Protée de Paul Claudel
Protée, de Paul Claudel, mise en scène Philippe Adrien
Le spectacle de Philippe Adrien avait été créé l’an dernier (voir Le Théâtre du Blog) mais n’avait guère plu à Philippe du Vignal. C’est une blague de bonne société, comme la Belle Hélène, comme une Iliade travestie du XVIII ème siècle : il faut être farci d’antiquité et de mythologie pour écrire un Protée. Donc, Protée est un dieu de « dernière catégorie », affublé d’un double don : celui de se transformer en ce qu’il voudra, phoque (c’est un dieu marin), pieuvre, eau, feu, et même arbre fruitier pour échapper à ses ennemis, et celui de révéler la vérité à qui réussira à le tenir à bras le corps malgré les transformations susdites (lire, à ce sujet, les Géorgiques IV de Virgile).
Donc, à la faveur d’un naufrage, arrivent sur son île Ménélas et Hélène, de retour de Troie. Ils n’attendent du petit dieu rien de moins qu’un bateau neuf pour repartir. Partir : il y en a une qui voudrait bien quitter, l’île, c’est Brindosier, une nymphe futée et piaffante, avec ce vieux dieu gluant, ses phoques et les éternels horizons. Bref, elle trouvera le moyen de se faire passer pour Hélène, plus drôle que cette séductrice pétrifiée d’orgueil pour avoir eu deux cent milles morts à son compte, et angoissée d’avoir loupé dix ans de modes nouvelles. La première version est de 1913, la seconde de 1927 : Claudel tient à sa comédie autant qu’à ses grandes pièces, qu’il remanie et retravaille sans cesse.
Sous une forme piquante et très “belle époque“ revue “années folles“ -et la mise en scène en rajoute, en faisant de Ménélas un fringant lieutenant à moustache et épaulettes-, il y a là le souvenir de La Tempête de Shakespeare, d’Ariel bloqué sur son île par Prospero, Caliban étant joué par une bande de satyres inoffensifs et peu révoltés. Ajoutons que Jupiter fait remonter Hélène au ciel et descendre Protée aux abîmes de la mer : «c’est la mer allée avec le soleil», dirait le Rimbaud cher au cœur de Claudel.
Irons-nous jusqu’à parler du comique «cosmique» de Claudel, du rire comme lyrisme absolu ? On est en tout cas sous le charme souriant d’une fantaisie inattendue. Ce Claudel-là n’est pas très catholique, très à l’aise dans la liberté polythéiste. Ce dont il parle, c’est moins d’être ou ne pas être, de la transcendance ou non, c’est du théâtre. Un peu du sien : on entend flotter sur la mer un écho du Partage de midi. Beaucoup de celui qu’il a vu et aimé, des revues parodiques à Shakespeare, et de cet art qui peut fonctionner avec trois bouts de bois et de ficelle (voir son Christophe Colomb), qui, comme Protée, peut prendre toutes les formes et nous révéler des vérités à conditions que nous ne le lâchions pas. Bonne résolution en période de reflux d’aide à la culture et à l’art.
Ici, Philippe Adrien sert le théâtre avec un peu plus que des bouts de ficelles : la vidéo n’a pas été inventée pour rien, mais on a aussi de bonnes vieilles marionnettes, quelque chose entre les gargouilles de Notre-Dame de Paris (Eh! Oui…) et les satyres cornus. On a surtout des acteurs, qui s’amusent franchement. Et nous, ils nous font sourire.
Christine Friedel
Théâtre de la Tempête, 01 43 28 36 36, jusqu’au 13 avril.