Le Misanthrope/ Clément Hervieu-Léger
Le Misanthrope de Molière, mise en scène de Clément Hervieu-Léger.
La pièce (1666) écrite en vers, garde tout son sens et sa saveur, dans l’interprétation qu’en livre Clément Hervieu-Léger. Il a choisi des costumes modernes années soixante et, pour décor, signé Eric Ruf, un lieu de passage, le palier d’un hôtel particulier en cours d’aménagement, un peu décrépi et qui, grâce à la diligence de serviteurs muets, se recompose, selon les scènes, en hall d’entrée, salon, salle à manger, salle de jeu, boudoir…
On est chez Célimène, jeune veuve éprise de liberté où, à la suite d’Alceste et de son ami Philinte, se présenteront une cohorte de prétendants, puis la perverse Arsinoé. Alceste, enveloppé dans un pardessus informe qu’il enlèvera et remettra tout au long du spectacle, au gré de ses entrées et sorties, et de son humeur, arpente sans fin ce vaste couloir flanqué d’escaliers. Il s’en prend à son ami Philinte trop complaisant à son goût vis- à-vis d’une société du paraître, hypocrite et méchante. Hanté par un procès qu’il redoute, il attend Célimène, en espérant qu’elle lui déclare enfin sa flamme. En vain. Loïc Corbery incarne un Alceste déprimé, parfois au bord de la crise de nerfs, de plus en plus renfrogné et paranoïaque, à mesure que les événements se retournent contre lui, ce qu’il a bien cherché…
Son jeu direct, parfois en contradiction avec la manière élaborée dont Molière le fait s’exprimer, crée une tension intéressante. Dans la plupart des scènes, les acteurs sont dirigés de la sorte, allant droit au but, alors que Molière procède par détours et allusions. Ici, on n’hésite pas à s’empoigner, s’embrasser, s’enlacer ou en venir aux mains. Ce parti-pris donne une radicalité aux situations théâtrales et renvoie à des attitudes corporelles plus contemporaines. Mais on regrette que ce jeu très physique gâche les habiles joutes textuelles écrites par Molière. Loïc Corbery, bougon et boudeur, parle souvent dans sa barbe, laissant les vers se perdre pour qui ne tend pas l’oreille ou qui ne les connaît pas. Eric Ruf, en Philinte, assure, lui, une parfaite harmonie entre sa posture et son texte. Georgia Scalliet est une Célimène à la fois mutine et fragile, mais sans grande personnalité. Florence Viala impose sa superbe dans la fameuse scène Arsinoé–Célimène, modèle de crêpage de chignon verbal que les deux actrices assument avec élégance. Le ballet des serviteurs et servantes n’a d’autre fonction que de procéder aux changements de décor : c’est l’une des rares pièces de Molière sans domestiques intervenant en contrepoint.
Les personnages interagissent donc dans leur microcosme, dans un entre-soi qui n’est pas sans rappeler certains de nos milieux VIP. Il y a une certaine justesse et de la générosité dans ce théâtre de l’incarnation qu’a voulu le metteur en scène. Mais, malgré le coup de jeune donné à la pièce, le spectacle ne tient pas ses promesses jusqu’au bout: les scènes traînent parfois en longueur, ont des temps morts, et on a souvent du mal à saisir les enjeux du texte. Souhaitons qu’il trouve enfin son rythme…
Mireille Davidovici
Comédie-Française – Salle Richelieu, Place Colette 75001 Paris – T. 0 825 10 1680 jusqu’au 17 juillet. www.comedie-francaise.fr