La Dame aux camélias par le ballet de l’Opéra National de Paris, en tournée japonaise.
Ce ballet a été représenté cinq fois à Tokyo par trois danseuses-étoiles différentes, dont Agnès Letestu qui a déjà fait ses adieux à l’Opéra Garnier en 2013 et Aurélie Dupont les fera, elle, en 2015.
Cet après-midi, c’est Isabelle Ciaravola qui interprète le rôle de Marguerite; nommée il y a cinq ans dans Eugène Onéguine, elle a fait ses adieux à la scène parisienne avec ce même ballet le 28 février.
Ces danseuses sont accompagnées ici de Brigitte Lefèvre, dont c’est la dernière saison à la direction de la danse à l’Opéra de Paris. Avec la musique de Chopin, cela accentue la nostalgie lié à ce spectacle qui n’en manque déjà pas!
«Chopin, dit John Neumeier, de par ses origines polonaises et à cause de sa maladie, est symbolique d’une sombre destinée, un des thèmes majeurs de ce ballet». Sa chorégraphie fait ici corps avec l’histoire, et le couple danse/théâtre s’accorde pour magnifier ces deux personnages: Marguerite Gautier, la courtisane, et Armand, le jeune homme de bonne famille tombé amoureux d’elle.
Le roman d’Alexandre Dumas fils, publié en 1848, a été adapté par Verdi avec La Traviata et repris par Neumeier dans les années 70, sous forme d’un ballet, est connu du monde entier. Même dans un pays d’une autre culture, il résonne intensément dans le cœur du public japonais; celui-ci, surtout féminin, voue un véritable culte au ballet de l’Opéra de Paris.
Ferveur intense: les 2.300 places sont vendues dès l’ouverture de la billetterie, les livres et DVD autour des étoiles de l’Opéra connaissent un grand succès, et plus d’une centaine de personnes attendent dans un ordre impressionnant, à la sortie des artistes, pour faire une photo ou obtenir un autographe. Nombre de jeunes filles qui se rêvent en danseuses-étoiles, sont accompagnées de leurs mères qui partagent ce rêve. De classes moyenne ou supérieure, elles ne travaillent pas, et consacrent une partie de leur vie à cet objectif, d’où la multitude d’académies de danse classique à Tokyo… Sur scène, chaque élément de la chorégraphie magnifie ce romantisme que le public attend. Le ballet débute par la mort de Marguerite et la vente aux enchères de ses meubles; les tableaux suivants sont autant de souvenirs de chacun des personnages, sur une durée de spectacle de trois heures avec deux entractes. Le décor et les costumes de Jürgen Rose très précis sont conformes à à ce que l’on peut imaginer des appartements XIXème siècle bourgeois parisiens.
Comme pour Gisèle, souligne John Neumeier, le personnage de cette Dame aux camélias peut être interprété de nombreuses façons: elle peut être très jeune, ou avoir une certaine maturité, ce qui est le cas avec ces interprètes françaises. Le personnage de Marguerite met en valeur la théâtralité d’Isabelle Ciaravola: « J’avais envie, dit-elle, de rôles où je pouvais me perdre, et y mettre toute mon expérience de femme en les abordant sans pudeur».
Elle y réussit pleinement et emporte le public dans le désespoir de Marguerite. Mathieu Ganio l’accompagne ici dans une belle harmonie. La succession de leur pas-de-deux, d’une grande beauté, est emprunt d’un érotisme troublant. Le public découvre aussi, le théâtre dans le théâtre, avec un extrait du ballet Manon. Pour le chorégraphe, «Il y a ici une extraordinaire concordance entre la musique, la dramaturgie, la danse et le drame», ce qui explique le succès de cette œuvre au-delà de nos frontières, en particulier à Tokyo.
Jean Couturier
Théâtre Bunka Kaikan à Tokyo du 20 au 23 mars.