Le Faiseur de théâtre

 Le Faiseur de théâtre de Thomas Bernhard mise en scène de Julia Vidit

 

528  En pleine tournée régionale, Bruscon, un comédien d’État, par ailleurs tyran domestique envers sa femme, son fils et sa fille,  échoue dans la salle de bal du Cerf Noir à Utzbach, petite commune de de deux cent quatre-vingts habitants. Accueilli par  l’hôtelier,  sa femme et leur fille en effervescence qui  s’apprêtent à tuer le cochon et à faire les saucisses de la semaine…
Plein d’arrogance, et de mépris haineux pour cet Utzbach  aux  « vieilles gens qui n’entendent ni ne voient», l’acteur ne cesse d’entreprendre l’hôtelier, entre admonestations et injures, pour qu’il lui serve du bouillon à l’omelette et qu’il informe sans délai le capitaine des pompiers de son exigence : avoir le noir absolu à la fin de sa comédie, La Roue de l’Histoire, une pièce sur l’humanité avec César, Napoléon et Churchill…
Ressassement, répétitions, obsessions, folie, imprécations et désespoir, Bruscon dans Le Faiseur de théâtre (1984) est un personnage typique de Thomas Bernhard qui entretenait une relation de fascination-répulsion pour le théâtre et pour ceux qui le font. Il fait ici le
portrait d’un cabotin, nostalgique d’un théâtre perdu, à la fois aimé et haï : Bruscon a joué Faust à Berlin et Méphisto à Zürich. « Le monde est féroce, dit-il à sa fille, et n’épargne personne, pas un être, rien; tout est conduit au naufrage par lui. » Sa famille constitue une entreprise théâtrale et sa femme, son fils et sa  fille sont les créatures de cet homme au  pouvoir tyrannique, qui joue de sa théâtralité à outrance pour réduire ses proches à de simples serviteurs tout justes bons à porter les malles…
Il ignore son fils;  quant à sa fille et à sa femme qui tousse,   l’acteur les sollicite  mais pour mieux les renier aussitôt après. En proie à un sentiment mystique, à la mélancolie et à la solitude, Bruscon est interprété par François Clavier,  avec  un chapeau à larges bords et  un manteau qui lui tombe aux chevilles, et  avec  une canne à la main;  les didascalies de l’auteur mènent à une vision napoléonienne que souligne encore Julia Vidit.
François Clavier semble en effet  sorti  d’un tableau au pessimisme romantique de Caspar David Friedrich. C’est un comédien bourré de talent qu’on  voit  souvent au théâtre mais la folie du personnage bernhardien ne lui sied guère et une attitude zen naturelle l’empêche de basculer dans la déraison. Quant à la mise en scène approximative, elle  mélange maladroitement les genres: les hôteliers semblent sortis de la tribu des clowns du formidable théâtre russe Licedei, et ces pantins fantasques ressemblent à des marionnettes vivantes et  burlesques qui se dandinent comme sur  une piste de cirque.
Traités au premier degré par la metteuse en scène qui a pris
au pied de la lettre l’univers bernhardien,  ils semblent appartenir à un autre spectacle et, du coup, provoquent un contre-sens  quand  Bruscon prononce son discours ridicule. La dimension symbolique de l’œuvre se perd en effet , au profit d’un drame petit-bourgeois,  quand le tyran use et abuse de son pouvoir domestique, en réduisant sa fille à une souillon  et à une victime de la maltraitance parentale.

 Véronique Hotte

 Théâtre de L’Athénée à Paris, jusqu’au 12 avril, le mardi à 19h, mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 20h, matinée exceptionnelle dimanche 6 avril à 16h. T : 01 53 05 19 19

Le texte est  publié aux Éditions de L’Arche.

 

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