Maman revient pauvre orphelin
Maman revient pauvre orphelin de Jean-Claude Grumberg, mise en scène de Stéphane Valensi.
Prologue : il est là, dans l’ombre, lui, l’auteur anonyme. Il nous donne son autobiographie à la troisième personne et au collectif : « on ». Sous ce « on », nous reconnaissons très vite Jean-Claude Grumberg, peu doué pour le métier familial de tailleur, guère plus pour celui de comédien, qui trouve ainsi sa voie royale, le chemin de l’écriture, en même temps que son incapacité pathologique à accepter le succès…
On : un petit pronom à bon marché qui cache sa noble origine : « homme ». On, n’importe qui, plusieurs. Grumberg a raison : qui naît juif, un peu avant le milieu du vingtième siècle et survit à la « solution finale », n’a pas un destin seulement individuel : on est nous, et eux, les absents. Et puis (ça c’est pour l’humour, auquel il est impossible d’échapper) : on, rime avec « vie de (c) on ». Ça relativise.
Voilà donc lui, l’homme qui prend de l’âge (celui de la retraite) à l’hôpital. En pyjama rayé – humour noir de la vie-, il s’inquiète, il souffre, et soudain, Dieu lui parle. Surprise : il existerait donc, après avoir donné à l’humanité de sérieux doutes sur la question ? Ce petit dieu-là tient des fées des contes : il exauce les vœux. Je veux voir Maman : elle revient.
Mais ce n’est pas ça, c’est la mère, angoissée, nerveuse. Elle re-revient, âgée, lointaine : ce n’est pas encore ça. Enfin elle sera la mère du dimanche… On n’en dira pas plus, sinon que le petit dieu en question prend avec une belle ironie la figure du médecin anesthésiste ou du directeur de la maison de retraite. Celui qui a tout pouvoir sur votre vie fragile…
Cette courte pièce est mise en scène avec une parfaite simplicité, jouée avec la vraie naïveté qui convient : bien sûr que Dieu parle, bien sûr que tout homme malade redevient un petit enfant, bien sûr que notre mère n’est jamais ce qu’on espère. Et le père ? Sur fond de bruits de trains et de fracas européen, les lendemains ont cessé à tout jamais de chanter. Marc Berman, Marc-Henri Boisse et Guilaine Londez jouent juste et droit, avec ce qu’il faut d’émotion et de gravité pour qu’on puisse même en rire, et le violon de Boris Winter ne vole pas dans les airs, mais accompagne la mort d’une Europe qui vit dans les cœurs.
Le théâtre à sa juste place : la plus privée, la plus intime, ébranlée par la vibration terrible du monde, élargie par le rêve, et remise d’aplomb par le sourire. Un spectacle sans scories, sans fioritures, sans illusions, avec une énorme dose d’humanité, de fraternité, ON vous le dit.
Christine Friedel
Théâtre du Lucernaire T : 01 45 44 57 34, à 18h30 jusqu’au 21 juin.
Le Théâtre de Jean-Claude Grumberg est publié aux éditions Actes -Sud