Emilia de Claudio Tolcachir
Emilia, texte et mise en scène de Claudio Tolcachir.
Après Le Cas de la famille Coleman (voir Le Théâtre du Blog) et El Viento en un violin, le public français découvre Emilia, quatrième pièce de Claudio Tolcachir, créée à Timbre 4 à Buenos-Aires.
La conception originale de l’espace accroche le regard : une pièce carrée, bordée de piles de couvertures pliées avec soin, le long de murs invisibles qui cernent la surface, telle une bordure laineuse, moelleuse et feutrée, que les comédiens arpentent pour se détendre, au cours de la représentation.
Cela s’apparente à un gîte social, à un foyer-résidence pour jeunes travailleurs, ou encore au refuge modeste et incertain d’une organisation humanitaire. Avec comme connotations : une précarité de logement et des urgences à gérer.
Mais les habitants du lieu viennent juste d’emménager dans leur nouveau domicile et les couvertures accumulées et pliées représentent des cartons de déménagement qui ne sont pas encore défaits; et ils ne savent même plus où sont rangés les vêtements ni la vaisselle… Un sentiment de malaise tombe comme une chape de plomb sur le noyau familial.
Pour les besoins d’une femme âgée, Emilia qui souffre de grande pauvreté, Walter, autour duquel tournent les autres personnages, Caro, sa femme, et Léo leur fils cherchent dans les cartons, des vêtements à donner à Emilia qui vient ainsi de rencontrer par hasard dans la rue, ce Walter qu’elle a gardé enfant, un garçon malheureux dont les parents ne s’occupaient guère et qui était reclus dans la solitude.
Emilia est la narratrice enjouée d’une l’intrigue qui va se dévoiler sous les yeux du spectateur. Une fois les scènes d’un passé récent jouées, Emilia fait, par intermittences, retour sur elle-même, quand elle était bouclée dans une cellule de prison. Un crime a en effet été commis dans la famille, qu’a rejoint Gabriel, le père naturel de Léo qui vient de décrocher un emploi et qui aimerait renouer avec Caro.
Claudio Tolcachir s’appuie sur la confrontation physique et verbale des personnages englués dans la douleur diffuse d’une misère affective et matérielle, que les comédiens aguerris transcendent. Ils incarnent des êtres d’une violence extrême dans leurs relations quotidiennes fondées sur le non-dit. Ils se confondent d’abord en embrassades, puis se rassurent mutuellement avec des manifestations d’un prétendu amour avant, l’instant d’après, se rejeter et s’agresser.
Walter, le malheureux enfant malmené d’autrefois, transmet à ses proches d’aujourd’hui, la violence qu’il a subie, et l’enfant réel du présent au milieu d’adultes non matures, devient sa victime, comme si l’espoir d’un basculement positif dans une existence plus équilibrée, était impossible… La violence, les rapports de pouvoir et la volonté de domination se faufilent directement d’une génération à l’autre.
La direction d’acteurs est précise et les comédiens incarnent physiquement la confusion des valeurs et des sentiments dans des relations de trop grande proximité et devenues inhumaines à force d’excès, quand, de plus, la misère étouffe les êtres, ainsi empêchés de vivre en liberté.
Une fresque tendue où Claudio Tolcachir dénonce âprement des conditions de vie inacceptables.
Véronique Hotte
MAC Créteil/Maison des Arts, les 27, 28, 29 mars. En espagnol, surtitré en français. Les Colonnes, Saint-Médard-en-Jalles/Blanquefort, les 1er et 2 avril. Théâtre de Vanves, Festival Ardanthé, le 5 avril et Scène nationale 61, Alençon, les 8 et 9 avril. Théâtre Paul Éluard à Choisy-le-roi, le 11 avril. Théâtre de la Manufacture à Nancy, le 16 avril.