Un, de Mani Soleymanlou.

Un, texte, mise en scène de Mani Soleymanlou.

 

 Pour ce monologue autobiographique,  aucun décor sinon  des rangées de chaises vides, alignées sur  la scène. Le comédien, assis tout seul, s’adresse au public et l’invite à rompre un tabou  sacré  de la représentation actuelle: «Gardez votre mobile allumé! Et parlez quand vous voulez. » Dès le départ, il se met en scène dans le rire et un chaos des plus joyeux, et pourtant le contenu du spectacle reste toujours  sérieux, même empreint d’auto-dérision.
L’acteur/auteur/personnage explique qu’il veut nous montrer sa trajectoire de vie depuis son départ de Téhéran, quand il était  encore enfant. Toutefois, l’essentiel de son propos tourne à la fin, vers un  délire verbal en trois anglais, français et parsi… Les paroles  se fondent les unes dans les autres pour devenir une bouillie incompréhensible.
 Mais on comprend vite la signification globale de ce bruitage  qui  efface toutes les frontières linguistiques, géographiques et culturelles. Ainsi, sans explications complexes, ce Torontois-« Arabe » -Québécois–Iranien, qui est  passé aussi par Ottawa et Paris pour arriver à Montréal, où il a mis du temps à s’adapter, termine la soirée  en nous  faisant cadeau  de la véritable nature de son identité québécoise, dont il  a été question tout au long du spectacle.
Incapable  de nous expliquer qui est ce « moi » qui ne connaît même plus son pays d’origine,  puisque  les sources de son identité  sont de plus en plus floues, sans avoir disparu complètement, il nous fait comprendre que cette masse  de traces auditives constitue  une métaphore  scénique la plus juste et la plus vraie de l’identité individuelle, puisque la « pureté » n’existe plus. Un est le rassemblement  complexe de la  diversité qui nous définit tous.
L’acteur  passe les premières  minutes à régler l’éclairage, à jouer le metteur en scène, à prendre possession de la salle et du public, avant d’ouvrir cette mise en abyme qui fouille la mémoire et  nous plonge dans le passé, à l’aide d’éclairages magiques, de musique nostalgique et de bruits d’avion. Il révèle  son don de conteur, et  possède un  sens de dérision qui vise tous les régimes, tous les individus, y compris lui-même.
On suit les  péripéties de sa famille, les retours au pays pendant les vacances, l’histoire des origines de la culture perse racontées par un acteur qui se transforme en marionnette de théâtre d’ombres, un beau moment de théâtre visuel. Il nous livre aussi ses impressions  sur l’histoire contemporaine  des régimes islamistes depuis le départ du Shah, assortis des commentaires sur la vie quotidienne des jeunes et la politique des régimes iraniens  actuels. Le récit coule librement, presque avec l’aisance d’une bande dessinée, et on pense par moments  à Persepolis,  le roman autobiographique de Marjane Satrapi.
L’humour est  thérapeutique, incisif, démocratique et  sa vision du monde est d’une grande ouverture. Il refuse d’être emprisonné par des définitions toutes faites et c’est rafraîchissant. Dans le monde de Un , tout évolue, tout s’adapte, tout est constamment en état de flux  et commence par  un jeune  barbu, pétillant d’énergie, qui rejette les stéréotypes et finit par nous offrir, grâce au théâtre,  la meilleure définition de notre identité humaine qu’on puisse imaginer.


Alvina Ruprecht
 Centre national des Arts, Ottawa, du 5 mars au 8 mars. Au Tarmac à Paris,  du 18 au 28 mars.
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Archive pour mars, 2014

La Visite de la vieille dame

La Visite de la vieille dame, de Friedrich Dürrenmatt, traduction de Laurent Muhleisen, mise en scène de Christophe Lidon

_ND31013L’œuvre du neuchâtelois Dürrenmatt a toujours traqué les drôles de connivences qui relient les hommes à une culture raffinée tout autant qu’à des réflexes primitifs barbares, quand l’argent et le pouvoir s’en mêlent. L’âpreté au gain dénature l’humanité en profondeur, hantée par les préjugés sociaux et l’hypocrisie d’une morale de convenance.
Le regard aigu du dramaturge concerne la Suisse, mais c’est bien entendu comme exemple infime et parodique du monde alentour. La parabole de
La Visite de la vieille dame (1956), un chef-d’œuvre de « comédie tragique » a fait le tour de l’Europe et au-delà, depuis sa province helvétique originelle.
L’héroïne controversée et fantasque de l’intrigue, Kläry Wäscher, séduite et abandonnée, revient au pays de Güllen, en milliardaire provocatrice et désenchantée, devenue Claire Zachanassian.
Le jeu de voix artificiel, à la manière d’une mécanique en marche de
Danièle Lebrun,  un peu trop tôt figée et caricaturale, ne varie jamais. Animée par un désir ardent de vengeance et de reconnaissance sociale qui la hante depuis sa jeunesse, elle promet la richesse aux notables du bourg, à condition que soit mis à mort le séducteur d’antan, aujourd’hui commerçant à son tour, puisqu’il a épousé une fille d’épicier – d’où la répudiation de jadis de Kläry, la jeune fille qu’elle était, de milieu trop modeste…
L’épicier est promis à revêtir l’écharpe officielle de maire car il est soutenu par tous les représentants du pouvoir et de la morale de la bourgade, le maire, le professeur, le commissaire, le médecin et le pasteur. La commune n’a plus un sou : la dame exilée qui a réussi dans les affaires, est attendue par les politiques comme le dernier recours pour les sauver de la débâcle. Et ils abandonneront leur concitoyen et se plieront, avec le temps, à tous les caprices de la dame pour obtenir la manne espérée. La satire est mordante : on a peu à attendre des hommes…
La mise en scène formelle et appuyée de Christophe Lidon suit, en bon élève, la dimension ludique de l’œuvre, son esthétique parodique, ses jeux grotesques et ses airs de cabaret. Mais elle ne pénètre pas dans le tréfonds obscur et dangereux des consciences, comme si elle restait à la porte de la violence, de la dureté et de l’iniquité d’un monde prêt à payer n’importe quel prix, quand il faut « décrocher le magot », à travers tromperies, mensonges et trahisons perpétuels.
Les pions sont  bien posés sur le tapis de jeu mais les mouvements du drame, malgré une scénographie savante, ne prêtent nulle vie à ces personnages/ devenus ici fantoches, et trop imperméables à toute sensibilité et toute incertitude. Le spectacle, du coup peu vivant, se déroule pesamment jusqu’à sa fin.

Véronique Hotte

Théâtre du Vieux-Colombier. T : 01 44 39 87 00 jusqu’au 30 mars.

Hamlet de William Shakespeare mise en scène de David Bobée

Hamlet de William Shakespeare, traduction de Pascal Collin, mise en scène de David Bobée

David Bobée s’était attaqué sans beaucoup de bonheur il y a deux ans à Roméo et Juliette à Chaillot (voir Le Théâtre du Blog), et avait déjà monté Hamlet en 2010 il y a quelques années avec un certain succès. Cette fois, il dirige un groupe de jeunes acteurs russes qui ont constitué le Studio 7 du Théâtre d’Art, dirigé par Kirill Serebrennikov qui sera  à Chaillot avec  Metamorphosis et  Le Songe d’une nuit d’été.
Il
a adapté sa mise en scène  pour la recréer au Gogol Center de Moscou et en a aussi conçu la scénographie:  une salle au sol et aux murs carrelés noirs. Sur le mur, côté cour, huit carrés en inox qui se révèleront être les portes de tiroirs d’une morgue qui, plus tard, sera inondée et tout le monde pataugera dans l’eau. Une citation maintes fois utilisée de Massacre à Paris d’Edward Marlowe  mise en scène par Patrice Chéreau.
Des images belles et fortes: aucun doute là-dessus, David Bobée sait inventer un monde pictural, sous l’influence évidente du cinéma  et surtout de la B.D. Et peut-être est-cela et
le personnage d’Hamlet qui le fascinent, plus que la pièce elle-même. « J’ai, dit-il,  des interrogations à la fois intimes et politiques qui résonnent avec ce que j’explore dans mes spectacles depuis toujours : la présence de la mort, du deuil, la catastrophe comme révélateur ou élément perturbateur… Le père d’Hamlet est roi, le père d’Hamlet meurt et Hamlet ne devient pas roi. » Dès l’ouverture du spectacle, l’ordre du monde -naturel, sociétal, familial, intime- est brisé, bouleversé. (…) Et en matière de langage contemporain, d’écriture de plateau, j’ai l’impression d’avoir abouti quelque chose en faisant toujours un pas de côté. Un pas de côté vers la danse, un pas de côté vers la vidéo, un pas de côté vers les arts plastiques, vers le cirque. (…) Tous mes spectacles sont traversés par une imagerie publicitaire, cinématographique, musicale et par des éléments référencés. Hamlet a ce caractère référencé. Il ne s’agit donc pas seulement de raconter une histoire (puisque le plus grand nombre a la maîtrise de la dite histoire) mais aussi de se livrer à l’exercice de la lecture. »
Les mots sont lâchés: ce spectacle a en effet plus à voir avec des images très mode, véhiculées un peu partout,  qu’à une véritable prise en compte de la pièce. Ainsi, les personnages deviennent des sortes de marionnettes que David Bobée utilise à son gré. Les acteurs russes, au jeu très physique,
en particulier celui qui joue Hamlet, ont sans doute été bien formés pour jouer Shakespeare mais ne sont pas vraiment crédibles: tout le monde criaille et les voix sonorisées (une fois de plus!) sont soutenues pratiquement tout le temps par un fond de musique rock ou synthétique, un vieux truc usé qu’on peut utiliser en atelier mais bien facile et vulgaire, surtout usant pour le public.
Comme si Bobée ne se sentait pas très sûr de sa mise en scène et avait besoin d’une béquille pour faire passer le texte. Et bien entendu, comme c’est aussi plus facile, il a recours à la vidéo quand il veut évoquer le fantôme du père -avec,
sur grand écran, l’image de synthèse d’une tête… Pas laide d’ailleurs mais elle serait plus à l’aise dans un musée d’art contemporain. Peu convaincante, elle n’a rien à faire ici…
En fait ici tout se passe le plus souvent du côté de l’anecdotique, du clin d’œil et de l’effet: cela commence dès le début quand on enlève quelques grains de poussière sur le corps du père d’Hamlet… et continue ensuite, avec, entre autres, des glissades interminables et des combats dans l’eau noire. « J’aime çà, c’est marrant, comme le disait une ancienne directrice de théâtre parisien. »  « Marrant »: le mot est juste mais cette fausse modernité prétentieuse a quelque chose de vain.
Et le metteur en scène ne joue pas les modestes:  »
Hamlet n’a pas la connaissance, il a l’intuition de la vérité. De mon côté, j’ai l’intuition de ce texte-là, l’intuition qu’il a de grandes résonances par rapport à mon travail, par rapport à moi, et par rapport à notre époque ». Rien à voir avec une question de génération: la jeune personne de dix-huit ans qui nous accompagnait et  qui prépare le bac option: théâtre, avec Hamlet au programme, avouait son admiration pour l’Hamlet de Patrice Chéreau qu’elle n’a pourtant vue qu’en DVD mais restait un peu accablée par ces trois heures sans pause qui n’ont rien en effet de passionnant et où elle ne se retrouvait pas.
David Bobée nous fait payer cher quelques très belles images, comme à la fin, ces corps allongés dans les tiroirs de la morgue. Alors, à voir? Tout dépend de ce que l’on vient chercher. Si c’est un travail intelligent sur cette pièce-culte, capable de vous apporter un plus, autant y renoncer tout de suite: on n’en a pas une bonne vision fondée ici sur une lecture réductrice et une réécriture scénique.
Si c’est une adaptation d‘Hamlet façon B.D., à condition de n’être vraiment pas trop exigeant, cela peut se voir à la rigueur. Même dans ce cas, c’est beaucoup trop long et on ne vous poussera pas à y aller. David Bobée fait joujou avec la pièce mais n’a pas su en fait adopter un véritable parti pris. Et cela se sent. On repense à cette phrase d’Antoine Vitez demandant cet exercice intelligent à ses élèves: « Faites-moi un Hamlet d’après vos seuls souvenirs. Vous avez dix minutes pour préparer. » Sans aller jusque là, le metteur en scène aurait pu se livrer à une déconstruction/reconstruction du mythe d‘Hamlet mais il ne semble pas en avoir les moyens. Il est trop dans l’exercice de style, parfois brillant mais des plus superficiels… Dommage et tant pis!

Philippe du Vignal

Théâtre Les Gémeaux à Sceaux jusqu’au 8 mars à 20 h 45 et le dimanche 9 mars à 17 h.

So Blue

So Blue,  chorégraphie de Louise Lecavalier.

 

So Blue  Le corps, rien que le corps,  toujours en mouvement, emporté par la musique de Daft Punk, ou les pulsations électro-soufistes de Mercan Dede : Louise Lecavalier nous offre un solo hallucinant et halluciné.     Elle traverse le plateau, semé de découpes lumineuses géométriques, à une vitesse vertigineuse, tous membres déployés, se pose, se plie et se déplie au ras du sol, pour s’envoler de plus belle.
Telle une petite humanoïde industrieuse, la danseuse québécoise déploie une
inépuisable énergie. Elle offre une partition tétanisée où chaque parcelle de son corps semble emportée au-delà de ses limites. Une performance funambulesque, acrobatique ou presque.
Rejointe par Frédéric Tavernini, elle entraîne le danseur dans un duo extravagant. Colosse tranquille, il essaye d’endiguer la course de la petite danseuse vibrionnante : celle-ci s’amuse à lui échapper pour mieux le rejoindre dans un corps à corps arachnéen où bras et jambes semblent se démultiplier.
L’ex-danseuse vedette de La La La Human Steps, qui participa naguère aux concerts mythiques de David Bowie et de Frank Zappa, poursuit seule sa carrière, depuis 1999, et désormais au sein de sa compagnie Fou glorieux, fondée en 2006. Elle conserve toute sa fougue  avec, n prime,  la maîtrise de la maturité .
Dans cette pièce, le bleu qui, à la fin, inonde la scène renvoie à une alternance de rythmes, d’ombres et de lumières, qui, au-delà des contrastes, dévoilerait « un peu des tumultes, des débordements et des contradictions dont nous sommes faits. La part obscure qui nous habite et l’insoutenable légèreté de l’être et de l’âme. »

 

Mireille Davidovici

 

Spectacle présenté par le Théâtre de la Ville au 104, du 26 février au 6 mars 2014.

Pour suivre les créations de Louise Lecavalier : http://www.louiselecavalier.com/

Lucrèce Borgia

Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de Jean-Louis Benoit.

 

«Dans votre monstre mettez une mère ; et le monstre intéressera, et le monstre fera pleurer, et cette créature qui faisait peur fera pitié, et cette âme difforme deviendra presque belle à vos yeux», écrit Victor Hugo en 1833 dans son Avertissement , en préface à Lucrèce Borgia. Et la pièce fit un tabac au Théâtre de la Porte Saint-Martin à Paris. Une victoire sur le pouvoir et la censure après l’interdiction du Roi s ‘amuse.
Dans cette œuvre, la plus puissante de Victor Hugo, selon George Sand il déforme sans complexe la réalité historique, pour mieux servir son propos, et pousse la monstruosité de son héroïne jusqu’à lui attribuer l’assassinat de son frère à la place de César Borgia.
Mais Jean-Louis Benoit ne s’attache pas à la reconstitution de l’Italie mouvementée du XVl ème siècle, même si les somptueux costumes de David Debrinay rappellent ceux de l’époque. C’est surtout la lisibilité et l’efficacité de cette sombre histoire qui lui importe.
La pièce est donnée, telle qu’elle a été écrite (en quatorze jours) : trois actes rapides encadrés par deux fêtes, (carnaval du début, festin mortel de la fin), et ne s’attarde jamais sur le seul personnage de Lucrèce.
On oublie vite la première scène à Venise, peu rythmée du fait de sa fonction d’exposition, pour se laisser entraîner dans les péripéties du spectacle. Le drame se dessine dès que Lucrèce apparaît, sur les traces de son Genarro, qu’on croit d’abord son amant et qu’on devine très vite être son fils.
Nathalie Richard (Lucrèce) évite le pathos que le rôle pourrait offrir. Toute en retenue, elle reste jusqu’au bout un personnage combattant, et s’acharne à sauver ce fils adoré que ses intrigues ont, sans le savoir, condamné à mort. Fabien Orcier est un Don Alphonse d’Este non dépourvu d’humour, et Thierry Bosc campe Gubetta, sautillante et inquiétante âme damnée de Lucrèce dont le double jeu apporte un contre-point comique au drame.
La scénographie de Jean Haas, simple et élégante, propose la clôture et l’ouverture de l’espace ; elle ménage de sombres coulisses et joue sur une alternance subtile de couleurs, où dominent le rouge et le noir.
Sobre et rondement menée, sans effusion de sang, de larmes ni de sentimentalisme, le spectacle, malgré quelques scènes moins réussies, sait ménager le supense et laisse entendre ce mélange de grotesque et de sublime, de comique et de tragique, où Hugo excelle encore ici.

 

Mireille Davidovici

 

 

Théâtre de la Commune d’Auberviliers T : 01 48 33 16 16 du 5 au 9 mars theatredelacommune.com

Et le11 mars, Théâtre de Chelles ; les 26 et 27 mars au Théâtre de la Ville de Luxembourg ; le 29 mars, Théâtre de Esch-sur-Alzette, Luxembourg ; du 3 au 6 avril, à la Comédie de Picardie à Amiens ; les10 et 11 avril, Théâtre de Narbonne ; le le 15 avril, Théâtre du Centre Culturel Marcel Pagnol, Fos-sur-Mer ; les 17 et18 avril, Le Cratère d’ Alès ; le 13 mai, Théâtre de Chartres et du 16 au 25 mai Les Célestins, Lyon).

 

Les Amants parallèles

Les Amants parallèles de Vincent Delerm.

 photoCe n’est sans doute pas un hasard qui amène Vincent Delerm à chanter les chansons de son dernier disque dans un des lieux historiques du théâtre qui ont une âme, comme le Dejazet , ou comme pour son dernier concert-spectacle, les Bouffes du Nord.
Situé sur le boulevard du temple appelé b
oulevard du Crime au XIX ème siècle, (l
arcins et meurtres en tout genre y ont été aussi perpétués, d’où son surnom), le Dejazet faisait partie d’un groupe de vingt théâtres et cabarets qui accueillaient des spectacles de chansons, pantomime, acrobatie,  marionnettes…
L’atmosphère de l’époque a été immortalisée au cinéma par le célèbre
Les Enfants du Paradis de Marcel Carné, sorti en 1945, qui raconte les amours contrariés de Garance (Arletty) et du mime Debureau (Jean-Louis Barrault). Et le théâtre Dejazet est le seul qui subsiste de cette période. Aidé pour la scénographie par Aurélien Bory, le chanteur est, cette fois-ci, seul en scène, en dialogue musical avec un autre piano, lui, mécanique.
La première partie est consacrée à son nouveau disque L
es Amants parallèles, où il nous fait vivre, dans une tonalité douce amère et nostalgique, la vie d’un couple d’aujourd’hui. Comme Vincent Delerm le dit: « C’est une façon de vivre à deux aujourd’hui, de mettre en place une complicité autrement, qui existe, et qui me touche ».
Dans la deuxième partie de ce parcours-concert, il retrouve les succès de ses précédents albums  et évoque les bonheurs passés que la vie laisse trop vite échapper. La tonalité rouge et or de cette salle à l’italienne se retrouve dans les lumières du spectacle qui plongent le chanteur dans une alternance de jeux d’ombres et de lumières. Avec des mots qui évoquent le quotidien d’un couple: lit, hôtel, tunnel, amants etc.., et des silhouettes projetées en ombres chinoises en fond de scène
Le public est plongé avec délices dans ces fragments de vie qui peuvent lui rappeler la sienne. Le spectacle possède une couleur impressionniste, et le chanteur pourrait reprendre les mots du marionnettiste russe Sergueï Obraztsov : «Qu’est-ce qui est le plus important, l’essentiel dans l’art ? Le plus important est de voir. Voir autour de soi la vie dans toutes ses manifestations : discerner dans la vie non seulement ce qui est important, mais aussi ce qui peut sembler secondaire, et comme fortuit. Il faut savoir enregistrer tout ce qu’on voit pour en comprendre la signification et la relation entre grandes et petites choses, savoir dégager le grand qu’on trouve parfois dans le petit, et inversement le petit dans le grand».
Ici, Vincent Delerm y réussit parfaitement.

Jean Couturier

Théâtre Dejazet jusqu’au 29 mars.

La nuit de Juliette ou 181 ans déjà mon amour!

 181 ans déjà mon amour d’Anne de Broca.

 Anne de Broca célèbre depuis 1989 la première nuit d’amour, le 16 février 1883, entre Victor Hugo et Juliette Drouet; les deux amants échangèrent une correspondance nourrie de quelque 2.000 lettres. Chaque année ou presque, Anne de Broca invente un nouveau spectacle, joué une seule fois, à partir de ces épîtres brûlant d’une passion dévorante. Juliette Drouet, actrice célèbre, avait abandonné sa carrière pour se consacrer à l’adoration épistolaire de son poète, et le Théâtre de la Tempête a régulièrement accueilli ce torride chant d’amour,
  Cette fois-ci, Anne de Broca a voulu mélanger les genres et  faire une incursion dans le milieu du cirque. Elle apparaît en clown, entourée de deux jeunes acrobates, apprentis de l’Académie Fratellini, Clément Malin et Calo Sorana;  avec la complicité de Philippe Dormoy, elle fait résonner les lettres de Juliette Drouet avec des chansons d’Édith Piaf qu’elle interprète avec une belle  maîtrise, accompagnée par  Laurent Derache à l’accordéon.
« Comme Job, je suis devenue la fable des gens ! ». L’amour  est bouleversé par des phrases de haine et Anne de Broca clown porte des gants de boxe,  et monte sur une échelle : « Tu m’as dépouillée de ma gloire (…) J’ai peur d’être à tout jamais une pauvre fille (…) Jamais le rôle de la reine ne vivra par moi et pour moi (…) Il faut à tout prix enterrer le cadavre qui se place froid entre nos baisers ».
  L’alternance avec  des passages lyriques, pleins d’une exaltation nourrie par l’éloignement, fait surgir la haine : »Vous êtes un vieux Toto, je dévoile tout de vos infirmités (…) Je commence à croire que vous serez bientôt nommé à la Cacadémie Française ! (…) Je ne demande que la préférence entre la canne et le cure-dent ! »
 Anne de Broca s’est pleinement investie  dans cette commémoration d’un amour, surtout rêvé dans ces lettres, puisque les deux amants ne se rencontraient que rarement, mais ses choix de mise en scène sont discutables. Son nez rouge clownesque et son short du début, sa coiffe de papier, comme les pantalonnades des deux apprentis acrobates  et  les mots brûlants de Piaf, se marient mal avec les épîtres de Juliette Drouet…
Il faut, malgré tout, saluer le talent d’Anne de Broca pour avoir su renouveler cet exploit  artistique singulier.

Edith Rappoport

Spectacle vu au Théâtre de la Tempête.

À pas contés

APC-GENERIQUE-BLACK

A Pas contés: Festival international jeune et tous publics à Dijon.

 

Pour sa quatorzième édition, ce festival international fait la part belle à la création. Parmi les trente spectacles présentés sur deux semaines (15-27 février), il a invité, entre autres, des compagnies québécoises et belges. Il y en a pour tous les âges : petits, moyens, grands et au-delà. Il y en a aussi pour tous les goûts : théâtre, marionnettes, danse, musique, et même cinéma, sont au programme !  L‘événement investit une dizaine de salles de spectacle, dont un nouveau lieu dédié au Théâtre jeunesse : La Minoterie.

 

la_minoterieD’anciens bâtiments militaires dans le quartier de l’Arsenal, au bord du canal de Bourgogne, ont été convertis en un lieu artistique ouvert depuis peu. Une vaste halle flanquée de quatre salles s’ouvre sous un toit en verrières aux belles poutres métalliques. L’architecte a habillé les murs de bois, façon Kapla, rappelant les jeux de construction enfantins et rendant ce bâtiment industriel plus chaleureux.
Imaginée par Christian Duchange, directeur de la compagnie l’Artifice, la Minoterie se veut une maison des artistes, une plate-forme de travail et d’échanges ouverte à tous les publics. Elle
a accueilli pendant le festival des installations, des représentations, et le sixième salon international du livre jeunesse présentant une vingtaine de petits éditeurs d’albums peu connus du grand public. Et des lectures et des rencontres dont une rencontre autour de l’association Labo 07***, le 21 février.

 Les écritures dramatiques jeunesse

 Chambre de résonance de l’émergence d’une littérature dramatique pour la jeunesse, Labo 07 créé en 2007 s’attache à la diffusion internationale des écritures dramatiques jeunesse d’aujourd’hui. Ses activités découlent d’un comité de lecture, constitué d’une quinzaine de professionnels, qui sélectionne des pièces françaises et étrangères que l’association diffuse dans l’hexagone et au-delà pour qu’elles trouvent le chemin de la scène.
Aujourd’hui ces écritures sont vivaces et d’une grande variété, allant du voyage initiatique à la saga familiale ou à des pièces plus intimistes. Il n’y a pas de différence formelle entre le théâtre jeunesse et son aîné, on y retrouve les mêmes tendances : depuis l’éclatement des formes jusqu’à l’écriture épique ou chorale. On constate de même une parole forte et sans concession sur les réalités du monde ; un souci de la musicalité et du rythme de la langue, une liberté de ton défiant la censure ou l’autocensure.
Ce théâtre écrit par des adultes (y compris des auteurs dit « généralistes ») porte sur le monde un regard neuf et offre, de ce fait, une approche à la fois ludique et tragique des situations. Ce détour en terre d’enfance engendre un répertoire d’une grande richesse, que ce soit pour les enfants, les éducateurs, les parents, les metteurs en scène et les comédiens.
Il constitue aussi une manne pour les éditeurs de théâtre (Très Tôt théâtre créé dès1987 par Dominique Bérody, l’Ecole des loisirs, Lansman, Actes sud, Théâtrales jeunesse, l’Arche, Espace 34…) car les chiffres de vente jeunesse dépassent largement ceux du « théâtre généraliste ». Dans ce domaine en pleine expansion, Labo 07 s’est donné plusieurs missions. Sélectionner des pièces francophones ou de langues étrangères rassemblées dans des « valises» à destination des professionnels : metteurs en scène, enseignants, bibliothécaires. Promouvoir des comités de lecture d’élèves en France et à l’étranger. Favoriser autour de cette littérature théâtrale des échanges entre les professionnels et les jeunes de différents pays. Organiser des événements dans les festivals.Dernièrement, il a publié une anthologie du théâtre jeunesse européen, fruit de ses nombreuses lectures.

 Étonnantes écritures européennes pour la jeunesse

Le recueil propose, sous forme d’extraits, 31 pièces regroupées par thématiques et représentant vingt-quatre pays. Pour se repérer dans le foisonnement de textes venus de l’étranger, les coordinatrices de l’ouvrage, Karine Serres et Marianne Ségol, ont opéré par  coups de cœur, en s’attachant au côté novateur et théâtral de l’écriture,et  en optant pour des pièces récentes et originales, déjà représentées dans leur pays d’origine. On constate que, contrairement aux idées reçues, aucun sujet n’est impossible à aborder : amour, sexualité, genre, immigration, suicide et même la Shoah… Mais ces pièces n’ont pas la noirceur du répertoire généraliste car il ne faut pas priver d’espoir les enfants.
Alors qu’en France, l’écriture théâtrale pour la jeunesse se caractérise par un recherche sur la langue, une poétique et la création d’images, la plupart des textes étrangers abordent les mêmes sujets mais de manière plus réaliste, plus documentaire, évoquant les problèmes de l’enfance de  façon plus frontale. Des analyses et des textes théoriques sur la dramaturgie pour la jeunesse viennent compléter ce panorama ouvert sur l’Europe.

 Mireille Davidovici

 

A pas contés : T. 03 80 30 98 99 ; www.apascontes.fr La Minoterie 75 avenue Jean Jaurès 21000 Dijon Tramway T2, arrêt JeanJaurès
Compagnie L’Artifice, responsable de la coordination et du développement. T : 03 80 48 03 22 / 06 82 54 19 64 ,
accueil.laminoterie@gmail.com

Labo 07 :Labo 07 : http://laboo7.eu/

 Etonnantes écritures européennes pour la jeunesse, éditions Théâtrales, 400 pages, 25 euros.

 

Anna et Martha

Anna et Martha de Dea Loher, traduction de Laurent Muhlheisen, mise en scène de Robert Cantarella.

 

visuel-Anna-et-MarthaImaginez que des bonnes, celles de Genet, aient pris le temps de vieillir, et de coller Madame, évidemment ancienne pute, (elles parlent comme ça) convertie en veuve bourgeoise, riche et inculte, dans un congélateur un peu défaillant. Derrière elles, erre le chauffeur « joué par son chien » – l’auteur y tient. Pour rien : on ne part pas, rien ne peut bouger, tant que Madame n’est pas entièrement morte, et il faut que rien ne bouge, si le deux bonnes veulent échapper au tsunami qui suivrait tout de suite la mort attestée de Madame. Métaphore d’un monde bloqué par un capitalisme mort et tout puissant ?
Martha a passé sa vie d’esclave côté cuisine, et Anna, côté couture. Elles ont, en-dessous, une femme de ménage venue de l’Est (excellente Valérie Vivier), qu’elles peuvent maltraiter à leur tour, mais qui a aussi son jardin secret : son petit bout de liberté ? Les deux vieilles s’aiment, s’engueulent, se castagnent et rêvent : Martha à l’amour du chauffeur (fidèle à sa défunte épouse), et Anna, à l’image de son fils, jeune, beau, et mort. Et elles se déchirent l’une et l’autre leurs rêves en question. Des monstres.
Robert Cantarella a donné cette partition violente à deux monstres sacrés de la scène, Catherine Ferran (Martha) et Catherine Hiegel (Anna). On en attendait des sommets, on reste sur terre, content, mais pas emporté. On en attendait une touche de surréalisme (le chauffeur joué par son chien ) : elle n’y est pas. La mise en scène reste à la porte de la monstruosité, qui est pourtant le socle de cette écriture.
Dea Loher fait partie de ces dramaturges en colère, pour qui le théâtre est un amplificateur. Pas forcément sous forme épique : elle peut se permettre, comme ici, une sorte de lyrisme répétitif, avec rancœur et espoirs déçus. Ses personnages sont des victimes non consentantes, révoltées, juste riches de leurs manques et de leurs déceptions. Et alors ? Ça ressemble bien à des destinées banales. Et l’un des façons de dépasser cette banalité, c’est la monstruosité.
Fallait-il s’en priver ?

 

Christine Friedel

 

Théâtre 71 Malakoff, T : 01 55 4 91 00, jusqu’au 13 mars.

 

Les textes de Dea Loher sont publiés aux éditions de l’Arche.

Vaterland/Le pays du père

Vaterland/Le pays du père, d’après le récit de Jean-Paul Wenzel, en collaboration avec Bernard Bloch, adaptation et mise en scène de Cécile Backès.

 

90b36206b8115ea140d0244dd152fbb5 Saint-Etienne, 1944 : par amour pour une jeune fille et pour la vie en France, le soldat allemand Wilhelm Klutz échange ses papiers d’identité avec ceux de Louis Duteil, copain de beuverie tué au cours d’une bagarre. Sous son nom, il épouse Odette et devient père du petit Jean. Une famille parfaite, mais… Henri Duteil, revenu de captivité, part à la recherche de son frère, découvre l’usurpation et poursuit Wilhelm Klutz jusqu’en Allemagne. Premier suspense. Le second suspense commence en 1882 : Jean saisit l’occasion d’une tournée en Allemagne avec son groupe de rock pour partir, armé des lettres d’Henri, en quête de son géniteur.
En 1984, aux rencontres de Hérisson, Jean-Paul Wenzel et Bernard Bloch, avec une vraie troupe, avaient créé une histoire collective transfrontalière.
Cécile Backès, en resserrant la focale sur l’histoire intime n’efface pas cette dimension, mais la fait reculer en arrière-fond. La France de l’après guerre, l’Allemagne en ruines et occupée à son tour, sont présentes, à hauteur d’homme, dans le quotidien difficile, les trains interminables… Les quatre récits, de Klutz, d’Odette, d’Henri, de Jean, se complètent se croisent, se rencontrent, s’évitent.

Chacun nous tient en haleine, sans préférence pour l’un ou pour l’autre, ou avec l’envie de les préférer tous les quatre. Ce dont on peut remercier les comédiens, comme, de leurs apparitions collatérales.
La scénographie, très réussie, s’empare de l’idée de «road-movie », avec une succession d’écrans de cinéma emboîtés dans la profondeur du plateau, et débordés (côté cour et côté jardin) par leurs hors-champ à vue. Les projections vidéo n’illustrent pas les voyages de Klutz, d’Henri, de Jean, mais le mouvement, la quête, presque la boiterie de l’insatisfaction, en images brumeuses, rêveuses. Sur fond d’une Allemagne qui pourrait être nulle part, le rock très doux de Jean n’est pas non plus illustratif, il fait partie du mouvement, de la tournée.
C’est la limite de ce spectacle: il a quelque chose de trop doux, et il nous manque juste une ou deux taches d’encre bien noire sur l’écran, une petite déchirure, pour que ce spectacle d’une très grande qualité, qui emmène bien le public, prenne toute sa hauteur…

 

Christine Friedel


Théâtre de l’Aquarium, 01 43 74 99 61, jusqu’au 16 mars.

 

Le texte est publié aux Éditions Théâtre Ouvert, collection Enjeux.

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