Une Année sans été
Une Année sans été de Catherine Anne, mise en scène de Joël Pommerat.
C’était en 87, et Catherine Anne avait vingt-sept ans; à peine sortie du Conservatoire national, elle avait écrit et mise en scène au Théâtre de la Bastille sa première pièce Une Année sans été qui fut un beau succès. Avec une histoire toute simple, située au début du vingtième siècle, inspirée de la vie et de l’œuvre de Rainer Maria Rilke, le poète et romancier, un temps secrétaire d’Auguste Rodin, à qui il consacra un essai, et surtout connu pour ses Lettres à un jeune poète (1908), Les Cahiers de Malte Laurids Brige ( 1910) et Elégies de Duino ( 1922).
Cette Année sans été, comme le dit Joël Pommerat, » une pièce sur le passage entre enfance et âge adulte. Le bousculement des questions propre à cette période de la vie, l’enchevêtrement des désirs et des peurs, la révolte contre l’ordre établi, les parents et le besoin de créer de nouveaux repères, la tension entre utopie et recherche d’authenticité. Il y a bien sûr quelque chose de décalé dans ce portrait de la jeunesse; l’action ne se situe pas aujourd’hui mais il y a un siècle. Et c’est peut-être ça aussi qui touche : cette impression que quelque chose est dépassé, qu’un palier de modernité a été franchi, de manière inexorable à mon avis, depuis une dizaine d’années. D’où un sentiment de nostalgie que je ressens aussi très fort ».
On y trouve cinq jeunes gens, deux garçons et trois filles qui se débattent comme ils peuvent, et on s’en doute, pas très bien, sinon il n’y aurait pas de pièce, avec la vie, leur amours et la hantise de la mort qui plane sur toute la pièce, à travers l’un ou l’autre des parents décédés, et à la fin, avec l’approche de la guerre de 14. Avec trois saisons… mais pas quatre: Gérard, un jeune homme de dix neuf ans, se pique d’écriture et veut absolument quitter sa ville et les bureaux de son père pour aller à Paris mais, en fait, il semble bien, comme le lui fait remarquer une employée de bureau de son père, Anna une jeune et belle Allemande qui part, elle, pour l’Angleterre. Visiblement amoureux, il lui demande de rester avec lui. Mais elle refusera. Louisette, la jeune fille de sa logeuse, veille sur lui avec un peu plus que de l’amitié. Il y a aussi deux figures moins importantes, un ami de Gérard, genre beau gosse friqué et noceur, et une autre jeune fille. Avec, en filigrane, amitiés pas toujours claires , amours compliqués, et toujours chez ces jeunes gens, l’insistante menace de la mort…
On peut comprendre que Joël Pommerat ait été assez sensible à la petite musique qui se dégage (mais, à de trop rares moments) de cette courte pièce, et ait eu envie de la monter avec de jeunes acteurs. Il les dirige superbement comme d’habitude et, dès leur entrée sur le plateau, ils sont tout de suite crédibles. Mention spéciale à Laure Lefort ( Louisette), Garance Rivoal (Anna) et à Frank Laisné (Gérard), tout à fait remarquables. La mise en scène de Pommerat est aussi, comme d’habitude, d’une qualité exceptionnelle, avec des enchaînements de scène coupés de noirs qui touchent à la magie (bravo aux deux régisseurs de plateau!), et c’est d’une grande beauté plastique.
Mais le texte qui paraissait déjà un peu juste il y presque trente ans, a du mal, malgré des qualités de simplicité et de rigueur, à tenir la route, et tout se passe comme si Joël Pommerat s’en était emparé pour fabriquer ses images personnelles. On s’ennuie? Oui, parfois… alors que le spectacle ne dure qu’un peu plus d’une heure! Voilà, vous êtes prévenus. C’est du grand et beau Pommerat mais cela ressemble un peu à un brillant exercice de style sur des dialogues souvent mièvres et guère passionnants.
Donc, à vous de décider.
Philippe du Vignal
Théâtre de l’Odéon/ Ateliers Berthier jusqu’au 30 avril à 20 h, le dimanche à 15 h.