Concordan(s)e
Concordan(s)e
Quand un chorégraphe rencontre un écrivain, qu’est-ce qu’ils se racontent ? Et que font-ils ensemble ?
Depuis sa première édition, en 2007, le festival Concordan(s)e fait chaque année le pari d’engendrer des œuvres hybrides, issues de mariages conclus entre chorégraphes et écrivains qui s’interrogent conjointement sur les spécificités et les écarts entre leurs disciplines respectives. Plongé dans l’intimité créative du chorégraphe, l’écrivain dévoile ce qu’il a surpris, compris, de ce cheminement et inversement.
Le public est convié à découvrir en direct les processus de création et les formes qui naissent de ces binômes : tout au long de l’année, différents rendez-vous lui sont proposés (ateliers d’écriture en danse et en littérature, répétitions publiques, lectures croisées danse/écriture) et, in fine, les duos jouent leur partition intégrale dans différents lieux franciliens (bibliothèques, théâtres).
Le 8 avril, à la Maison de la Poésie, une soirée de clôture rassemblait les quatre duos de l’édition 2014.
Dans Répète, Fanny de Chaillé fait une véritable scène de ménage à son acolyte, le poète et romancier Pierre Alferi. Réfractaire au théâtre, ce dernier se mêle de diriger la chorégraphe, tandis qu’elle attend de son écriture plus de mouvement. « Le poète, il écrit, et encore, je ne suis pas un pisse-copie » se révolte-t-il, tandis qu’elle s’interroge sur ce que les mots viennent faire ici car : « Les poètes,dit-elle, il faut les lire dans sa chambre ». Cet affrontement constitue un spectacle amusant, une mise en scène de la parole plus que des corps.
Au contraire, la chorégraphe Hélène Iratchet entraîne Pauline Klein dans la danse : l’écrivaine ne rechigne pas à la suivre, pas à pas, tandis que leurs voix off mêlées déroulent un long texte. Intarissables, elles se meuvent, leurs mots se perdant bientôt dans des énumérations sans fin de souvenirs de voyage ou de titres de films. On retiendra de ce Socle la forte présence de deux corps disparates, la grâce sinueuse de la danseuse, l’énergie plus gauche de l’écrivaine mais fort peu d’un texte prétexte plutôt bavard.
Pas d’interaction mais une juxtaposition pure et simple de la danse et du texte, dans Insensiblement. Tandis qu’Eric Suchère, au bord du plateau, lit un texte décortiquant l’essence du mouvement (« se contractant et se décontractant sans cesse »), Myriam Gorfink , de dos, dans la pénombre, exécute une danse presque immobile, comme suspendue à ses mots. On pénètre dans un univers brumeux, irréel, mental, sans trop pouvoir s’y attacher.
C’est avec L’Hippocampe mais l’hippocampe qu’on trouve enfin une véritable concordance, une liaison heureuse du mot et du geste. Céline Loyer, qu’on a pu voir danser sous la direction de Catherine Diverrès, Josef Nadj ou dans une des performances de sa propre compagnie s’est associée avec Violaine Schwartz, romancière, mais aussi comédienne. Sa pratique du théâtre contribue sans doute à la réussite de leur duo.
Elles se livrent à des exercices de mémoire, des échauffements où les mots se frictionnent avec les mouvements des corps. Quand la danse va prendre le dessus, les mots interfèrent : les liasses de papier où ils gisent se mélangent à mesure que les souvenirs de cette traversée commune se brouillent, tapis dans l’hippocampe, à la fois lieu de la mémoire et petit cheval sous-marin et espiègle.
Au cours de cette soirée, somme toute assez festive, en assistant à ces dialogues entre artistes, on partage avec eux une réflexion plus vaste sur les processus de la création. On y explore les points de contact possibles entre littérature et danse, les points de discordance aussi, et la difficulté de concilier la corporalité des mots avec celle des danseurs, d’amener le corps du texte dans l’espace du pur mouvement.
Mais, si la danse est éphémère, les textes, eux, resteront, imprimés, comme ceux des festivals précédents *.
Mireille Davidovici
* Livres Concordan(s)e 1, 2 et 3, les Editions l’œil d’or. 10 euros chacun.