut-être un moyen de revenir parmi nous.

 

Christine Friedel

MC 93 à Bobigny, 01 41 60 72 72, jusqu’au 23 mars

 

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