Mies Julie

Mies Julie d’August Strindberg, adaptation en anglais, xhosa et afrikaans et mise en scène de Yaël Farber, spectacle surtitré en  français.

 

MissJulieGetAttachmentUne grande sensualité plane sur cette Mies Julie, avec un rituel de mise à mort dans la société post-apartheid de l’Afrique du Sud. Le pessimisme de cette adaptation  rejoint l’esprit de la pièce de Strindberg qui lui a fourni un socle dramaturgique solide. Conflit de classes, lutte pour le pouvoir dans cette rencontre entre Julie et son valet Jean, le soir du solstice d’été: cela se passe  dans une cuisine à Karoo, dans une région désertique du pays.
Ici, malgré la fin de l’apartheid il y a vingt ans, les habitudes et  les vieux préjugés ne sont pas encore éteints. Les ouvriers africains sont en train de fêter cet anniversaire et l’alcool coule à flots; 
la musique fait vibrer la nuit en l’absence du maître de maison, et Mies Julie, légèrement ivre, en profite  pour fréquenter ces ouvriers africains dont la fréquentation lui est interdite.
Jean nettoie les bottes du maître dans  cet endroit où travaille Christine, l
a cuisinière qui est aussi la mère de Jean.  Julie, elle, a grandi ici, et sa présence déclenche le souvenir d’une époque qui a laissé de profondes cicatrices dans la mémoire de cette famille au service du Maître.
Mais, tout d’un coup, cette nuit-là, les tabous sont transgressés! Et les désirs refoulés peuvent enfin s’exprimer, la colère s’oublier: tout devient possible, même les moments de passion partagés par ces corps qui se retrouvent dans la fête. Julie veut danser avec Jean mais lui n’ose pas reconnaître la présence de cette jeune femme de plus en plus provocante, jusqu’à ce que  l’ambiance en devienne électrique. La musique xhosa très rythmée, remplit la nuit, et subitement, Jean enfile ses bottes et se lance dans une gumboot, une danse énergique et sensuelle, première  libération  physique qui aboutira vite à une rencontre sexuelle d’une rare violence.
Sur la table de la cuisine,  comme sur un autel, les deux corps nus, exposés et brûlants, s’exhibent dans un rituel qui annonce la libération possible d’une société toujours prisonnière du passé. Et l
’arrivée de la mère et d’une autre femme qui erre dans l’ombre comme un fantôme, ravive le  souvenir douloureux des ancêtres enterrés sous la cuisine. Archétypes matriarcaux, elles sont vêtues et coiffées de manière traditionnelle, et tournent autour des amants endormis sur la table. Leur présence rouvre des plaies et l’ancienne génération ne peut oublier le passé.
MIESBongile-Mantsai-Hilda-Cronje2Une véritable danse de mort  commence alors dans cette cuisine. Expressions de rage, accusations haineuses, menaces, et  souvenirs déchirants associés à des passions amoureuses explosives: les deux amants finissent par s’achever mutuellement. Dans une scène d’une brutalité inouïe et jouée avec un grand réalisme,  c’est  l’impossibilité d’une vie  commune et, pour le moment du moins, d’une réconciliation nationale qui sont ici affirmées.   

Le jeu de ces acteurs/danseurs est bouleversant. Vers la fin, une chorégraphie efficace rend la  parole presque superflue,  et seules  les phrases chantées par  l’amie africaine nous ramènent vers le passé traditionnel  dont la mère tenait à garder le souvenir intact. Une brume épaisse va s’insinuer doucement sur la scène et envelopper le jeune couple.
L’expérience d’une véritable transformation par la violence sacrificielle, mène ces acteurs/danseurs  vers  un point de non-retour, là où une force supérieure finira par les terrasser.  Cette Mies Julie participe d’un théâtre politique et la mise à mort en constitue ici une étape obligatoire,  comme pour tout mythe fondateur, ce que dit très bien René Girard dans La Violence et le sacré. Selon Farber, le pays est en train de vivre le début d’une nouvelle existence et le spectacle de cette excellente compagnie laissera sûrement  une marque dans les annales du théâtre sud-africain..

Alvina Ruprecht

 

 Place des Arts, Montréal, du 24 avril au 3 mai. Harbourfront Festival World Stage de Toronto, du 6 au 10 mai.

 

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