Noblesse et bourgeoisie

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Noblesse et bourgeoisie  de Carlo Goldoni, mise en scène d’Attilio Maggiuli

La Comédie Italienne donne toujours depuis octobre 2013  cette pièce  de Goldoni dans son chaleureux petit théâtre de la rue de la Gaité. Attilio Maggiuli, à la caisse, distribuait des billets fait à la main,  en s’excusant de ne pouvoir imprimer de programme. « Nous n’avons plus d’argent, dit-il, heureusement que nous parvenons toujours à remplir la salle ! ».
On se souvient du désespoir de cet ancien assistant de Giorgio Strelher qui avait  tenté de défoncer les grilles de l’Élysée,  après avoir brûlé un Arlequin de paille fin 2013.

Il fut longtemps soutenu par la D.R.A.C. d’Ile-de-France mais  sa convention a été suspendue depuis trois ans, et il ne bénéficie plus que de crédits ponctuels,  insuffisants pour faire tourner la maison dans de bonnes conditions.
Qu’importe, la Comédie Italienne en son quarantième anniversaire, joue tous les jours, et même deux fois le mercredi, avec Ce fripon de Dom Juan un spectacle pour enfants, adapté du  Don Juan de  Molière.

Cette histoire d’époux volage courtisant une marquise du voisinage, retenu par une épouse dévouée,  est jouée avec une belle maîtrise par des acteurs rompus à la commedia dell’arte dans un décor traditionnel qui élargit cet espace minuscule. La perfide marquise, maîtresse courtisée, est interprétée par un travesti, et l’épouse fidèle et déterminée à garder son malotru de mari avec une douceur implacable, par Hélène Lestrade.
On ne boude pas son plaisir devant cette bonne vieille commedia dell’arte !

Edith Rappoport

Comédie italienne, rue de la Gaieté Paris 75014, du mardi au samedi à 20 h 30, dimanche à15 h 30, Tél 01 43 21 22 22, www.comedie-italienne.fr


Archive pour mars, 2014

Un barrage contre le Pacifique

Un barrage contre le Pacifique de Marguerite Duras, mise en scène de Juliette de Charnacé

 

pacifiqueCent ans après sa naissance au Viêt Nam, Marguerite Duras reste plus que jamais vivante sur les scènes françaises. Après Didier Bezace qui présente trois de ses pièces au Théâtre de l’Atelier (voir Le Théâtre du Blog) et  il y a deux ans, le bel Eden Cinéma, (voir aussi Le Théâtre du Blog) monté par Jeanne Champagne,  Barrage contre le Pacifique nous plonge dans son enfance sauvage et passionnée, auprès d’une mère devenue veuve  qui se lança dans de folles aventures pour repousser l’océan.
À quinze ans, Suzanne grandit dans un amour  pour son jeune frère Joseph qui lui permet de tenir face aux extravagances de « la mère » qui, dès sa retraite, vend à trois reprises tout ce qu’elle a réussi à économiser en jouant du piano à l’Eden Cinéma pour compléter son salaire d’institutrice. La mère s’obstine a à faire cultiver une immense étendue régulièrement envahie par l’océan Pacifique, et les enfants se réfugient dans leurs rêves.
Pour tenir financièrement, il y a une issue: elle envisage le mariage de Suzanne avec le riche Monsieur Jo, propriétaire d’un splendide voiture, une Morris Léon Bollée, amoureux fou mais pas jusqu’au mariage. Malgré le don de trois diamants que la mère cherchera vainement à vendre à Saïgon, le barrage ne sera jamais édifié. Épuisée, elle finit par mourir sous la garde de sa fille, Joseph , lui,  est parti pour des amours lointaines.
Le décor de Goury, un grand bastingage de bateau ouvert sur l’horizon, entourant un espace de bidonville où se réfugie la famille, et les lumières  subtiles  de Rémy Nicolas offrent un cadre réussi à ce drame familial. Mais les acteurs s’enlisent dans une mise en scène maniérée, Suzanne se tortille dans des danses sans intérêt, la mère avec sa longue natte blonde et ses oripeaux  est quasiment absente et Jo, le petit frère visiblement plus vieux que son aînée; quant à Monsieur Jo, l’amant refusé,  il manque singulièrement de charisme. Munkhtur, le caporal  au service de la famille, manipule les accessoires silencieusement. Nous restons néanmoins attentifs devant cette incroyable épopée lyrique éclairée par la musique de  Ghedalia Tazartès.
Premier grand succès en librairie publié en 1950, Barrage contre le Pacifique avait manqué de peu le prix Goncourt, mais cette chronique noire de son enfance souvent portée à la scène et au cinéma, rayonne de légèreté et d’humour.

 Edith Rappoport

Théâtre de l’Athénée jusqu’au 22 mars, mardi à 19 h, mercredi, jeudi, vendredi, samedi à 20 h, dimanche 16 mars à 16 h.

 

 

 

L’ile des esclaves

L’ile des esclaves de Marivaux, mise en scène de Benjamin Jungers

 

1c0b7eacc435373a1de07d13ff22b69eCette comédie en un acte de Marivaux «Une bergerie révolutionnaire de 1792 », selon Sainte-Beuve, apparaît aujourd’hui comme pré-révolutionnaire, alors qu’elle date de 1725.
Son format explique peut-être le fait qu’elle ait été peu montée, à moins que ce ne soit sa radicalité. Mais elle figure au programme du baccalauréat, et en voici plusieurs mises en scène.
Marivaux propose ni plus ni moins que, sur l’île où Hiphicrate et Euphrosine ont échoué, accompagnés de leur esclave respectif, Arlequin et Cléanthis, les esclaves deviennent maîtres et vice et versa, afin que les maîtres fassent l’expérience et se corrigent de leur « barbarie  ».
S’ensuit comme toujours chez Marivaux, un chassé croisé d’identités, de jeux et de troubles amoureux . Mais le propos de la pièce sous sa légèreté apparente, est profondément moral.
Pour sa mise en scène, Benjamin Jungers a choisi la simplicité, ce qui permet de bien entendre la pièce. Sur le petit plateau du studio de la Comédie-Française, il était difficile de faire figurer la mer. De grands rideaux blancs rappellent astucieusement les voiles d’un navire ; ils clôturent l’aire de jeu et ouvrent sur des espaces ombreux. Nàzim Boudjhena interprète, avec la rigueur qui s’impose Trivelin, le gouverneur des lieux qui fixe aux protagonistes les règles du jeu.
Arlequin, que Marivaux a voulu facétieux, est un amoureux bien terne quand il fait sa cour à Euphrosine. Il faut dire que le personnage n’est pas à la hauteur de sa dulcinée. Catherine Sauval, en Euphrosine, est plus convaincante dans son désarroi de maîtresse déchue, que ne l’est sa servante (Jennifer Decker) dans son impertinence vengeresse.  Son jeu, nerveux et rigide,  prête en effet peu au rire, même lors du portrait hilarant qu’elle brosse de sa maîtresse.
La vigueur de Marivaux est bien  là, et  sa langue brillante et efficace, ses facéties et son impertinence aussi. Même si le spectacle hésite souvent entre la comédie et la satire morale, il mérite le détour, surtout pour ceux qui ne connaissent pas la pièce ou qui préparent leur bac.

 

Mireille Davidovici

 

6 mars – 13 avril – 18 h 30

Studio-Théâtre de la Comédie-Française – 99 rue de Rivoli (Carrousel du Louvre)

– T. 01 44 58 98 58 www.comedie-francaise.fr

Occident

Occident de Rémi De Vos, mise en scène de Dag Jeanneret.

 

p153577_14Ce n’est pas drôle, c’est même sordide, et pourtant on rit à chaque réplique ou presque, tout au long de ce jeu de massacre auquel se livre un couple affreux sale et méchant.
De tableau en tableau, le même rituel : il l’insulte, elle répond en le provoquant davantage. Il lui déballe sa pauvre vie de poivrot xénophobe, qui traîne du Flandres, café des Frontistes, au Palace, bar des Yougoslaves.
Elle lui reproche sa libido défaillante et excite sa jalousie. Sans trêve, ils se balancent des insultes à la chaîne, des grossièretés, des menaces : l’alcool aidant, il lui sert du: «Salope, je vais te tuer», elle le traite de «Sale facho alcoolique et impuissant»…
Parfois, à court d’arguments, il lui crie son amour, mais il n’aura de cesse de continuer sa descente aux enfers, dans la haine de l’autre et du dégoût de soi.  Elle, ironique, sans complaisance,  entre cependant dans son manège et l’entraîne encore plus loin dans la déshumanisation. Le tragique n’est pas loin. Si Occident renvoie, pour Rémi De Vos, « à là où le soleil se couche », et aussi à une réplique de la pièce, on pense surtout à notre monde occidental et plus précisément à ses dérives nationalistes.
C’est une spectacle bien rodé : Occident a été créé par Dag Jeanneret en 2008 et a fait l’objet d’une soixantaine de représentations, et  n’a pas perdu de sa fraîcheur. Stéphanie Marc et Christian Mazucchini s’en donnent à cœur joie dans l’escalade de la violence verbale, sans jamais sortir de la rigueur qui convient à l’écriture quasi métronomique de Rémi De Vos (Molière du meilleur auteur 2008). Ils ne cherchent pas les rires : tout débordement désamorcerait le processus implacable de la déchéance de leur personnage.
Un espace abstrait et dépouillé, l’exclusion de tout geste domestique ou  anecdotique , met en valeur l’art du dialogue de l’auteur et réduit jusqu’à l’os cette impeccable machine à jouer où le rire qui surgit constamment,  cependant
nous glace.

 

Mireille Davidovici

 

 

Théâtre du Rond Point, 8 bis avenue Franklin Roosevelt, 75008 Paris, T. 01 44 95 98 44 ; du 5 mars au 6 avril theatredurondpoint.fr

9-10 avril Biennale des écritures du réel, Marseille

18 avril Espace Vergèze, Vergèze (30)

 

Occident est publié par Acte Sud-Papiers

Médée, poème enragé

Médée, poème enragé, écrit et interprété par Jean-René Lemoine

medéeOn parle du mythe de Médée. Mais ce qui fait sa pérennité, c’est sa richesse : Médée est plusieurs mythes. Médée, c’est l’effroi : la mère qui tue ses fils par vengeance, pour tuer leur père Jason, et par amour, dit-elle, pour qu’ils ne tombent pas en d’autres mains. Cette Médée-là, c’est l’impensable, qui trouve son apothéose dans le chant lyrique, à l’opéra. Et puis il y a Médée la magicienne, Médée l’étrangère. Les Médée de la littérature ont la grandeur de cette complexité : celle de Corneille, par exemple, vit et meurt de l’ivresse d’un isolement absolu : «…que me reste-t-il ? Moi, moi, dis-je, et c‘est assez». Elle tue ceux qu’elle aime –pourquoi non ? L’amour a eu lieu, quel plus haut prix la vie pourrait-elle offrir ? -, déchiquette son frère chéri pour fuir avec les Argonautes, pour retarder la poursuite de son père. Elle tue la fille du roi qui les a recueillis, et le roi, pris dans les flammes, et leur palais : Jason ne prendra pas une nouvelle jeune épouse, ils sont trop engagés ensemble par le sang. Elle tue ses fils.
Dans son poème, Jean-René Lemoine la fait naviguer, usée, flétrie, vers le tombeau muet de ses parents. Sorte d’Antigone inversée, ayant tué tout espoir, elle va rejoindre ses morts et se décomposer avec eux. Puis il reprend la légende à sa source. Il le “file“ pour nous avec des mots qui pourraient être ceux de la pornographie et qui s’élèvent à la hauteur de la tragédie. Au centre du cercle de la lumière, il se présente, élégant et doux, femme et homme. Droit devant : il est, à l’évidence, d’aujourd’hui, et il porte une parole trimillénaire. Pas de morale, pas d’excuses : la passion est ce qu’elle est, l’instant de l’acte est sans retour. Le public est avec lui, dans le même souffle, emmené par la musique entêtée de Romain Kronenberg. Arrive le moment où la Médée étrangère, l’exilée, prend le dessus. C’est vrai, et l’on y retrouve ce monde que nous connaissons bien : Assez de la femme désirée comme un objet exotique ! Assez de l’asservissement par la laideur du monde puissant –le notre- qui détruit la beauté de celui qu’il colonise. Elle ne s’excuse pas –et de quoi ?-, elle accuse. Ou c’est lui. Jean-René Lemoine poète et acteur a parfois des accents à la Genet. Mais ce qui tient en haleine, c’est la haute tenue, l’élégance de son «poème enragé». Élégant ne signifie pas joli, mais fin et efficace comme une lame ; et haute tenue ne signifie pas abstraction, mais exigence d’aller droit et fort là où il faut aller.

À la sortie, malgré lui, le poète acteur est livré à l’excès d’amour du public, comme un Orphée effleuré par les bacchantes. C’est le prix à payer pour être allé si loi, et peut-être un moyen de revenir parmi nous.

 

Christine Friedel

MC 93 à Bobigny, 01 41 60 72 72, jusqu’au 23 mars

Liliom

Liliom, de Ferenc Molnar, mise en scène Galin Stoev

 

liiomAvec son nom de pureté, Liliom n’est rien qu’un  bonimenteur de foire, voyou rouleur de mécaniques, pas même délinquant : quand il s’y essaie, il échoue tragiquement. Mais il plaît aux femmes, et rameute les petites bonnes au manège de la veuve Muskat. De trop près, au goût de celle-ci, jalouse.
Et voilà le mauvais garçon qui, dans un coup de révolte contre sa patronne, se fait chasser du manège et se met en ménage avec la petite Julie, mise à la rue pour avoir fait la fête un peu trop tard. Misère, coups, elle l’aime, depuis l’instant où il a bravé la veuve pour elle.

L’aime-t-il ? Peut-être, mais ça ne se dit pas, ces choses-là, quand on est un mec, un vrai. Donc, prendre des sous à la tante photographe qui les héberge « en attendant » – en attendant quoi ? Liliom est incapable de travailler, et passe son temps boire des bières avec le copain un peu plus malin,  et à défier la veuve… La copine de la pauvre Julie assiste à tout cela, navrée, en faisant elle-même le chemin raisonnable d’épouser un concierge qui, forcément, va monter en grade.
Jusqu’au jour où : Julie annonce à Liliom qu’elle est enceinte. Alors, là ! Liliom va gagner de l’argent, ils iront en Amérique, c’est sûr. Et justement le copain propose un coup facile : le caissier de l’usine d’à côté passe le long de la voie de chemin de fer, il n’y a qu’à…
Naturellement, il refile à Liliom le couteau et la responsabilité du crime. Police, suicide, on retrouve notre lamentable héros en un paradis qui ressemble bien à l’enfer terrestre : un commissariat de police supérieur. Liliom aura-t-il droit à sa journée de rédemption sur la terre ? Sera-t-il capable de faire « quelque chose de bien » pour sa fille qui ne le connaît pas ?

Galin Stoev traite la fête foraine avec une sorte de lyrisme baroque, en un tourbillon de monstres et de masques, de semi animaux et de paillettes. Sur ce fond coloré, les êtres sont d’une terrible pauvreté : qu’est-ce qui fait le charme de Liliom, sinon le fait qu’on parle de son charme ? Qu’est-ce qui fait sa virilité, à ses propres yeux, sinon qu’il joue les virils, les forts, la provocation à la bouche, sans rien dans les mains ni dans les bras.
C’est là que la pièce touche étonnamment. Ce monde vieux d’un siècle (la pièce est de 1909) supporte parfaitement la transposition aujourd’hui, même s’il n’existe plus de petites bonnes et si les manèges sont devenus technologiques.
Et d’abord grâce à la traduction. Dans ce carnaval presque onirique, on voit un garçon d’aujourd’hui, de ceux qui sont « sortis du système éducatif sans diplôme », sans qualification, bien obligé de jouer les faux durs, faute de mieux. Et une femme battue, amoureuse quand même, – c’est de sa faute ? – comme il y en a tant, courageuse avec ça, et capable d’élever seule sa fille. De ceux qu’on ne voit pas, au-delà du périphérique ou dans les villes qui s’éteignent. Il y a dans cette histoire de l’amour, sans les mots pour le dire, et de la dignité si on veut bien la voir.
Voilà un spectacle emballé sur un rythme juste, beau de sa double théâtralité : la riche mise en scène de la fête et la vérité grise et noire –mais le noir est une couleur- de ses personnages de pauvres.

 

Christine Friedel

 

Théâtre National de la Colline, 01 44 62 52 52 jusqu’au 4 avril

Le texte est publié aux éditions Théâtrales

Variations sur Hiroshima mon amour

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Variations sur Hiroshima mon amour* d
e Marguerite Duras, mise en scène de Patrice Douchet.

 

« Nous sommes dans l’été 1957, en août, à Hiroshima, où une jeune française, d’une trentaine d’années est venue pour jouer dans un film sur la paix… C’est la veille de son retour que cette Française – cette femme anonyme – rencontrera un Japonais et qu’ils auront ensemble une histoire d’amour… Hiroshima sera le terrain commun (le seul au monde peut-être ?) où les données universelles de l’érotisme, de l’amour et du malheur, apparaîtront sous une lumière implacable. » Marguerite Duras résume  ainsi le scénario d’Hiroshima mon amour qui créa l’événement du festival de Cannes 1959.
Par la suite, Duras publiera le scénario destiné à Alain Resnais, en y superposant commentaires et descriptions des images du film. Un texte palimpseste, interprété dans son intégralité dans ces Variations sur Hiroshima mon amour
Seule en scène, Dominique Journet-Ramel donne corps et voix aux protagonistes du film dont quelques séquences surgissent au ralenti. Elle joue tantôt les deux personnages, tantôt dialogue avec une bande sonore, ou lit le texte de façon neutre, les images prenant alors des allures de didascalies. Ces différents modes d’interprétation produisent un effet de montage renvoyant non seulement à la mémoire du film mais aussi à la trace qu’en gardent certains spectateurs ou encore à l’histoire de cette mise en scène.
Patrice Douchet, directeur du Théâtre de la Tête Noire, fréquente Duras depuis plus de quinze ans et revient ici sur une réalisation antérieure de 1998. Il fait de son côté un travail de mémoire, mêlant les voix enregistrées des acteurs de la première version avec Marie Landais, Gilles Dao et Dominique Journet-Ramel),  à celle bien vivante de l’actrice en scène. La mise en scène manie avec délicatesse le contraste entre ces sons d’un autre âge et le jeu parfois distancié, parfois ému de la comédienne. Cette mise en abîme peut sembler parfois trop systématique, cassant l’émotion du texte, et morcelant par trop le rythme.
Mais n’est-ce pas là le sujet même d’Hiroshima mon amour où, au présent absolu de l’histoire d’amour japonaise, se superposent, sur fonds de ruines et de mort, les souvenirs de Nevers en France ?
Au cours du spectacle, et c’est sa vertu, reviennent des images du film, d’autres images de guerre ou d’amour. Reviennent aussi d’autres voix : celle d’Emmanuelle Riva ou celle d’actrices dans des  films de Marguerite Duras, celle surtout de La Dame de Trouville, si présente dans son écriture.

 

Mireille Davidovici

 

 

Théâtre du Lucernaire 53 rue Notre-Dame des Champs 75006 jusqu’au 26 avril à 18 h 30

T. : 01 45 44 57 34 ; www.lucernaire.fr

Hiroshima mon amour est publié aux éditions Gallimard.

Session House

Session House: à Tokyo, un centre de danse contemporaine.

session house Situé au sommet d’une colline à Tokyo ,dans ce qui est appelé le quartier français, compte-tenu du nombre d’expatriés qui y habitent, Il est connu de tous les danseurs japonais,  en particulier de ceux qui vivent en Europe comme Kaori Ito qui a travaillé récemment avec Aurélien Bory et qui présente bientôt Asobi au théâtre National de Chaillot.  Avec une architecture  originale, développée verticalement, il possède un  studio modulable  en sous-sol, créé en 1991, en même temps lieu de répétition et une salle de spectacle  pouvant accueillir une centaine de spectateurs,  au deuxième étage,  The Garden, créé en 1993,  est un lieu d’exposition et de performances dansées.
Ce centre, à but non lucratif et dirigé par Takashi Ito, est aussi singulier par ses activités multiples.  C’est d’abord un lieu de formation, tant pour les amateurs que pour les professionnels,et  il accueille plusieurs ateliers de valeur, dont celui d’un danseur de la troupe de Pina Bausch, Jean-Laurent Sasportes,  qui a lieu chaque été. C’est aussi un centre de création, avec la compagnie Mademoiselle Cinéma dirigée par Naoko Ito depuis 1993.
Session House a comme caractéristique singulière, de donner la possibilité à chaque danseur seul ou en groupe de présenter, sans aucune contre-partie financière leur travail. Session- House accueille n’importe quel danseur dans Theater 21 Fes, petits concours sans sélection préalable. A l’issue des représentations composées de cinq courtes pièces de différents artistes, le public fait d’amateurs et de professionnels de la danse donne son avis ainsi que Madame et Monsieur Ito,  et le spectacle choisi bénéficie alors d’un partenariat de la part de Session-House afin de pouvoir y être travaillé et représenté à nouveau.
Le plus surprenant: il n’existe pas de sélection initiale, et ce sont les premières cinq personnes qui téléphonent au centre, dès que est parue l’information de la nouvelle session, qui obtiennent le droit de présenter leur travail. Cette sélection a lieu quatre fois par an depuis une dizaine d’années. L’ensemble de ces manifestations font de Session-House une véritable ruche de création, fourmillante de vie et de jeunesse d’esprit.

Jean Couturier

www.session-house.net

La Femme-Oiseau

La Femme-Oiseau, adaptation de Joël Jouanneau et mise en scène d’Alain Batis.

La-femme-Oiseau-Photo-Laurencine-Lot Dernière création d’Alain Batis «La Femme Oiseau», adaptation de la légende japonaise de la femme grue. Très connu au Japon, ce texte, lui même né d’une vieille fable chinoise met en scène Yohei qui, par un matin de neige soigne une grue à  l’aile blessée. Dans la soirée une mystérieuse jeune femme, frêle et grelottante frappe à sa porte, lui demandant l’hospitalité et propose même de devenir sa femme et de tenir la maison. Pour subvenir à leurs besoins, la  femme tisse une étoffe somptueuse qui attise les convoitises. Elle ne demande qu’une seule chose à Yohei : ne jamais la regarder lorsqu’elle tisse. Elle passe trois jours et trois nuits à tisser sans discontinuer et elle en ressort  à bout de forces, à peine vivante. Dans un dernier effort elle tisse et impose un dernier défi à Yohei en lui  demandant d’aller vendre l’étoffe dans la lointaine et grande ville. Le titre de la pièce ne laisse que peu de mystère quand à la découverte finale …
Sur le plateau ils sont cinq, comédiens, musiciens, chanteurs, manipulateurs de marionnettes, ils font un peu tout, on peine parfois à les reconnaître  et  c’est un joyeux bazar organisé. L’économie de production du spectacle jeune public  a plutôt tendance à nous proposer des spectacles jeunes public avec une distribution des plus réduites. Ici un plancher clair, un fond opaque propice au théâtre d’ombre, quelques arbres et d’une cloison amovible représentant la maison de Yohei. Quand tout ça est en lumière c’est très réussi: la forêt est particulièrement profonde. Les grands panneaux transparents sont peut être un peu de trop:
manipulation délicate et utilité douteuse.
Il y a une belle unité dans ce plateau, quelque chose d’ artisanal, d’un peu « papier mâché » qui colle bien avec l’univers de l’enfance et de tout ce que les enfants construisent de leurs mains pour se raconter des histoires. La superbe marionnette de la grue est l’œuvre  de Camille Trouvé, qui, avec sa compagnie les Anges au Plafond  a récemment incarné Camille Claudel. On  trouve aussi une critique virulente du capitalisme qui nous sort un peu de notre rêverie  Les comédiens sont justes; mention spéciale à la comédienne  du rôle titre qui insuffle toute la légèreté, le tremblement, bref la chorégraphie nécessaire à cette femme-grue. Malgré quelques  noirs un peu trop longs entre les séquences, peu à peu on entre bien dans cette histoire dont on sent que la fin sera tragique. La musique se partage entre bande sonore et interprétation sur le plateau avec harpe, piano, flûte, et  très présente, parfois peut être un peu trop pour  ne pas perdre l’attention des enfants . Le chant lyrique  surprend les enfants mais il est relativement bien intégré et pas trop récurent.
C’est une proposition pour la jeunesse, intelligente, avec une réécriture juste et une belle mise en scène  d’Alain Batis, on y retrouve le talent d’un Joël Jouanneau qui sait mieux que personne s’adresser aux enfants.

Julien Barsan

Théâtre Dunois jusqu’au 16 mars, puis du 18 au 20 mars à l’espace Georges Simenon de Rosny-sous-Bois,  et Théâtre Antoine Vitez d’Ivry du 27 au 29 mars.

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Un Chien dans la tête

Un Chien dans la tête de Stéphane Jaubertie, mise en scène d’Olivier Letellier

13112901_RdL_0056 La honte est un déshonneur, un sentiment pénible d’infériorité et d’indignité devant sa propre conscience, d’humiliation devant autrui et d’abaissement dans l’opinion des autres.
On note dans les interprétations seiziémistes de l’origine du mot honte, une pratique judiciaire ancienne et régionale de l’Est en France: quand un gentilhomme était condamné pour un délit grave – sédition, vol, incendie – on l’humiliait avant de l’exécuter en lui faisant «porter sur les épaules un chien à travers champs, jusques aux limites du prochain territoire» ; la désignation du chien en allemand étant hund, le français aurait emprunté ce mot pour faire honte.
Une étymologie certes curieuse, approximative et invérifiable. Mais comment ne pas penser au titre imagé de ce spectacle judicieux et inventif, pour l’œil des grands comme pour celui des plus jeunes, qui met au centre de l’intrigue, un enfant victime de la honte, à travers un flot de moqueries et d’insultes infligées non pas à lui-même mais à son père devenu fou. Tel est le Fils (Jérôme Fauvel), singulier et universel, l’interprète scénique de son propre rôle, garçonnet blessé du passé et adulte équilibré du présent.
Ce héros douloureux joue sa partition enfantine de jeu mais  porte aussi  la narration en même temps qu’un sentiment de culpabilité brute qu’il libère et échange avec deux autres comparses, Celle qui reste (Camille Blouet) et le Fils de la Baleine (Alexandre Ethève), des enfants facétieux et amusés qui viennent troubler le for intérieur du protagoniste, des compagnons de route héritiers, de leur côté, d’une histoire personnelle sur le chemin de la vie et d’une destinée autonome.
La mise en scène d’Olivier Letellier est un festival scénographique de jeux  d’ombres et de lumières, de couleurs nuancées et acidulées sur un espace d’un fond bleu  lumineux, un feu d’artifices d’images et d’accessoires insolites. Autour d’un canapé autel, symbole de scène initiale et de foyer familial, des marionnettes comiques, des silhouettes d’adolescents de B.D. et des poupées roublardes, tombent du ciel, glissant en acrobates d’une barre verticale, qui semblent comme rattrapées par les comédiens qui les manipulent avec malice.
Portée à la tige par Camille Blouet, une longue chevelure rousse onirique et inquiétante désigne avec subtilité l’étrangeté de la mère, tandis que des filets de brume voyageuse issus de sa sempiternelle cigarette volètent pesamment dans une ambiance sourde d’enfer obscur.
La représentation se met à l’exact diapason de l’écriture vive et incisive de Stéphane Jaubertie, et les acteurs excellent à dessiner dans l’espace qu’ils habitent avec une aisance, une vivacité gestuelle tonique, et une liberté corporelle admirable.
Cette histoire existentielle est celle de tous : humour, déplacements soudains, bonds et rebonds, mouvements vifs, corps contrôlés, chutes, pirouettes et réceptions salvatrices. Les réparties enfantines, cruelles et pernicieuses, ajoutent leur concert de voix cristallines et coupantes à ce ballet baroque – un constat d’humanité maladroite par lequel il faut passer pour être enfin libre.
Apprendre à grandir, c’est aussi savoir ne pas esquiver, et prendre de plein fouet les menaces superficielles qui s’annoncent, pour les dépasser, les transcender et mordre la vie.

 Véronique Hotte

 Tout public à partir de 9 ans. Théâtre National de Chaillot, Place du Trocadéro, Paris XVIème du 4 au 12 mars. T : 01 53 65 30 00

 

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