Neuf petites filles
Neuf petites filles, de Sandrine Roche, mise en scène de Stanislas Nordey.
Stanislas Nordey dit, avec cette pièce, «prendre le risque d’inaugurer quelque chose» en portant sur le plateau un regard acéré et sans indulgence sur le monde. «L’enfance est le sourcier de notre chagrin», annonce le prologue.
Sandrine Roche examine la société à travers l’enfance et ses petites communautés intolérantes qui excluent systématiquement et mettent au ban ceux qui sont différents, selon une normalité physique ou bien sexuelle…
Ce sont des rondes enfantines obligées où transparaît d’abord l’idéologie parentale ou familiale. Ces ronds dans l’eau anodins se multiplieront au moment du passage à l’âge adulte pour stagner irréversiblement dans l’amertume, que l’on soit du côté du bourreau ou bien de la victime. Quelle vie !«Comment apprendre à gérer notre vivre ensemble ? » se demande l’auteure.
Peut-être en transcendant cette violence – dureté et cruauté – des mots et des images dont notre monde est fait, et en passant par le plateau de théâtre. L’image de la femme ne sort pas grandie du spectacle, si on s’en tient aux proférations des comédiennes sur la scène, faites d’invectives, d’injures, de jugements de valeur, d’assertions cassantes et d’affirmations gratuites.
L’adulte doit dépasser les souffrances dont, toute petite fille, elle a fait l’objet. Des insultes grossières destinées à la gent féminine défilent : pute, traînée, salope… Et puis cette fille est grosse, trop grosse ; elle ne mérite pas le gâteau au chocolat du goûter maternel qu’elle ne veut pas partager avec ses camarades de récréation.
Cette autre a des parents qui se disputent, un père avec son 4/4, et une mère avec un amant. Elle gagne aujourd’hui beaucoup d’argent mais n’a pas d’enfant. Serait-elle homosexuelle ? Certes, c’est une femme non accomplie ! Pour qui ? Le catalogue des clichés se déverse sur le plateau dans la haine et la violence, l’absence de désir, la frustration, la non-reconnaissance et le déni. Les paroles alternent d’une comédienne à l’autre ; on peut les voir s’écrire, sans le moindre espace, depuis un clavier d’ordinateur sur l’écran des murs, une métaphore de la prison originelle – corps et esprit – dont nous sommes tous les occupants.
Entre les interventions des interprètes sur le plateau, d’autres paroles s’imposent, avec des commandements, à connotation militaire, d’un cours d’éducation physique et sportive : mains serrées ou bien tendues, jambes levées ou bien pliées, épaules … La femme, pas plus que l’homme, n’est maîtresse de son corps. Stanislas Nordey dirige des comédiennes attachantes: Marie Cariès, Nathalie Kouznetzoff, Sophie Mihran, Julie Moreau, Anaïs Muller, Julie Pouillon, Karine Piveteau, Lamya Regragui, Margot Segreto, vêtues joliment d’une robe blanche printanière tachée de rouge, couleur assortie qui dénonce la cruauté d’exister.
Il y a des ballons de jeux, des panneaux découpés de petites filles, et les actrices s’assemblent ou se séparent pour chorégraphier la danse solitaire puis collective de leur corps maladroit, et incompris qu’une parole amère brinquebale et tourmente.
La mise en scène enjouée apporte un bol d’air frais à des propos exsangues; Sandrine Roche conseille toutefois aux auditrices de se départir de leur part étouffante d’enfance, au cas où… cette démonstration trop évidente n’aurait pas été entendue.
Véronique Hotte
Théâtre National de Bretagne à Rennes, du 15 au 26 avril, et Théâtre des Abbesses à Paris, du 19 au 30 novembre.
Le texte est publié aux Éditions Théâtrales.