Festival RING

Festival RING, Théâtre de la Manufacture, CDN de Nancy-Lorraine

LOGO GonzeptÇa s’appelle RING comme Rencontres Internationales des Nouvelles Générations, ring comme « ça va cogner », ring comme l’anneau des Nibelungen. Peu importe, et même tant mieux, si on mélange les cultures : c’est le pari de l’affaire. Le festival est ouvertement jeune , souvent  tout public, et très affirmativement contemporain. En un samedi, on a pu voir quatre spectacles et demi, en manquer deux, dont un Agamemnon d’Eschyle (notre contemporain, donc !), sur la bonne trentaine de propositions du festival qui continue jusqu’au 18 avril.
Sans compter la nuit DJ et ses prolongements musicaux. Prenons dans l’ordre (c’est très bien organisé). Le maître de maison, Michel Didym, a inventé un dispositif simplement compliqué : nous sommes souvent, dans la vraie vie, l’objet d’un examen, d’un entretien d’embauche ou autre épreuve. Il propose donc aux spectateurs d’être à leur tour juré : dix candidats passent devant dix jurys, en séquences de cinq minutes, pour défendre : leur innocence (en justice), leurs qualités professionnelles (y compris comme tueur), leur potentiel amoureux (“speed dating“), leur place au paradis…
Dix auteurs ont pris la peine de fournir à dix jeunes comédiens (du Conservatoire et du Théâtre universitaire de Nancy) l’occasion d’être convaincants. C’est parfois amusant, poétique, émouvant, ou même raté, mais le public se prend au jeu. Les oui, non et peut-être sont additionnés, puis les candidats reçus  ou non. On arrive ici au vif du sujet : par quoi, comment les jurés ont-ils été convaincus ? Par le texte ? Par le comédien ? Par la situation ? Par leur propre morale ? Ce jeu de l’Examen a la vertu, pas si fréquente dans le théâtre dit vivant, de rendre le spectateur vivant et passionné par les questions que ce spectacle modeste et ludique lui pose. Espérons qu’il restera aussi vif, face à d’autres spectacles au dispositif plus classique. C’est valable aussi pour les critiques de théâtre.
Passons sur un Giselle démonstratif (solo dansé de trente minutes) des chorégraphes Eszter Salamon et Xavier Le Roy. Oui, on apprend à lire les mouvements à partir de ceux que l’on connaît : le ballet Giselle, un orang-outang, un duel de western, les hystériques de Charcot… et des images qu’ils renvoient. On en invente de nouveaux à partir de ceux-là, sans doute. Mais la jeune danseuse (Elisa Ribes) ne manque ni de vaillance ni de virtuosité, mais de l’essentiel : le feu, le pourquoi elle était là, à défendre cet objet. Bon travail, mais indifférent. Public poli, mais indifférent.
L’épisode suivant a ramené la question de : «qu’allons-nous voir au théâtre, qu’applaudissons-nous». Le Teatro Sotterraneo (inutile de traduire) et le metteur en scène Daniele Villa. Deux comédiens questionnent l’enfance : que veux-tu faire quand tu seras grand ? Be legend ! (inutile de traduire).
Ils se proposent donc de nous raconter l’enfance d’Hamlet, l’enfance de Jeanne d’Arc, et l’enfance d’Adolf Hitler, selon un rituel répété avec quelques variations, surtout, évidemment, en ce qui concerne le dernier. La réflexion sur le destin est hilarante, la scénographie efficace, simple et pleine d’humour et de charme, les enfants sont très bien choisis, merveilleux acteurs, dociles et rebelles à souhait, mais… ça se complique quand les deux manipulateurs nous font applaudir le jeune Adolf qui refuse d’être « le mal incarné ». On vous dit : « applaudissez », et vous le faites ? Parce que vous aimez obéir ? Parce que c’est un charmant bambin qui vous le demande ? Parce que ça ne peut pas être sérieux ? Le spectacle joue avec des images subliminales des camps de la mort insérées dans les premiers Mickey. Il paraît qu’Hitler admirait Walt Disney, et réciproquement, dans une certaine mesure. On peut supposer que le Teatro Sotterraneo, provoque le spectateur, tente de l’activer, de le rendre responsable : à vous de savoir si vous voulez applaudir des enfants qui dansent en agitant de petits drapeaux nazis. La balle est dans votre camp, cher public, alors prenez-la au bond. Problème : ça ne semble en poser aucun à un public jeune, qui ne voit là qu’ironie et divertissement, et seulement la moitié d’un, à un public moins jeune obéissant sans états d’âme. Ambiguïté d’autant plus glaçante qu’encore une fois, c’est très bien fait et plaisant.
Le metteur en scène croate Ivica Buljan est venu présenter Ligne jaune, de Juli Zeh et Charlotte Roos. Des histoires comme on en connaît tous : de couple, d’art et de marchandise, de conflits avec la Sécurité dans un aéroport, de chiens, et même de vache qui tombe du ciel. La troupe se relaie aux guitares, claviers, batteries, chant, en un rock bien trash, énergique, foisonnant et primaire. Ce qui est intéressant, c’est que « ça ne veut pas rien dire » (Rimbaud).
Ce qui est mis sous nos yeux, et nous force ici les oreilles : rien moins que le sort du monde. Un Est dominé et même conquis par la sous-culture de l’Ouest, un Sud déchiré entre un tourisme de masse et une émigration tout aussi massive. Où est la liberté, dans tout ça, dans les débris d’une démocratie « pétée de trouille » et d’une culture qui ne sait plus ce qu’elle vaut ni ce qu’elle veut ? Bon, il y a là un peu d’émotion et de fantaisie, dans une sorte de cambouis généralisé mais le spectacle (sous-titré) est long et bavard… Mais il faut s’y faire : la forme, c’est le fond, et ces questions-là, pas forcément propres, nous les avons bien reçues, en pleine figure.
Diversité et mondialisation : la politique évacuée revient par la fenêtre, au théâtre. RING porte bien l’air du temps, ironique, cynique même, enfantin pour ne pas dire infantile, et bourré de questions, d’énergie quand même. On sent le public, nombreux et de tout âge, frémir, s’interroger, courir d’un spectacle à l’autre : RING fait son travail d’agitation, ouvre les appétits aux questions d’aujourd’hui. C’est bien le rôle du théâtre dans la cité ?

 

Christine Friedel

 

Théâtre de la Manufacture, CDN de Nancy-Lorraine, jusqu’au 18 avril. 03 83 37 42 42

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Archive pour 14 avril, 2014

L’Humanité tout ça tout ça

L’Humanité tout ça tout ça de Mustapha Kharmoudi, mise en scène de Véronique Vellard.

Seule en scène, Caroline Stella incarne une fillette qui tente d’émigrer en France avec  sa maman. Environnée de dizaines de ballons transparents accrochés à des chaussures dépareillées, elle entame un long monologue bouleversant, marqué d’une tendre ingénuité : « Tu penses, la France, il y a encore loin ? « Elles sont dans le coffre de la voiture d’un passeur féroce. La petite a fait caca, il faut se taire.  Une fois la frontière passée : « Je garde par la fenêtre, la France elle est jolie (…) Il faut pas que tu as peur ». Le passeur :  « Si tu parles de moi, je te tue ! ». Pas assez d’argent pour payer le voyage, la petite et sa mère sont condamnées à mendier. « C’est quoi le tapin ? Je regarde Maman, il y a les larmes beaucoup (…) c’est obligé, il faut que tu demandes les pièces de sous (…) je peux pas je marche vite, ma jambe, elle est cassée ! (…) Je veux les chaussures ! »
 La mère affolée tape sur sa fille avec une chaussure… »J’ai envie le bonbon (…) Finalement la petite et sa mère se feront expulser après le vol d’une poupée A par la mère dans un grand magasin !
Nous sortons de là, avec  des ballons transparents qu’on nous a distribués, bouleversés par ce moment de poésie dramatique sur notre monde égoïste barricadé contre les pauvres.
  Véronique Vellard a déjà donné cinquante représentations de ce solo magistral. Les directeurs de petits lieux seraient bien inspirés de l’accueillir.

Edith Rappoport

La Loge, 77 rue de Charonne 75011 Paris, jusqu’au 11 avril à 19 h. T: 01 40 09 70 40

À toi pour toujours ta Marie-Lou

 À toi pour toujours ta Marie-Lou de Michel Tremblay, mise en scène de Kira Ehlers. .

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Photo du Théâtre de L’ile. Chantal Richer (Marie-Lou) tricote

Cette création  est un petit chef-d’œuvre de mise en scène. Un  quatuor de voix, les deux filles (Carmen et Manon) et les parents (Léopold et Marie-Louise), mènent simultanément des dialogues parallèles, dans deux espaces/temps différents où le décor symbolise le drame qui a déchiré cette famille par le passé, et qui continue à la ruiner.
Marquée par des éclairages ingénieux et un son qui nous transporte bien au-delà de la réalité québécoise, cette mise en scène tient d’un paysage cauchemardesque où tous les personnages arrivent sur le plateau comme des revenants, baignés dans une lumière bleuâtre d’outre-tombe, avant de s’installer dans leurs fauteuils où ils seront relégués pendant tout le spectacle.

  Dans un espace surélevé, les deux filles racontent leurs propres souvenirs, et ce qu’elles ont cru apercevoir et entendre derrière les portes de la chambre à coucher de leurs  parents.  Et eux sont enfoncés dans un espace rempli de bouteilles sales et de terre  en décomposition, où, dix ans auparavant, ils crachaient leur haine, leurs frustration et la misère sexuelle qui ont empoisonné leur vie de couple, peu avant  d’être tués dans un accident de voiture.
Deux perspectives temporelles de cette famille d’horreur qui se croisent donc, et se complètent alors que, par moments, des éclairs de lumière violents et  des coups sonores  secouent la scène et ramènent les jeunes femmes  vers le passé de leur père et mère  qui ne cessent de s’affronter.
Les sœurs, témoins horrifiés de la haine et la violence verbale que les parents se font subir mutuellement, révèlent jusqu’à quel point ces confrontations ont laissé des traces profondes sur leur existence. Les sons lugubres d’un violoncelle, et une musique électronique secouent ces revenants et transportent les sœurs entre un passé traumatique et une actualité hantée par la mort.
La metteuse en scène a bien compris l’importance du paysage sonore et a exploité toutes ces possibilités d’une manière très efficace. Et
le jeu est d’une très grande justesse: grands habitués du théâtre comique, les acteurs s’en tirent bien: Richard Bénard (Léopold)  a réussi à cerner tout le pathétique de cette figure paternelle qui hurle sa frustration et s’effondre dans son impuissance; cela suinte  le malheur  et nous sentons l’odeur même de sa colère. Chantal Richer, (Marie-Louise) victime de cette société qui interdit le plaisir et méprise le corps, incarne  une  femme blessée rongée par sa honte et son amertume devant  son mari qui ne cesse de la violenter.  Mais quand elle saisit l’occasion de se moquer de lui, le côté comique prend parfois le dessus. La comédienne était-elle convaincue qu’il fallait provoquer les rires aux moments les plus cruels de leurs échanges? Une direction d’acteurs un peu relâchée y est certainement pour quelque chose.
Mais 
Chantal Richer est aussi tout à fait bouleversante,  quand elle incarne cette femme humiliée, enfoncée dans son fauteuil, en train de tricoter de façon obsessive,  le visage blême, les yeux remplis de larmes, et le corps fané. Situation intenable où la mort lui est venue comme une forme de délivrance. Curieusement,  il y a des rapports de complicité entre les filles et leurs parents, rapports qui changent selon les moment les plus tendus, où le jeu et les physionomies reflètent malgré tout les similarités quasi-génétiques entre les personnages.
Manon, la fille religieuse, (Frédérique Thérien) est aussi convaincante et émouvante, malgré  son personnage stéréotypé et fondateur de  la grande famille des personnages de Tremblay qui dominent  la scène québécoise depuis les années 1960. La comédienne qui joue Carmen, n’est pas toujours facile à comprendre avec un problème d’articulation et une voix qui manque de puissance mais elle possède un excellent langage corporel : sa manière de bouger, son insouciance apparente, son sourire moqueur, tout concorde  à révéler la présence d’une jeune femme qui a su survivre , et  elle  n’exagère  pas  le clinquant habituel du personnage.
A toi pour toujours ta Marie-Lou est le texte le plus important de l’œuvre  dramatique de Tremblay,  pour la forme scénique et le contenu socio-culturel: il capte l’horreur de cette société qui, avec l’appui évident de l’Eglise, enfonce les habitants dans une ignorance destructrice où les rapports d’amour et de haine mènent une coexistence malaisée.
Une création  émouvante qu’il ne faut manquer…

Alvina Ruprecht

Le Théâtre de l’île à Gatineau, Québec, jusqu’au 19 avril.

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