Dale recuerdos
Dale Recuerdos XXVI, mise en œuvre du projet: Didier Ruiz.
Depuis une quinzaine d’années, Didier Ruiz a mais ne place ces Dale Recuerdos un peu partout en France mais aussi en Russie ou en Guinée Equatoriale où des personnes assez âgée racontent des moments de leur vie de leur histoire qui est évidemment aussi la nôtre, et celle de la France, même si certains d’entre eux sont nés, loin de l’hexagone, dans le Sud de l’Espagne ou en Europe de l’Est.
Didier Ruiz les a choisis par petites annonces dans les journaux et cafés. Ils ne sont en rien acteurs, (surtout pas acteurs amateurs comme il le souhaite avec raison) mais ils possèdent une très bonne maîtrise de la langue et une impeccable diction. Soit quatre hommes et cinq femmes qui ont une parole des plus libres et des plus vraies, puisque c’est la leur, et qui viennent s’asseoir, face public, sur une rangée de chaises en bois.
Ils sont « seulement » là, pas toujours très valides, voire obèse pour l’une, mais ont tous une une présence incroyable et envie, c’est évident, de dire, avant d’être emportés par la grande faucheuse, quelque chose qu’ils ont, jeunes, intensément vécu et que, le plus souvent sans doute, ils n’ont pas eu l’occasion de faire partager. Et ce « théâtre documentaire » est fascinant comme un récit historique…
Originaires du 11ème arrondissement ou de Saint-Ouen, anciens ouvriers ou employés, ils sont sagement alignés et assis sur leur chaise; ils se lèvent chacun à leur tour, modestes et calmes, et se présentent: « Je suis la fille de Josette Cazal », « Je suis le fils de Violette Rozier et de René Guérin », etc…pour dire un moment de leur vie, de leur histoire personnelle qui rejoint, bien sûr, la mémoire collective française avec ses bons jours et ses moments les plus tragiques, même si la plupart des spectateurs ne l’ont pas vécue. Tels sont les protagonistes de ce « théâtre documentaire », et ils s’appellent: Nativité Cassas, Jean-Pierre Duplant, Renée Fauguet-Zeigman, Claude Guerin, Jacqueline Gascon, Maurice Marigault, Michèle Nicol-Colin, Christiane Parrat et Roger Saligny.
Ce sont en quelque sorte les passeurs entre une époque récente (une soixantaine d’années, voire un peu plus plus où il n’y avait ni beaucoup de voitures ni technologies bien avancées, ni médias autres que, parfois, pour les moins pauvres, et pas même pas toujours à la campagne, un journal, et une radio), et le présent le plus actuel.
Il y a ainsi une ancienne institutrice qui raconte qu’elle a envoyé un télégramme à Jean Giono, après avoir lu Que ma joie demeure, pour le rencontrer. Et il a accepté et, sur sur ses conseils, elle est devenue institutrice » Je ne l’ai jamais regretté, ajoute-t-elle simplement… Même si je ne l’ai jamais revu!
Un autre homme un peu moins âgé raconte les descentes à la cave avant les bombardements allemands, et le passage des V 1 et V2, forteresse volantes dans le ciel de leur banlieue. Il y a aussi cette merveilleuse anecdote où l’un des participants se souvient qu’il avait forcé la main à Christiane, une collègue pour qu’elle aille à une représentation que le T.N.P. donnait dans sa banlieue Sud; il lui avait donné comme argument qu’il y aurait aussi un bal avec Gérard Philippe, Françoise Spira et Jeanne Moreau, et cette Christiane lui a confié le lendemain à l’usine où ils travaillaient: « Je ne croyais pas que ce serait si beau » . Aussi formidable qu’émouvant…
Un autre raconte comment il a appris en 1930, grâce à un petit poste radio que son père avait fabriqué lui-même, la première traversée réussie de l’Atlantique dans le sens Paris-NewYork par Dieudonné Costes et Maurice Bellonte en un peu plus de 37 heures! Un autre évoque simplement comment, à Caen, il avait sauvé la vie d’un prisonnier de guerre évadé revenu voir sa femme qui était… dans les bras d’un Allemand. Cette femme lui donna le lendemain une lettre de dénonciation qu’elle avait écrite pour qu’il la mette à la poste… lettre qu’il jeta, mû par une sorte d’incroyable pressentiment, dans le premier égout.
Souvenirs, souvenirs: un homme encore vaillant malgré l’âge, évoque aussi Wolf, son meilleur copain de lycée qui habitait Vincennes et dont il n’avait pas de nouvelles. Quelques jours plus tard, il vit des rangées de bus avec, à côté des gardes mobiles, surnommés, à cause de leur uniforme, « les vaches noires ». Il n’a jamais oublié, bien sûr, et dit simplement: « Je ne l’ai jamais revu, et on le sent proche des larmes quand il raconte cette sinistre histoire. Et, c’est en 1957, donc plus récemment si on peut dire, un autre raconte, que, revenu de l’usine, il apprit avec sa famille, la mort de son copain tué la veille dans les combats en Algérie.
A un moment, ces gens âgés se lèvent et vont prendre chacun un petit objet personnel sur une table et le montrent au public: c’est beau comme le dernier spectacle de Tadeusz Kantor. Ils disent tous ce qui fut un moment important de leur vie, comme leur premier amour avec lesquels ils vivent parfois encore. Et ils chantent un petite mélodie qui a fait partie de leur vie. Tout cela avec beaucoup d’aisance, et avec une grande sérénité. Ils sont toujours dignes et justes, remarquablement dirigés par Didier Ruiz qui sonne la fin de la récré soixante-quinze minutes après.
C’est à la fois beau et formidablement poignant, parce que l’on sait aussi qu’il y a peu de chances que nous les revoyons un jour sur un plateau… Et, repassent encore une fois, comme au début du spectacle, les photos en noir et blanc individuelles ou de famille, de très jeunes gens ou d’enfants dont on devine que ce sont les mêmes, qui, sur scène mais cette fois dos au public qui regardent eux aussi ce que fut leur vie dans le siècle précédent.. .
Le spectacle sans surlignages, sans vidéos, sans inutiles effets de mise en scène, est mené avec discrétion ,pudeur, et générosité; en une heure quinze, la messe est dite, et bien dite. Didier Ruiz a sans doute raison de limiter les représentations à quelques-unes, de façon à ne pas tomber dans un sorte de routine, voire de cabotinage toujours à craindre…
Donc, le metteur en scène a choisi de faire vite dans l’élaboration, ce qui est indispensable quand on a affaire à des participants âgés. Ce qui suppose au départ, une bonne expérience de la chose et une certaine lenteur dans le travail qui est un des plus rigoureux qui soient et dont ce spectacle est l’exact témoignage.
Un seul regret: Didier Ruiz ne tient pas, si on l’a bien compris, à ce que ce spectacle soit filmé; pourrait-on lui suggérer de faire au moins une captation, pour qu’il reste une trace de ce formidable et fragile moment de théâtre?
Philippe du Vignal
Ce spectacle, longuement travaillé, est une véritable merveille de simplicité. Au début, on nous projette des photos de famille, souvenirs d’une vie qui, comme trois petites notes de musique nous reviendraient en mémoire. Didier Ruiz a su placer ses acteurs/personnages sur le fil d’un quotidien. Ils n’ont aucune expérience du théâtre, ces amateurs, dits du troisième âge, qui entrent en scène. Belle idée assez optimiste, et il sait bien mettre en valeur sur un plateau, la parole de ces non comédiens.
Dans leurs monologues qui relatent des bribes de vie, une sorte d’innocence transparait. Le but de Ruiz étant sans doute, de nous transmettre plusieurs vécus et notamment celui de leur expérience de la seconde guerre mondiale qui nous parait alors différente. Le public se voit confronté à un autre regard, loin de celui que l’on nous apprend dans les livres d’histoire. Témoins du passé, ils nous transmettent par le langage, la parole et le souvenir d’une génération proche de s’éteindre.
Nous nous sentons vraiment impliqués: l’esprit de famille, les premiers sentiments amoureux, la naissance, tout comme dans les histoires qui ont bercé chacune de nos vies, nous nous laissons porter par le récit au singulier de ces personnes, pour la plupart très âgées. Comme si nous redevenions de petits enfants, en visite quotidienne chez nos grands-parents, avec l’espoir qu’ils nous racontent près du feu, une fois encore, une histoire qui pourrait rester gravée dans notre mémoire….
Laura Dauzonne stagiaire (19 ans) au Théâtre du Blog.
Théâtre de la Bastille 76, rue de la Roquette, Paris 11e. T : 01-43-57-42-14. Dimanche 27 avril à 17 heures. Lundi 28, mardi 29 et mercredi 30 à 20 heures.