Tartuffe, Luc Bondy

Tartuffe de Molière, mise en scène de Luc Bondy.

 

 

tartuffe_thierry-depagne_1La pièce, est une des plus célèbres  du théâtre classique. Tartuffe ou l’Imposteur avait été représentée pour la première fois à Versailles en 1664,  et ne comportait alors que trois actes, au lieu de cinq maintenant  avec presque 2.000 alexandrins. Satire de la dévotion et des dévots présentés comme des hypocrites, voire des roublards, elle dut, à l’époque, faire l’effet d’une bombe, et fit rire le public aristocratique.
Mais Louis XIV, courageux mais pas téméraire, en interdit les représentations publiques dans le théâtre du Palais-Royal de Molière, à la demande de l’archevêque de Paris, Hardouin de Péréfixe, son ancien précepteur. Et Molière la remania de façon à la rendre moins provocante. Jouée de nouveau au Théâtre du Palais-Royal, en 1669, elle connut un grand succès avec 28 représentations de suite…
En cinq actes, donc avec une construction finalement des plus classiques, pour traiter un thème explosif à l’époque. Avec, d’abord, une scène d’exposition où  madame Pernelle, mère d’Orgon, est  très en colère contre la vie que mènent la famille de son fils, qui,  veuf, s’est remarié avec la belle  Elmire. Famille recomposée avant la lettre et fréquente à l’époque où les épouses mourraient souvent en accouchant… Mais Orgon est déjà père du jeune et bouillant Damis, et de la belle Marianne, amoureuse et fiancée à Valère, ce qui ne va pas simplifier les choses.
Orgon, visiblement ébloui, fait alors part à son frère Cléante de la rencontre avec un certain Tartuffe, pas vraiment un prêtre mais un religieux- aujourd’hui ce pourrait être un membre d’une secte qu’il a accueilli chez lui. Ce qui a vite provoqué un séisme au sein de la famille; Tartuffe n’a en effet aucun scrupule à vivre à l’aise chez Orgon, qui, bizarrement, entend offrir Marianne en mariage à  cet amateur de chair fraîche…
Le second acte, conséquence directe du premier,  est celle d’un dépit amoureux entre Marianne et Valère, que Dorine, une sorte d’intendante, arrivera à calmer; très lucide, elle a, en effet,  bien vu le danger que représente ce Tartuffe, et ne se gêne pas pour dire ses quatre vérités aux deux amoureux comme à Orgon.
A l’acte III,  Tartuffe essaye de séduire la belle et distinguée  Elmire mais Damis caché, a entendu la scène, et en parle à son père qui ne le croit pas, et qui l’accuse de calomnier Tartuffe. Orgon finit même par chasser Damis de la maison, et par  le déshériter  pour en faire profiter  Tartuffe. Là aussi, cela sonne comme quelque chose de tout à fait contemporain: une dame âgée
de notre connaissance, ci-devant médecin,  avait fait don de sa magnifique maison à une secte, privant ainsi son fils unique d’héritage; ce n’était pas au 17ème siècle mais il y a vingt ans…
A l’acte IV, le frère d’Orgon, Cléante reproche à Tartuffe d’être la cause de la brouille entre Damis et son père, et lui signifie qu’il ne peut prétendre en aucun cas à l’héritage. Mais Tartuffe, très sûr de son emprise sur Orgon, reste sur ses positions : il tient à cet héritage et lui dit cyniquement qu’il n’interviendra pas en faveur de Damis…
C’est alors qu’Elmire, qui voit Marianne désespérée par la décision de son père, et comprenant que la famille est en passe d’exploser,   veut procurer à son aveugle de mari les preuves irréfutables de la trahison de son protégé, et elle lui demande de se cacher sous la table pour entendre Tartuffe qui va de nouveau essayer de la séduire. Tartuffe, échaudé par le premier refus d’Elmire,  et qui a dû en voir d’autres, se méfie mais finalement se laisse prendre au piège: il drague sans détours la belle Elmire, qui, très habile, sait bien s’y prendre et semble même prendre un certain plaisir à cette petite comédie mais sans tout de même que cela aille trop loin…
Orgon, assommé par cette révélation et incapable de réagir, met du temps à sortir de sa cachette; il explose alors  de colère contre Tartuffe, et contre lui-même, accablé de n’avoir pas eu le moindre éclair de lucidité. Il lui donne l’ordre de quitter aussitôt sa maison. Mais Tartuffe, toujours aussi cynique, lui rappelle qu’il lui a fait donation de sa maison dont il est désormais le seul propriétaire.
Et à l’acte V, on apprend que Tartuffe, sans aucun scrupule,  a demandé qu’Orgon soit arrêté comme traître au Roi, à cause de documents sur une sombre histoire politique des plus compromettantes pour lui. Et un huissier de justice vient  faire procéder à l’évacuation des lieux, puisque Tartuffe a fait valoir ses titres de propriété.
Mais, deus ex machina,  un exempt  arrive et, sur ordre du Roi, arrête aussitôt Tartuffe, coupable d’un crime commis autrefois et resté impuni. Et, en récompense des services rendus par Orgon, il lui annonce que le Roi lui pardonne cette correspondance et de plus, fait annuler l’acte de donation… Madame Pernelle commence seulement à comprendre la situation et Orgon, bouleversé et revenu à plus de lucidité, autorise le mariage entre Marianne et Cléante…
Reste à savoir comment monter la pièce aujourd’hui. Luc Bondy, pour remplacer le
Comme il vous plaira de Shakespeare, que devait monter Patrice Chéreau, malade et malheureusement décédé  en octobre 2013,  avait  décidé de faire une nouvelle mise en scène de ce Tartuffe qu’il avait montée l’an passé à l’Akademietheater de Vienne. Mais cette fois, avec des acteurs français et  en en  proposant une version, disons contemporaine,  et bien sûr, avec  le texte écrit
en alexandrins dans une langue sublime, et dont en France, tout le monde, et les comédiens en particulier, connaît des dizaines de répliques. En pratiquant quelques coupes, notamment à l’acte V, et en “inquiétant le rythme de l’alexandrin” comme dit Daniel Loyaza, et en conservant la même scénographie de Richard Peduzzzi, à quelques détails près, lors de la création à Vienne, .
Et cela fonctionne? Oui, et non! On sera reconnaissant  à Luc Bondy d’avoir donné une certaine fraîcheur de style à la pièce et une nouvelle approche, notamment dans un cadre, et avec des costumes contemporains, (même si on ne comprend pas bien que les femmes de chambre soient encore en petite robe noire et tablier blanc comme dans les années cinquante) et avec des acteurs solides comme Gilles Cohen (Orgon), Micha Lescot (Tartuffe), Clotilde Hesme (Elmire), ou Jean-Marie Frin (L’Exempt) …

photo de la représentation de Vienne

photo de la représentation de Vienne

Mais, il y a aussi malheureusement trop de choses qui font penser à de l’imagerie, voire à des clins d’œil bien faciles. Comme d’abord, cette scénographie qui reste une sorte de beau et imposant décor, très construit avec escaliers à cour et à jardin, et aux murs blancs avec de lourds rideaux sur quatre mètres de hauteur, et carrelage en damier noir et blanc qui parasite fâcheusement la vision que l’on peut avoir des personnages. (Le carrelage du Tartuffe  mis en scène par Roger Plahcon était plus discret). Bref, c’est beau mais pas vraiment efficace,  et  on a connu Richard Peduzzi mieux inspiré…
Pourquoi ce mobilier dépareillé, avec des animaux naturalisés sous globe, et des trophées de cerfs et de chevreuil, des chaises et fauteuils dépareillés un peu partout, et un prie-Dieu couvert de velours rouge. Cela tient à la fois du salon bourgeois et de la cuisine de campagne chic et choc, avec quatre tables blanches du genre Habitat, que l’on dispose différemment sans que l’on sache vraiment pourquoi, et où Dorine, au début du spectacle, prépare la farce d’un poulet. Il y a là un mélange de réalisme et de symbolisme que l’on n’arrive pas bien à appréhender…
Le début est vraiment beau: tous les personnages, encore un peu ensommeillés, viennent prendre en silence leur petit déjeuner mais ce n’est pas la joie, on le sent; Elmire, seule, est déjà habillée en belle robe en robe crème de cocktail et boa de fourrure, comme si elle était  rentrée
d’une réception au petit matin
Mais, quand on amène madame Pernelle en fauteuil roulant, la direction d’acteurs ne semble pas être tout à fait au rendez-vous, comme si Luc Bondy attendait et il le dit, « que les acteurs affirment émotionnellement ce qu’ils jouent. Moi, je pars de ce que les acteurs me proposent”. Pour arriver à quoi? Françoise Fabian débite son texte comme si cela ne l’intéressait pas  pas du tout! Ce début augure mal de la suite et  on voit alors très vite ce que signifie  « inquiéter l’alexandrin »!  Luc Bondy dit aussi qu’il “joue Molière dans sa langue avec les alexandrins, les rimes”, mais la diction de tous les acteurs, sauf peut-être de Gilles Cohen, est si médiocre qu’il faut toujours tendre l’oreille; quant aux  alexandrins, ils  n’ont pas toujours, et de loin, les six pieds requis. Et ce n’est pas du tout un problème d’acoustique: Berthier n’est pas si grand et offre presque une sorte d’intimité.
Par ailleurs, d’autres bons acteurs semblent un peu perdus comme Lorella Cravotta (Dorine) qui n’arrive pas à imposer vraiment son personnage, ou Victoire du Bois (Marianne) assez absente. Micha Lescot réussit, lui, à s’affirmer grâce à un jeu physique remarquable et compose un jeune Tartuffe, maigre, à la barbe qui lui mange le visage, en pantalon noir et pieds nus. Assez inquiétant, il ressemble à une sorte de gourou tout à fait convaincant mais, désolé, lui aussi, ne dit pas non plus très bien son texte.
Côté mise en scène, Luc Bondy, ce qu’il ne faisait jamais autrefois, semble gourmand d’effets visuels, comme s’il les considérait aussi importants que le texte pourtant explicite pour qui sait le lire: ainsi Tartuffe réussit à enlever son slip à Elmire après l’avoir coincée sur une banquette, et va l’accrocher à un trophée, comme un trophée bis! Orgon embrasse Tartuffe sur la bouche; Tartuffe et Damis se battent furieusement sur le carrelage, et Dorine prépare la farce d’un poulet, etc….
On veut bien… mais Bondy aurait pu nous épargner ces facilités qu ne sont pas dignes de lui et dont on voit mal ce qu’elle apportent. Quel curieux besoin a-t-il de surligner les choses!  On aurait préféré qu’il nous montre mieux et, dès le début, les ravages provoqués dans cette famille de bourgeois par l’arrivée d’un manipulateur hors-pair… Et là, malheureusement on ne sent pas grand-chose
En fait, on retrouve les mêmes procédés et la même volonté de faire image que dans
Les Fausses confidences récemment montée par lui à l’Odéon (voir Le Théâtre du Blog), et il y a ici cette tendance qui semble faire fureur actuellement, celle de traiter les classiques dans un style B.D.  (voir l’Hamlet de Bobée), comme pour leur administrer une cure de jouvence bien inutile, quand il s‘agit de grands textes comme celui-ci, qui possèdent une langue aussi fabuleuse. Et encore tout à fait accessible plus de trois siècles après! Désolé, Luc Bondy, cette langue fait partie de notre patrimoine à tous,  et appartient au plus petit des Français et vous considérerez sans doute comme normal qu’on vous demande de la respecter.
Au moins, à partir de la fameuse scène où Orgon est caché sous la table, et du presque viol d’Elmire par Tartuffe, les choses se resserrent, et les scènes d’ensemble, comme celle où déboule l’huissier, sont remarquablement traitées: la pièce semble alors enfin vivre. Le dernier tableau, où la famille réunie dîne – Elmire dit le Benedicite dans le soir qui tombe-  et où tous dégustent, en silence et dans la paix enfin  retrouvée, les poulets préparés au début par Dorine,  est émouvant et d’une grande beauté plastique.
Alors à voir? C’est selon… à vous de décider mais nous avons été déçus.
Luc Bondy, rendez-nous notre Luc Bondy d’autrefois… Si, au moins, on entendait bien le texte, cela serait déjà quelque chose! Donc, tout n’est peut-être pas perdu mais, pour le moment du moins, on reste quand même un peu loin du compte…

Philippe du Vignal

 

Théâtre de l’Odéon/Ateliers Berthier Paris 17ème à 20 h.

 


Archive pour 27 mars, 2014

Le Mardi où Morty est mort

 Le Mardi où Morty est mort, de Rasmus Lindberg, mise en scène de François Rancillac, traduction de Marianne Ségol-Samoy et Karin Serres.

 

Morty2©JeanLouisFernandez086-1La pièce de l’écrivain suédois est écrite pour deux hommes, deux femmes et un chien, une distribution qui se veut désinvolte et qui suscite la curiosité du spectateur amusé. Le Mardi où Morty est mort est un titre inédit : le dit Morty appartient à l’espèce canine mais l’événement fatal qui le concerne, ce fameux deuxième temps d’une semaine quotidienne,  longue des travaux et des jours, fait encore le point sur la situation existentielle de son maître et de ses rencontres à cette date indéterminée.
Cela ne débute pas sur l’image du chien et de son maître, spectacle idyllique d’une compagnie animale frétillante pour médecin solitaire, mais sur une scène qui évoque le sentiment d’une répétition vaine et invariable dans l’espace et le temps d’un passage sur terre sans éclat :«
C’est le matin…C’est le soir…»
Un couple âgé, portant ostensiblement perruque, se tient derrière un long comptoir élevé aux couleurs joyeuses, métaphore ironique du promontoire savant où l’on tient des discours métaphysiques. Le vieil homme égrène les journées qui passent et la vie qui s’en va ; son épouse, elle, tient un grand bol couleur vert printemps et s’esclaffe de la saveur agréable de son café. Lumière et noir en alternance sur le couple, comme des éclats photographiques. La vie est absurde et son sens échappe. Lui, toutefois évoque un voyage à deux à Copenhague, souvenir de bonheur resté jusqu’au bout dans la mélancolie ambiante d’aujourd’hui.
Mais il meurt soudainement; suivent les obsèques la veuve, la petite-fille et un pasteur en crise intérieure qui fait des ratés lors de sa prédication en chaire. Le public voit les fidèles de dos : des chevelures de marionnettes de carnaval brutalement installées… Les êtres ne sont que des pantins ! À partir de ces funérailles, tout va se déglinguer dans l’organisation de la vie de chacun : la grand-mère est atteinte d’un cancer fulgurant, la jeune fille, en mal de voyage et d’ailleurs, est sur le point de rompre avec son compagnon, le jeune fils du pasteur désœuvré et amoureux d’elle , en sweat, casquette, et pantalon de gym, Elle va avoir le coup de foudre pour le médecin au chien, mais l’étincelle d’amour est davantage pour elle que pour lui qui promène Morty… …
Julien Bonnet, Maxime Dubreuil, Thomas Gornet, Laëtitia Le Mesle et Valérie Vivier, associés au Fracas-Centre Dramatique National de Montluçon, s’en donnent à cœur joie et la mise en scène que signe François Rancillac, ludique, aux tons pastels et vitaminés, est absurde à souhait mais jamais chaotique. Les acteurs volubiles s’amusent dans un univers à la fois simple et extravagant : la maison, le temple, le cimetière avec ses petites croix grises d’un paysage nocturne digne d’Elseneur et les rues de la ville, jusqu’au moment où l’amant éconduit se met en colère et tire pour se venger.
La grand-mère choisit cet instant pour en finir avec la vie et s’envole sous la voûte céleste, au milieu des étoiles et non loin de la lune ; on voit la vieille dame en figurine miniaturisée, visiter les nuits pleines de lumière de la galaxie et le pasteur perdu sur la terre apparaît en ange aux ailes blanches et aux oreilles de chien.
Cette farce burlesque est un micro-conte lunaire, un bonbon acidulé…

 

Véronique Hotte

 

Théâtre de l’Aquarium, Cartoucherie de Vincennes du 25 mars au 13 avril du mardi au samedi à 20h30, le dimanche à 16h. T : 01 43 74 99 61

Le texte est publié aux Éditions Espace 34.

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