Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector qui est mort…
« Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus qui aime Andromaque qui aime Hector …qui est mort » « Aller vers la Tragédie… », adaptation d’Andromaque de Racine, par le collectif La Palmera.
Andromaque, en cinq actes et en vers, écrite en 1667, est représentée pour la première fois le 17 novembre de cette même année. Avec cette tragédie , Racine devient un auteur reconnu.
Après la chute de Troie, Pyrrhus a obtenu pour butin Andromaque et son fils Astyanax ; de retour en Epire, il reçoit dans son palais, Hermione, fille de Ménélas, roi de Sparte et d’Hélène, qu’il doit bientôt épouser. Mais il s’est épris de sa captive : Andromaque, veuve d’Hector….
Arrive alors Oreste, amoureux d’Hermione, à la cour de Pyrrhus! En fait, bien souvent, l‘argument de la pièce est résumé en une phrase : « Oreste aime Hermione qui aime Pyrrhus, qui aime Andromaque, qui aime encore le souvenir de son mari, Hector, tué pendant la guerre de Troie ».
C’est, cette phrase, à peu de chose près, qui donnera le titre à cette adaptation d’Andromaque, créée en 2012, et qui n’a cessé d’évoluer, et toujours avec pertinence. Au départ, un pari ambitieux, risqué, et loin d’être gagné. Mais deux autres projets du collectif La Palmera : Le Dragon d’Evguéni Schwartz, mise en scène. par Néry et P’tite Souillure de Koffi Kwahulé, mise en scène par Damien Dutrait et Nelson-Rafaell Madel, sont en cours de préparation, et, comme le temps passe, ce dernier et Paul Nguyen, un autre membre du collectif, décident en parallèle, de monter un projet « plus simple à mettre en place » et ayant, entre autres, pour but : « jouer le plus rapidement possible ! ».
Il s’agissait donc de créer un spectacle n’exigeant pas trop d’investissements, facilement transportable et accessible à un large public. Mais quelle pièce monter ? Le choix est complexe et Andromaque sera l’heureuse élue! Néry en fera la mise en scène en étroite collaboration (il s’agit en effet d’un collectif) avec deux des comédiens, Paul Nguyen et Nelson Rafaell-Madel. Le spectacle sera donc conçu à trois, mais il sera fait appel à plusieurs collaborations pour la lumière, les costumes, la chorégraphie, etc..
Tout paraît alors en place, mais les contraintes, et deux en particulier, vont surgir ! La première, limiter le nombre d’acteurs. Solution vite trouvée, Nelson R. Madel et Paul Nguyen seront les comédiens de la pièce, pour tous les rôles (huit dans l’œuvre de Racine!) Ils passent donc de l’un à l’autre, avec une aisance remarquable, et réussissent pour chacun d’eux à « habiter » avec densité les différents personnages (féminins ou masculins) et leurs conflit et destinée tragiques. Cela apporte ainsi au spectacle, une cadence extrêmement juste et, de façon détournée, une dimension chorégraphique.
Autre contrainte : la scénographie se devait d’être simple, maniable, adaptable et permettant de démarquer nettement les deux parties sur lesquelles se construit l’axe dramaturgique de cette adaptation. Pour répondre à ces exigences intellectuelles et artistiques, le spectacle comportera donc aussi deux parties distinctes. La première pourrait s’inscrire tout à la fois dans l’espace de la fête, et du débat, la deuxième dans celui du théâtre, de la représentation…
Ecrit par les interprètes à la suite d’impros, le texte rend accessible la tragédie aux lecteurs, comme aux spectateurs un peu méfiants, (souvenirs scolaires pas des plus merveilleux?)…ou ignorants de ce genre dramatique.
Désir d’une volonté artistique ? Oui ! celle de donner l’envie de découvrir ou de re-découvrir cet univers de la tragédie construit selon des règles très précises, œuvre d’art à part entière, et mise en son par la parole et la voix de l’acteur-poète. Et la magie opère. Plus la représentation avance, plus le spectateur glisse dans ce monde poétique et abstrait mais tellement vrai de la tragédie. Adieu, l’ennui tant redouté !
En effet, la difficulté était de garder une envolée poétique, une théâtralité mais aussi de ne pas tomber dans une explication dogmatique. Exigence aboutie, grâce à la méthode très judicieuse pensée par les deux interprètes:
«Remplacer, disent-ils, les deux premiers actes, par l’écriture d’un texte issu de nos impros, nous permettait de mettre en route un début dans lequel nous commencions à parler aux gens comme si nous étions là naturellement et qu’on essayait de se parler, de transmettre, de converser… ensemble. En fait, tout le travail était de voir jusqu’à quel point nous pouvions étirer les limites de la tragédie… et s’en écarter pour ensuite arriver au stade où cela n’était plus possible. Nous savions qu’à un moment donné du spectacle, on ne garderait que les vers. Et quand la tragédie serait nouée, on ne s’en écarterait plus… Dans la seconde partie, il n’y a plus du tout de noms propres, il y a juste les sentiments de ces quatre personnages qui perdent pied, et raison ».
Eh oui, mais cela est loin d’être évident ! Il faut souligner le talent et l’esprit artistique avec lequel le collectif a su harmoniser et faire se rencontrer avec autant de précision intellectuelle et poétique, une dimension esthétique et le jeu comme la scénographie qui suit (dans la seconde partie) la progression dramatique du texte, ludique, originale, lyrique, burlesque mais aussi superbement classique .
Dans la première partie, les héros de la pièce sont incarnés par des ballons gonflables de couleurs différentes. (Par exemple, blanche pour Astyanax, symbolisant la pureté, l’innocence de l’enfance… la paix), qui répondent avec justesse aux tempéraments des personnages et à l’objectif envisagé par les deux comédiens, initiateurs de cette création, qui souhaitaient « rendre accessible la tragédie, aujourd’hui »
Le parti pris esthétique d’un spectacle en deux parties, doit nous permettre d’en saisir la poétique et la dramaturgie au plus près, et ce collectif réussit une prouesse : ne point nous éloigner du texte de Racine et capter avec tension et sensibilité, la conscience et le plaisir du spectateur.
Grâce à la forte créativité et aux inventions de collectif, et malgré le temps qui passe, la société et les utopies qui changent et se perdent, le public reçoit dans toute sa quintessence cette tragédie classique.
Pari difficile… mais gagné ! Andromaque, dans cette expérience artistique et théâtrale, n’a rien perdu de sa dimension tragique, et de sa langue poétique qui la rend éternelle à ceux qui savent entendre et s’emparer aujourd’hui de sa musique sans la trahir! « Il ne faut, disait déjà Racine, s’amuser à chicaner les poètes pour quelques changements qu’ils ont pu faire dans la fable ; mais (…) il faut s’attacher à considérer l’excellent usage qu’ils ont fait de ces changements, et la manière ingénieuse dont ils ont su accommoder la fable à leur sujet ».
Elisabeth Naud
Théâtre du Garde-chasse, Les Lilas. le 10 avril et Théâtre Le Monfort. Paris XVème. Les 5 mai et 2 juin. le 26 juillet dans le cadre du Festival de Sarlat
http://www.collectifpalmera.com