Tropa-Fandanga Grande Revue de la guerre
Tropa-Fandanga, grande revue de la guerre, avec des textes de Pedro Zegre Penim, José Maria Vieira Mendes, André E. Teodosio, Claudia Jardim, Diogo Bento, Diogo Lopes, Joana Barrios, Joana Manuel, Joao Duarte Costa, mise en scène de Pedro Zegre Penim, Jose Maria Vieira Mendes et André E. Teodosio.
Quand on va voir cette grande revue de la guerre du Teatro Praga, on attend, en plus d’une parole libre, l’inventaire de codes aussitôt repérables pour leur esthétique beauf: «Ce sont la Vierge Marie, les coiffeurs, le macho misogyne et homophobe, la scène sérieuse et le fado», inventorie Patrick Sommier, le directeur de la MC 93. Tropa-Fandanga nous conte un siècle d’histoire du Portugal sur un ton burlesque et farcesque, en se moquant des guerres et des révolutions aux œillets au rouge un peu fané.
Pour ce music-hall portugais, l’année 2014 c’est, à la fois, le quarantième anniversaire de la fin des guerres coloniales en Angola et au Mozambique, et celui de la dictature Salazar pendant trente-six ans, deux anniversaires auxquels s’ajoute le centenaire de la déclaration de la première guerre mondiale… À l’origine, la revue, qui relate les événements de l’année passée, contient des intermèdes musicaux, un numéro sérieux, un tableau de rue, le compère, un comédien renommé, une chanteuse de fado, et les chorégraphies du corps de ballet… On y retrouve aussi les « actualités » – un mot désuet – avec des figures politiques et sociales caricaturées, et la dialectique inusable du nouveau et de l’ancien.
Le Teatro Praga de Lisbonne s’est emparé de ce genre brut de décoffrage, avec ses comédiens, rejoints par la vedette José Raposo, la chanteuse de fado Filipa Cardoso, et l’orchestre et la musique de Joao Soares. La scénographie de José Capela et les costumes de Joana Barrios sont inénarrables: entre gros comique et naïveté surannée. En fond de scène, une accumulation de sacs de sable, en guise de tranchées surélevées, auprès desquelles les soldats portent le calot militaire de rigueur : autant d’hommes que de calots diversement colorés et risibles, assortis aux pyjamas, à fleurs ou à rayures, des appelés… Ces vêtements pour enfants sont des clins d’œil de ces hommes soi-disant virils mais en attente d’intimité, de retour à soi et d’affection. Des panneaux de mur s’élèvent par moments dans l’espace, tapissés de motifs de papier à fond pastel.
Les comédiens de la Tropa sont accompagnés de quatre danseurs: un homme plus âgé et cabotin, un manchot virtuose dans une danse au sol, un travesti noir de grande élégance ,avec talons hauts et robe seyante de tulle blanc, et enfin un remarquable break dancer, quand il rend hommage à Isadora Duncan. Les propos sont souvent crus et triviaux, dès qu’il s’agit de guerre, et donc de sa condamnation en bloc, par-delà les discours policés de surface et les hypocrisies… La place du Portugal dans l’Europe est comparée à d’autres pays voisins plus chanceux peut-être, comme la Belgique, l’Italie, l’Espagne, l’Allemagne, et la France… dont le ridicule n’échappe cependant pas à l’œil lusophone.
Lors d’un changement de décor, une femme ronde et enjouée demande si l’un des spectateurs voudrait venir l’embrasser à la française. Sans difficulté ! Or, la revue tonique – ne serait-ce que par la dérision apportée à la marche militaire en file indienne – reste d’abord grotesque, grossière, exagérée, et… souvent un peu lourde. Mais les comédiens ont des personnalités battantes, soutenues avec bonheur par la musique: piano, basse acoustique, guitare, batterie, trombone, accordéon et guitare portugaise. Et Filipa Cardoso, la chanteuse de fado, emporte la mise.
Véronique Hotte
MC93 Bobigny, du 4 au 7 avril 2014