Marathon, solo de cirque
Marathon, solo de cirque de Sébastien Wojdan
Après des études de cirque et de danse, Sébastien Wojdan fonde, avec cinq autres artistes, la Compagnie Galapiat qui crée Risque Zér0. Il est jongleur, musicien, saxo, guitare, trompette et les projets musicaux ne lui font pas peur.
C’est avant tout un touche-à-tout éclectique et généreux des arts du cirque – fil, corde molle, acrobatie, lancer de couteaux, hache et massues.
L’artiste inclassable a tenu à passer par toutes les étapes de la création : la construction des gradins, la couture des rideaux, la composition de la musique. Wojdan a su créer un solo où l’on puisse inventorier tous ses talents, ce qui était tentant.
Les prouesses physiques de cet homme jeune évoquent une figure de héros antique et d’athlète pour un marathon singulier : une occasion d’éprouver intensément son rapport au monde sur le fil dangereux de l’existence.
Voilà un défi lancé de soi à soi qui repousse les lois de la gravité, de la vitesse et de la technicité ; le circassien est seul en piste, et le public proche de lui voit s’accomplir ses forces et ses faiblesses, ses réussites et ses échecs, et les premières sont forcément plus nombreuses que les seconds – des répétitions.
L’artiste réalise des exploits successifs multiples, courant à corps perdu de toutes ses forces dans la galerie extérieure de l’arène, apparaissant et disparaissant au regard du public, un instrument de musique dans les mains, ou une balle de ping-pong, ou bien encore un trépied puis un second qui porteront tous deux sa corde molle.
C’est un homme-orchestre à lui seul, autonome et responsable de ses faits et gestes ; ses accessoiristes et compagnons de jeu l’accompagnent de loin. Les lames de couteaux, des armes blanches, l’attirent manifestement. Le jongleur porte un étui de lames placées comme des bijoux sur un présentoir de luxe ; il prend une, puis deux, puis trois lames cinglantes et les propulse en avant, en arrière, les plantant sèchement sur le parquet de bois.
Plus tard, il fait gonfler une dizaine de ballons de couleur par quelques spectateurs puisqu’il récupère chacun de ces ballons pour les enfiler à chaque doigt, en dansant sur une chanson mélancolique de Brel qui parle de l’enfance amère. Cet instant est purement poétique – l’artiste danse d’abord avec une grâce baroque, les ballons au bout des doigts – le temps de l’innocence et de l’insouciance -, puis les ballons colorés se posent sur un cactus – l’explosion et le passage à l’âge adulte. Eblouissement d’une prise de conscience âcre et du fil amer de la réalité.
Aux massues, Wojdan est aussi à son affaire, entouré d’une grille souple de métal, il jongle ardemment avec ces objets insolites, lançant dans les airs une, puis deux, puis trois, puis encore plus de massues – à gauche, à droite – dans des pas intenses de danse et des mouvements de transe libérée de tout obstacle mental. Pour cet enfant d’ouvriers immigrés de Pologne, l’art du cirque est un accomplissement désiré et revendiqué par un corps aux muscles durcis par l’effort. Marathon crie l’urgence, c’est un cri d’homme qui se tient debout face au monde, et qui lui demande des comptes de ses injustices en se mesurant bravement à lui.
La performance originale, accompagnée musicalement, peut rivaliser avec l’épreuve prestigieuse du même nom des Jeux Olympiques, une épreuve finale rayonnante.
Véronique Hotte
Parc de Choisy à Paris, le 5 avril, et à la Maison des jonglages à La Courneuve, Seine-Saint-Denis, du 11 au 12 avril. Rotterdam du 1er au 2 mai et Pleumeur-Bodou, Côtes d’Armor, les 28 mai et 31 mai.