L’Homme atlantique
L’Homme atlantique de Marguerite Duras, réalisation de Viviane Théophilidès.
Viviane Théophilidès avait participé dans les années 60, avec Antoine Vitez, Roland Monod et Pierre Vial, à l’aventure du Théâtre Quotidien de Marseille, puis elle fonda sa compagnie et se passionna pour les textes contemporains comme, entre autres, ceux de Boris Vian, Denise Bonal, Anne Sylvestre… Elle entreprend ici de porter au théâtre, le court roman de Duras, édité en 1982, que l’auteur avait adapté en film… dont les trois quarts se passent dans le noir, avec son compagnon Yan Andréa comme acteur.
Ici, rien sur le plateau qu’un large fauteuil-club avec un grand châle sur le dossier, et un projecteur de cinéma sur pied qui éclaire l’actrice d’une lumière chaude et bienveillante. « C’est l’histoire, dit Viviane Théophilidès, d’un abandon, d’une perte, d’une absence. (…) Marguerite se confie à Duras pour faire son cinéma, son œil extra-lucide remplaçant l’objectif d’une caméra imaginaire »
Et cela parle, au rythme si particulier de la phrase durassienne, très élaboré, et savamment mis au point par l’auteur qui, de toute évidence, se regarde écrire et se fait plaisir; cela parle même beaucoup, voire un peu trop: de l’ombre tournante de la maison sur la terrasse, des plages et de la mer, des mouettes, des arbres mais aussi d’une rupture amoureuse…« Je l’ai pris et je l’ai mis dans le temps gris, près de la mer, je l’ai perdu, je l’ai abandonné dans l’étendue du film atlantique. Et puis, je lui ai dit de regarder, et puis d’oublier, et puis d’avancer, et puis d’oublier encore davantage, et l’oiseau sous le vent, et la mer dans les vitres et les vitres dans les murs. » Bon…
Viviane Théophilidès est là, debout, en pantalon bleu foncé et maillot de marin rayé, emmenant le public dans les phrases de Duras avec une gourmandise évidente, une belle gestuelle et une impeccable diction. On la sent à la fois fragile et déterminée à faire passer toute la parole de l’écrivain qui évoque sa passion pour le cinéma, l’amour enfui, la magie des paysages, et la mort qui rode au bout du chemin. Et cela fonctionne ? Oui, si l’on est sensible à la poésie et à la petite musique des phrases de Duras, souvent parodiée. Pierre Desproges, lui, plus cinglant, n’avait pas hésité à traiter ses écrits de «feuilletons de cul à l’alcool de rose».
Ce court récit, écrit par Marguerite Duras décédée en 1996, est ici bien conduit, malgré quelques petites erreurs de mise en scène, comme cette réparation du gros projecteur, avec un tournevis, à laquelle on ne croit pas un instant. En quarante-sept minutes, donc cela passe vite, la messe durassienne est dite dans la petite salle, au sous-sol du Théâtre des Athévains.
Mais, très franchement, malgré le solide métier et l’indéniable sensibilité de Viviane Théophilidès, on reste un peu sur sa faim. Et c’est sans doute réservé aux seuls fans absolus de l’auteur! – il y a déjà eu plusieurs spectacles qui lui ont été consacrés en cette année-anniversaire de sa naissance (voir Le Théâtre du Blog), et il y en aura encore sûrement un paquet de dix à Paris, comme dans le off à Avignon. Pour tous les autres qui ne sont pas fans, à eux de décider s’il leur est vraiment nécessaire d’y consacrer une soirée…
Philippe du Vignal
Théâtre Artistic Athévains 45 rue Richard Lenoir 75011 Paris. T: 01 43 56 38 32