Attention ! Travaux à Chaillot.

Coupe Perspective longitudinale B&A

Attention! Travaux à Chaillot…

Perspective Brossy Didier Deschamps, le directeur du Théâtre national a annoncé officiellement les débuts de  la rénovation de ce lieu mythique, signé des architectes Azéma, Carlu et Boileau, à l’origine conçu comme provisoire,  et inauguré  pour l’Exposition Universelle de 37, qui succéda au premier Palais du Trocadéro, salle de concert de 5.000 places, construite à l’occasion d’une autre exposition universelle en  1878.
L’endroit est immense, plein de couloirs, et d’escaliers, et de souterrains,et il n’était pas vraiment fini, quand Jean Vilar reçut ce « cadeau » de Jeanne Laurent, directrice chargée du théâtre au Ministère de l’Education nationale, après qu’il ait été la proie des nazis, puis de L’ONU
On a connu le grand Foyer avec un sol encore en béton, que Vitez fit recouvrir d’une moquette cache-misère marron en fibres synthétiques… Geroges Wilson qui succéda à Vilar fit transformer la cafeteria d’origine en seconde salle.     Imaginée par Jacques Le Marquet, un des scénographes de  Vilar, elle figure au palmarès déjà bien rempli des lieux théâtraux les plus ratés qui soient en France: mauvais visibilité pour le public sur les côtés et au balcon, plateau encombré de poteaux en arc-de-cercle, bruit des patins à roulettes jusqu’à une date encore récente, fuites fréquentes dûes à l’arrosage des pelouses au-dessus du théâtre, loges inconfortables, hall d’accueil exigu… entrée des décors difficile par la salle…
Quant à  la grande salle, dite depuis Jean Vilar  (2.700 places à l’origine!), elle  fut, sous la direction de Jacques Lang en 72, entièrement revue et corrigée avec une jauge de 1.300 places, et on construisit un restaurant, au bout du rand Foyer, et des bureaux au-dessus de l’autre grand escalier rendu inutile. Ce fut loin d’être un geste architectural fort mais ceux qui avaient le privilège d’y être logés, avaient au moins espace et lumière…
Jérôme Savary fit reconstruire les toilettes du public devenues sordides! Installer un plateau tournant sur la scène de la grande salle, et créer un couloir d’accès à la salle Gémier, où on n’entrait jusque là que par les jardins! Très agréable en hiver sous la pluie, quand il fallait descendre trois volées d’escaliers depuis le métro…
Ensuite, la salle de répétition fut désamiantée, restaurée et mise aux normes de façon à accueillir du public: ce fut  l’une des rares bonnes idées du règne Goldenberg, qui ne brilla guère… Bref, les bricolages architecturaux se succédèrent sans véritable projet d’ensemble et les  plans de réhabilitation s’empilèrent au Ministère de la Culture, sans résultat, dans la bonne tradition française, l’Etat reculant des deux pieds dès qu’il s’agissait d’une rénovation en profondeur  forcément coûteuse.

Le lieu, malgré ses défauts, restait attachant, avec un superbe plateau de 18 m d’ouverture et de presque autant de profondeur, et chargé d’histoire: Vilar d’abord, capitaine du navire dès 51 avec des mises en scène somptueuses, Vitez qui avait été figurant au T.N.P.,  puis Savary qui avait, disait-il, joué à ses tout débuts dans les collants noirs récupérés de Gérard Philippe: ce sont de nombreuses pages de l’histoire du théâtre contemporain, qui se tournèrent ici, avec plusieurs centaines de spectacles, joués par des centaines de comédiens et d’artistes, et non des moindres: Philippe Noiret, Jeanne Moreau, Gérard Philipe, Alain Cuny, Maria Casarès… dont les mythiques: L’Avare par Vilar,  Le Soulier de satin par Vitez, Mère Courage par Savary  qui furent créés dans ces murs,  et  les élèves de l’Ecole du Théâtre National,  comme les générations de public qui se succdèrent, y étaient très sensibles…
Mais le théâtre, vraiment peu conforme sur les plans de la sécurité et de la ventilation, difficile à vivre pour le personnel (entre autres, des bureaux sans fenêtre, comme les salles de cours de l’Ecole, l’atelier de couture, au deuxième sous-sol, bas de plafond et souvent étouffant, que Savary fit un jour visiter à François Mitterrand pour qu’il se rende compte des conditions de travail). Les artistes et techniciens y travaillaient au quotidien: sous lumière artificielle et la circulation était des plus compliquées à l’intérieur du bâtiment, et le théâtre ne possédait aucun accès digne de ce nom pour faire descendre les décors  sur le plateau de la grande salle, situé à  quelque -20 mètres depuis l’avenue du Président Wilson!
Bref, il devenait urgent de  repenser la fonctionnalité de ce bâtiment historique et de mettre enfin en place les différents chantiers de travaux entre 2014 et 2016. Avec d’abord la  reconstruction totale de la salle Gémier pour un montant d’environ 12 M d’euros, mais strictement contenu dans l’emprise existante, et dont le futur hall sera relié au grand Foyer actuel.
Modulable, grâce à des gradins rétractables,  d’une capacité de 390 places et  doté d’un  plateau de onze mètres d’ouverture, ce cube devrait être un bel outil de travail pour le théâtre contemporain comme pour la danse. A l’instar de la plupart des grands théâtres européens, Chaillot disposera donc enfin de trois véritables salles, et, à terme,  dans un autre volet de travaux, d’un indispensable lieu de répétition situé sous les gradins de la salle Jean Vilar qui seront reconstruits en béton.
Par ailleurs, ce qui n’est vraiment pas un luxe, est prévu tout un programme  d’accès  pour les personnes à mobilité réduite, (à noter que le très bel escalier roulant en buis – d’origine – fonctionne encore, à la descente comme à la montée en fin de spectacle), ainsi qu’un aménagement de l’accès décors, avenue du Président Wilson (ce qui n’est pas… une idée neuve puisqu’elle avait été déjà émise par Jérôme  Savary, il y a une quinzaine d’années). Ce qui permettra,  grâce à un puits de 29 mètres percé dans les lits calcaires de l’ex-carrière de Chaillot (étymologiquement Chaillot et caillou:même combat) de desservir à la fois les salles Gémier et Vilar…
Il y aura aussi, mais cela parait moins clair, un retournement des accès (sic), et de nouvelles circulations à l’intérieur du théâtre. L’accès initial à la grande salle par les jardins comme à l’origine du Théâtre, sera réhabilité; il permettait d’arriver  au parterre de l’ancienne salle, et de contempler, au passage, des fresques signés de grands noms, mais plus sûrement sortis de leurs ateliers: entre autres Bonnard, Vuillard, Ker-Xavier Roussel,  et plus près de nous, Brianchon, Chapelain-Midy, Oudot, etc… A vrai dire, vite torchées et somme toute, assez médiocres… La fresque de plusieurs centaines de m2 d’influence pompéienne, imaginée par Jaulmes  dans le grand Foyer, malgré un état un peu limite (poussière et et vers dus à la colle) est plus intéressante et devrait être  restaurée.
Et pour la modique somme de ? Apparemment, pas si cher que cela,  puisque l’on parle d’un budget total  de 20 M d’€,  si  cela se passe comme prévu. Mais c’est en tout cas, un bon investissement, quelque que soit la future destination de ce grand navire, pour le moment dédié, comme on dit, à la danse contemporaine depuis 2007, et où le théâtre, contemporain ou non, reste, un peu le parent pauvre.
Daniel Doebbels, chorégraphe associé, après les explications de Vincent Brossy, architecte, a brillamment fait entendre la parole de la danse, avec quelques photos superbes: le catafalque de Paul Valéry sur la place du Trocadéro en 1948, dont une phrase un peu pompeuse est inscrite au fronton  du  théâtre:  » Dans ces murs voués aux merveilles J’accueille et garde les ouvrages De la main prodigieuse de l’artiste Égale et rivale de sa pensée L’une n’est rien sans l’autre « , et une des statues dorées du parvis entièrement voilée d’un crêpe noir… Daniel Doebbels a, en conclusion, cité Nijinsky:  » Je ne danse pas pour que l’on m’attende ».
Rendez-vous en 2016; d’ici là, une des grandes prouesses des architectes  aura été de laisser le théâtre en ordre de marche, et sans interruption pendant la saison… Didier Deschamps a prévenu: tout se mérite, et il y aura sans doute un peu/beaucoup? de bruits de chantier dans cet énorme vaisseau en béton armé où tout résonne. Mais, à court terme, Chaillot, à plus de 76 ans, devrait retrouver une  véritable jeunesse…

Philippe du Vignal

* Chronopanaroma, application numérique en 3D accessible sur ordinateurs, etc.. et  sur les écrans à Chaillot, dont nous avons pu voir la première mouture, est tout à fait remarquable; elle offre une visite virtuelle des espaces originaux du théâtre, notamment de l’ancienne cafeteria avec ses beaux et confortables fauteuils en fer et cuir de Klotz, décorateur, et les magnifiques volées d’escaliers  de Raymond Sube, au sous-foyer, et bien entendu, les plans et les nouveaux espaces imaginés par le cabinet Brossy.

 


Archive pour 1 mai, 2014

Maman revient pauvre orphelin

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Maman revient pauvre orphelin de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Stéphane Valensi.

 

Prologue : il est là, dans l’ombre, lui, l’auteur anonyme. Il nous donne son autobiographie à la troisième personne et au collectif : « on ». Sous ce « on », nous reconnaissons très vite Jean-Claude Grumberg, peu doué pour le métier familial de tailleur, guère plus pour celui de comédien, qui trouve ainsi sa voie royale, le chemin de l’écriture, en même temps que son incapacité pathologique à accepter le succès…
On : un petit pronom à bon marché qui cache sa noble origine : « homme ».  On, n’importe qui, plusieurs. Grumberg a raison : qui naît juif, un peu avant le milieu du vingtième siècle et survit à la « solution finale », n’a pas un destin seulement individuel : on  est  nous, et eux, les absents. Et puis (ça c’est pour l’humour, auquel il est impossible d’échapper) :  on, rime avec « vie de (c) on ». Ça relativise.
Voilà donc lui, l’homme qui prend de l’âge (celui de la retraite) à l’hôpital. En pyjama rayé – humour noir de la vie-, il s’inquiète, il souffre, et soudain, Dieu lui parle. Surprise : il existerait donc, après avoir donné à l’humanité de sérieux doutes sur la question ? Ce petit dieu-là tient des fées des contes : il exauce les vœux. Je veux voir Maman : elle revient.
Mais ce n’est pas ça, c’est la mère, angoissée, nerveuse. Elle re-revient, âgée, lointaine : ce n’est pas encore ça. Enfin elle sera la mère du dimanche… On n’en dira pas plus, sinon que le petit dieu en question prend avec une belle ironie la figure du médecin anesthésiste ou du directeur de la maison de retraite. Celui qui a tout pouvoir sur votre vie fragile…
Cette courte pièce est mise en scène avec une parfaite simplicité, jouée avec la vraie naïveté qui convient : bien sûr que Dieu parle, bien sûr que tout homme malade redevient un petit enfant, bien sûr que notre mère n’est jamais ce qu’on espère. Et le père ? Sur fond de bruits de trains et de fracas européen, les lendemains ont cessé à tout jamais de chanter. Marc Berman, Marc-Henri Boisse et Guilaine Londez jouent juste et droit, avec ce qu’il faut d’émotion et de gravité pour qu’on puisse même en rire, et le violon de Boris Winter ne vole pas dans les airs, mais accompagne la mort d’une Europe qui vit dans les cœurs.
Le théâtre à sa juste place : la plus privée, la plus intime, ébranlée par la vibration terrible du monde, élargie par le rêve, et remise d’aplomb par le sourire. Un spectacle sans scories, sans fioritures, sans illusions, avec une énorme dose d’humanité, de fraternité, ON vous le dit.

 

Christine Friedel

 

Théâtre du Lucernaire T : 01 45 44 57 34, à 18h30 jusqu’au 21 juin.

 Le Théâtre de Jean-Claude Grumberg est publié aux éditions Actes -Sud

Festival international de Théâtre d’Orel

Festival  international de théâtre d’Orel.

 

 Ce festival, dont le jury était présidé par la critique de théâtre Irina Miagkova, existe depuis six ans. Très bien organisé par Alexandre Mikhaïlov, directeur du théâtre Svobodnoe Prostranstvo (L’Espace libre), il a pour thème Loudi (Les Gens) et comporte surtout des solos. On a ainsi pu voir une vingtaine de spectacles, mais visiter aussi l’une des villes les plus charmantes de la province russe. Qui ne connaît pas la province russe, ne connaît pas la Russie…
Ici, on entre dans un tout autre univers que celui de Moscou et de Saint-Pétersbourg, vitrines souvent trompeuses d’une société qui mérite mieux que les lieux communs de la russophobie à la mode.
Orel, 350.000 habitants, et à trois cent soixante kilomètres au sud-ouest de  la capitale, au confluent de l’Oka et de l’Orlik, a vu naître une dizaine d’écrivains… dont Nicolas Leskov, Ivan Bounine, Mikhaïl Bakhtine, Léonide Andreev et Ivan Tourgueniev qui y ont chacun leur musée. Ce festival annuel est un événement pour la population, et joue un rôle de ferment culturel, en relation avec un héritage littéraire prestigieux.
Grâce à l’humanité de son directeur, c’est un facteur d’échange et de fraternité.
Il existe en russe un mot qui désigne bien ce sentiment d’appartenir à une communauté locale, à une patrie charnelle plus vivante, plus concrète, plus tangible que les grands idéaux abstraits modelés par l’histoire, c’est « sobornost », à connotation religieuse. En Russie, on va en effet un peu au théâtre comme à la messe, pour partager une même foi dans une réalité qui échappe aux vicissitudes de la vie quotidienne et de la politique, aux pesanteurs économiques et sociales.

  Et nous avons ressenti cette proximité entre l’esthétique théâtrale et la liturgie orthodoxe, en assistant, après notre retour à Moscou, à l’office de Pâques. Il faut entrer dans une église de quartier, donc peu fréquentée par les touristes, mais par les petites gens, les babouchkas et les familles, pour comprendre comme l’a écrit le père Florenski, que la synthèse des arts  prônée par les artistes d’avant-garde, se réalise chaque fois que « les gens » se rassemblent pour rendre accessible aux sens, le mystère de l’Incarnation et de la Résurrection.
  Le festival est aussi pour les théâtres d’Orel, un moyen de s’ouvrir à l’International et, outre les créations locales, on a pu voir des spectacles venus de Saint-Petersbourg, de Kharkov (Ukraine), de Berlin, de Grodno (Biélorussie) et du Luxembourg. Avec une programmation répartie entre les deux scènes du théâtre Svobodnoe Prostranstvo, celle du Théâtre Style russe, et la salle de concert de l’Institut de la culture.
  Alexandre Mikhaïlov, directeur et fondateur du festival, a créé, d’après une pièce qu’il a lui-même traduite de l’anglais, Kostoumier  (L’Habilleur) de Ronald Harwood, spectacle assez traditionnel, mais de bonne facture, qui vaut surtout pour le jeu des acteurs, et qui a reçu le prix de la meilleure mise en scène. En France, on assiste souvent à une banalisation de l’acte théâtral qui obéit en Russie, à un rituel immuable lui conférant une certaine solennité, et le public quitte alors le quotidien pour entrer dans la sphère de l’art. A Moscou, il existe des lieux alternatifs qui rompent avec ce lustre mais, en province, on respecte les formes et le confort bourgeois des salles à l’italienne…
Le théâtre russe, aujourd’hui encore, porte les traces de la tradition soviétique. Avec des acteurs formés selon la méthode Stanislavski. Et, bien qu’il y ait aussi, dans les écoles d’art dramatique, des cours de mise en scène, l’accent reste mis sur le travail du comédien plutôt que sur une réalisation originale d’une œuvre. Et,  nombre de créations ont emporté l’adhésion du public de ce
festival, grâce à l’engagement et au métier des acteurs formés à la fameuse  école russe .
A cela, s’ajoutent un perfectionnisme et un professionnalisme qui peuvent  avoir des côtés négatifs, quand le métier prend le pas sur l’invention et favorise la routine. A part les « théâtres d’entreprise » qui fleurissent surtout à Moscou, les Russes restent cependant fidèles au théâtre de répertoire, avec des troupes permanentes . qui ont un esprit de corps et leur offrent la chaleur d’un foyer à ses comédiens..
chichement rétribués. Dans les festivals,  ce sont des jurys de critiques professionnels qui attribuent les prix et chaque spectacle donne lieu à une «obsoujdiénié», discussion entre les créateurs et le jury qui l’apprécie en fonction de critères artistiques bien établis. Exercice parfois contesté,  il reste très demandé par les acteurs eux-mêmes ; loin d’être un jugement sans appel, il est en effet  destiné à apporter un regard critique sur un travail théâtral, par essence toujours perfectible.
Le directeur du festival a, cette année, a créé  en plus un jury de jeunes qui a participé à cette « obsoujdiénié »  et qui donnait aussi des prix. Et nombre de séminaires ont été très suivis, à la fois par les étudiants et par le public. Guennadi Diomine, un critique de Moscou, en a donné deux  sur  La primauté du son dans le texte littéraire.

  Le jury des professionnels a attribué à l’unanimité son grand Prix au spectacle du Théâtre de marionnettes de Grodno,  La Dame de pique, mystification mystique sur les motifs du récit de Pouchkine,  mise en scène par O. Jogjald, dans  une scénographie de M. Stachoulionok. C’est une fantaisie délicieuse, axée sur un  duel entre Tchaïkovski et Pouchkine qui opposent leurs conceptions sur cette Dame de pique. Fondée sur une ingénieuse combinaison  entre  marionnettes et acteurs, cette transposition originale du chef-d’œuvre,  a séduit le jury et le public par sa liberté et sa justesse. Il y a ainsi des moments où s’établit, entre  scène et salle, une complicité qui correspond à notre désir de ce qu’on pourrait appeler, faute de mieux, « la vérité artistique ».
  Les critères de goût et de jugement, variables,  ne sauraient être codifiés, mais il existe un sentiment d’évidence qui crée parfois le consensus dans la réception d’une œuvre. Et, au festival d’Orel, nous avons eu plusieurs fois l’occasion d’éprouver cette unanimité. Tout d’abord, avec  Les Adieux, un solo d’après les lettres de Joukovski qui relate la mort de Pouchkine, dans un scénario de V. Recepter. Le spectale était mis en scène et scénographié par A. Andreev. Et l’un des grands acteurs russes d’aujourd’hui, Serge Barkovski n’a pas interprété  Joukovski, mais était Joukovski; il a reçu le prix du meilleur acteur masculin. Et nous avons tous reçu, de plein fouet, le frisson de douleur et de révolte qui passe dans ces lettres.
 monocle_2Deux autres solos : Le Toast  et  Le Monocle ont recueilli une adhésion quasi générale. Le premier, une création du Théâtre de Staroskolski pour les enfants et la jeunesse, d’après Le Barman Adgour, un récit de Fazil Iskander, a été  mis en scène et remarquablement joué par Serge Lysenko.
On pouvait craindre que ce texte d’un écrivain parmi les plus populaires de l’Union soviétique, pour la gouaille et l’humour de ses parodies du système, n’apparaisse quelque peu daté. Cette confession d’un bandit d’honneur caucasien, condottiere moderne, fait référence en effet à une époque déjà ancienne, celle des règlements de compte entre criminels mais les mœurs ont si peu changé qu’elle a été perçue comme toujours très actuelle…
Quant au Monocle, un portrait de Sylvia Von Harden, écrit et réalisé par Stéphane Ghislain Roussel, il était joué en allemand par Luc Schilz mais seulement deux fois, comme les autres spectacles. Il a obtenu un grand succès auprès du jury de jeunes qui lui a donné son  prix du meilleur rôle masculin. Très apprécié et primé aussi par le jury des professionnels qui lui a donné le prix de la meilleure petite forme, le spectacle rappelait le remarquable
Tout près de l’horizon que Wladyslaw Znorko avait créé avec des comédiens russes qui s’était heurté aux habitudes acquises à la fois par le  public et les gens de théâtre…
Le succès de ce Monocle s’explique par le besoin de rupture avec les fondements psychologiques et réalistes d’une tradition issue du XIXème siècle. La pièce, fort bien écrite par  Stéphane Gislan Roussel, s’inspire du portrait de la journaliste Sylvia Von Harden par Otto Dix, en 1926. L’auteur peint ici un personnage hors normes mais brosse aussi un tableau de l’Allemagne à la veille de la catastrophe… Luc Schiltz a parfaitement incarné, dans un beau travail de composition, la nature androgyne de Sylvia Von Harden, mais surtout son désespoir existentiel qu’elle ressentait dans son rapport au monde, à l’époque de la grande dépression. Notre univers contemporain génère aussi sans doute chez les jeunes une angoisse diffuse fort proche de ce « malaise dans la civilisation », jadis analysé par Freud et perceptible ici dans le jeu et la réalisation scénique
de Luc Schiltz.

  En revanche, la création de Oh ! Les Beaux Jours par la grande actrice Biroute Mar, mise en scène par le Lituanien Antonas Kousniskas, a été décevante! Programmé dans la grande salle,  elle devait clôturer triomphalement le festival mais le rapport scène/salle a déstabilisé l’actrice qui s’est fourvoyée dans des affèteries qui ont dénaturé le texte de Beckett.  Le Bonheur caché de l’auteur ukrainien Ivano Franko, a été présenté par le Lituanien Linas Marious Zaïkaouskas, qui a fait carrière en Russie depuis de longues années. Il a choisi de faire, de ce mélodrame paysan, une tragédie antique, quitte à en  transformer le dénouement mais ses intentions de mise en scène étaient loin d’être évidentes et, seul, le jeu remarquable des acteurs a pu sauver cette création! Malgré cela,  ce spectacle a obtenu le prix de la meilleure grande forme…
Parmi les spectacles qui ont suscité des réactions contradictoires : Les Leçons de l’Abbesse, un poème en vers d’Elena Schwartz,  mis en scène par
Youri Tomachevski, et interprété par Anna Nekrassova. Nous avons été séduits par sa diction et son jeu, malgré une pantomime sophistiquée, et la poésie fantastico-érotique de l’écrivaine nous a plongés dans l’atmosphère du Siècle d’argent dont elle a réussi à prolonger jusqu’à nos jours l’esthétisme décadent. On songeait souvent au Cabaret du Chien errant, où se réunissait la fine fleur de la bohème de Saint-Pétersbourgeoise qui venait assister aux tournées du Théâtre poétique de Paul Fort…
C’est aussi une fonction du théâtre de nous faire voyager dans le temps, avec des correspondances entre les époques et les lieux…

 Gérard Conio

 Festival d’Orel du 1er au 7 avril.

 

Mies Julie

Mies Julie d’August Strindberg, adaptation en anglais, xhosa et afrikaans et mise en scène de Yaël Farber, spectacle surtitré en  français.

 

MissJulieGetAttachmentUne grande sensualité plane sur cette Mies Julie, avec un rituel de mise à mort dans la société post-apartheid de l’Afrique du Sud. Le pessimisme de cette adaptation  rejoint l’esprit de la pièce de Strindberg qui lui a fourni un socle dramaturgique solide. Conflit de classes, lutte pour le pouvoir dans cette rencontre entre Julie et son valet Jean, le soir du solstice d’été: cela se passe  dans une cuisine à Karoo, dans une région désertique du pays.
Ici, malgré la fin de l’apartheid il y a vingt ans, les habitudes et  les vieux préjugés ne sont pas encore éteints. Les ouvriers africains sont en train de fêter cet anniversaire et l’alcool coule à flots; 
la musique fait vibrer la nuit en l’absence du maître de maison, et Mies Julie, légèrement ivre, en profite  pour fréquenter ces ouvriers africains dont la fréquentation lui est interdite.
Jean nettoie les bottes du maître dans  cet endroit où travaille Christine, l
a cuisinière qui est aussi la mère de Jean.  Julie, elle, a grandi ici, et sa présence déclenche le souvenir d’une époque qui a laissé de profondes cicatrices dans la mémoire de cette famille au service du Maître.
Mais, tout d’un coup, cette nuit-là, les tabous sont transgressés! Et les désirs refoulés peuvent enfin s’exprimer, la colère s’oublier: tout devient possible, même les moments de passion partagés par ces corps qui se retrouvent dans la fête. Julie veut danser avec Jean mais lui n’ose pas reconnaître la présence de cette jeune femme de plus en plus provocante, jusqu’à ce que  l’ambiance en devienne électrique. La musique xhosa très rythmée, remplit la nuit, et subitement, Jean enfile ses bottes et se lance dans une gumboot, une danse énergique et sensuelle, première  libération  physique qui aboutira vite à une rencontre sexuelle d’une rare violence.
Sur la table de la cuisine,  comme sur un autel, les deux corps nus, exposés et brûlants, s’exhibent dans un rituel qui annonce la libération possible d’une société toujours prisonnière du passé. Et l
’arrivée de la mère et d’une autre femme qui erre dans l’ombre comme un fantôme, ravive le  souvenir douloureux des ancêtres enterrés sous la cuisine. Archétypes matriarcaux, elles sont vêtues et coiffées de manière traditionnelle, et tournent autour des amants endormis sur la table. Leur présence rouvre des plaies et l’ancienne génération ne peut oublier le passé.
MIESBongile-Mantsai-Hilda-Cronje2Une véritable danse de mort  commence alors dans cette cuisine. Expressions de rage, accusations haineuses, menaces, et  souvenirs déchirants associés à des passions amoureuses explosives: les deux amants finissent par s’achever mutuellement. Dans une scène d’une brutalité inouïe et jouée avec un grand réalisme,  c’est  l’impossibilité d’une vie  commune et, pour le moment du moins, d’une réconciliation nationale qui sont ici affirmées.   

Le jeu de ces acteurs/danseurs est bouleversant. Vers la fin, une chorégraphie efficace rend la  parole presque superflue,  et seules  les phrases chantées par  l’amie africaine nous ramènent vers le passé traditionnel  dont la mère tenait à garder le souvenir intact. Une brume épaisse va s’insinuer doucement sur la scène et envelopper le jeune couple.
L’expérience d’une véritable transformation par la violence sacrificielle, mène ces acteurs/danseurs  vers  un point de non-retour, là où une force supérieure finira par les terrasser.  Cette Mies Julie participe d’un théâtre politique et la mise à mort en constitue ici une étape obligatoire,  comme pour tout mythe fondateur, ce que dit très bien René Girard dans La Violence et le sacré. Selon Farber, le pays est en train de vivre le début d’une nouvelle existence et le spectacle de cette excellente compagnie laissera sûrement  une marque dans les annales du théâtre sud-africain..

Alvina Ruprecht

 

 Place des Arts, Montréal, du 24 avril au 3 mai. Harbourfront Festival World Stage de Toronto, du 6 au 10 mai.

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