Macbeth de William Shakespeare, traduit et dirigé par Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre.
« – Qu’appelez-vous pouvoir ? Un logement dans un palais ?… La curiosité des foules ? … Les hommes qui se courbent ? Les hommes qui se couchent ? La télévision à la botte ? … La fierté familiale ? La visite des ambassadeurs ? (…) Un budget grevé? Une France triste ? Les jeunes sous un ciel vide, les pieds dans une poubelle ? Un président qui règne, qui gouverne, qui juge, qui légifère, qui commente lui-même les nouvelles qu’il inspire, monarque souverain d’un pouvoir absolu ? ». Ainsi, résonnent encore les questions de François Mitterrand dans Ici et maintenant.Autre temps, autres mœurs, qu’on soit à la fin de notre siècle passé, au début du XXIème ou du XVIème siècle avec le Macbeth de Shakespeare, le pouvoir d’un seul dépend toujours de l’obéissance ou de la résistance de tous les autres, éclairés ou aveuglés encore par quelques-uns.Rendez-vous est donné à des arrivées d'équipes gouvernementales sur un tarmac d’aéroport; les ministres font des réponses convenues à des questions convenues, à une traînée de journalistes. Les cameramen sont avides d’images et les techniciens tendent leurs micros pour recueillir des paroles éphémères… Un fouillis d’individus tente de s’approcher du pouvoir et de ses salons dorés et pénètre à l’intérieur de nos vies mêmes de téléspectateurs pour voir ces albums de photos papier glacé, résidus d’une existence mensongère, où chacun joue sa partition mondaine.La terre tourne, au rythme fébrile des captations audiovisuelles, et quand vrombissent les hélicoptères au-dessus des têtes, le spectateur s'imagine dans le personnage du patrouilleur d’Apocalypse now (1979) imaginé par Coppola, qui part, pendant la guerre du Vietnam, à la recherche d’un officier au parcours exemplaire, devenu fou sanguinaire.À la fin du spectacle, Macbeth se terre dans une sorte de bunker, rappel des fins tragiques de Saddam Hussein, Kadhafi, Hitler et bien d’autres. Le temps semble n'y rien faire…Shakespeare situe sa pièce à l’époque des batailles entre la Norvège et l’Écosse. Macbeth – cousin du roi Duncan et chef de son armée – étouffe une révolte, ce qui va le mener près du trône. Aussi imagine-t-il devenir roi, et sur les conseils, et avec l’aide de Lady Macbeth, il tuera le souverain légitime, les témoins de son crime et ceux qui le soupçonnent de l'avoir commis , puis les fils et les amis des victimes : «Dans le sang, j’ai marché si profond que je n’avançais plus. Revenir en arrière serait aussi pénible que continuer jusqu’au bout. » (III, 5)Le sanguinaire Macbeth, que Serge Nicolaï incarne avec force et rage, est hanté par l’obsession effrayante d’avoir tué le roi, et tourmenté par des images angoissantes, et son destin tourne au cauchemar… Nirupama Nityanandan joue une lady Macbeth tendue et efficace qui perd peu à peu les rênes, tragiquement seule auprès de son époux devenu fou. Saluons l'élégance de Duccio Bellugi-Vannuccini dans le rôle de Malcolm et de Martial Jacques dans celui de Donalbain, la ténacité de Vincent Mangado (Banquo) et de Sébastien Mottet-Michel (Mac Duff). Mention spéciale à Eve Doe-Bruce au comique de commedia dell’arte.La mise en scène d’Ariane Mnouchkine et du Théâtre du Soleil participe de leurs convictions citoyennes, et de leur engagement politique.Tout le spectacle témoigne en fait de la violence du monde. Le public est convié, avec le travail de cette compagnie cinquantenaire, à un spectacle entre vie et rêve, sorte de film irréel en trois dimensions, où, sur scène, s'impose avec rigueur le corps des acteurs accompagnés par la musique de Jean-Jacques Lemêtre.Une quarantaine de comédiens, en costumes coloniaux anglais, ou en uniformes militaires actuels, joue en effet les personnages principaux, les servants de scène, tout un personnel de maisonnée, des officiers et des soldats, des milices et des résistants investit le plateau en silence, avec la grâce d’un ballet chorégraphié jusque dans les moindres détails. Ses déplacements font frémir les rideaux de soie qui entourent la scène: c'est comme tout un peuple face aux mégalomanies des grands.On évoque ici l'Ecosse avec des tapis de landes et de bruyères, des troupeaux de moutons laineux, des vertes collines et de brumeuses forêts, et on devine la Tamise, en bas d’un café entouré de murets de briques. Les trois sorcières, fieffées et laides coquines, tiennent leur condition avec panache, coiffées d’une perruque façon maison de poupée. Dans l’écurie du château de Macbeth, deux chevaux (presque vrais) ruent dans leur box, quand ils sentent l’effroi de leurs maîtres qui viennent d’accomplir leur acte odieux.Quant au jardin de Macbeth, c'est une fresque vivante de toute beauté, une roseraie, avec des fleurs roses et blanches à foison, dont les pétales clairs jonchent le sol comme pour une cérémonie, remplacés ensuite par d'autres rouge sang qui s’incrustent partout, dans les décorations du mobilier, comme dans le fond sinueux des âmes.Ce rendez-vous de théâtre – véritable souffle d’une troupe – honore l’imaginaire.
Véronique Hotte
Il y a foule et les places ont été réservées depuis longtemps. Ariane Mnouchkine est à l'entrée pour accueillir le public et valider les tickets d'entrée; ici, pas de lecture électronique du code, et c'est tant mieux. Ariane déchirant les tickets, c'est devenu une image mythique du théâtre contemporain depuis cinquante ans. Avec des spectacles souvent très bons, voire excellents, et jamais médiocres, depuis les premiers comme Les Petits bourgeois de Gorki que nous avions vu en 64, Barbe-Bleue d'Offenbach, monté par ses comédiens dans une salle de patronage, avec des costumes de cinéma prêtés par son père, une action de rue en six minutes près des usines Renault, et bien sûr, celui, fameux, qui avait lancé le Théâtre du Soleil: La Cuisine d'Arnold Wesker dans une petite salle de Montmartre qui accueillait les matches de boxe. Et enfin le célèbrissime 1789, à la Cartoucherie, encore très peu chauffée avant d'être vraiment restaurée, suivi de 1793.Souvenirs, souvenirs…Cinquante ans après, le Théâtre du Soleil est toujours là, Ariane aussi, toujours déterminée et combative, malgré les épreuves: « « Mes engagements ont toujours été idéalistes » dit-elle, avec raison. Les comédiens ne sont évidemment plus les mêmes, certains ont disparu comme Philippe Léotard, ou Louba Guertchikoff, qui, un an avant sa mort à 80 ans, disait crânement: » Je ne veux pas de médicaments contre ce cancer, j'ai eu une belle vie, c'est bien comme cela ». Et les compagnons de la première heure, comme Françoise Tournafond, sa créatrice de costumes, Catherine Franck sa photographe, épouse de Cartier-Bresson, et Guy-Claude François, son excellent scénographe disparu lui, cette année ( voir Le Théâtre du Blog).Impossible de ne pas penser à eux quand on pénètre pour la x ème fois, avec émotion et respect à la fois, sous les fermes Polonceau du grand hall du Soleil, dont le sol est couvert des tapis-brosse de L'Age d'or. Les murs sont peints avec, entre autres, avec une grande fresque de Londres et un portrait de Shakespeare, des affiches des Macbeth: celui d'Henry Irvin à Londres, de Kean, de metteurs en scène russes ou japonais; il y a aussi, en clin d'œil sans doute, la couverture du texte de Macbeth, le premier sans doute qu'ait vu Ariane Mnouchkine, celui du T.N.P., quand Vilar avait monté et joué la pièce avec Maria Casarès. On est toujours accueilli chaleureusement au Théâtre du Soleil comme dans peu de théâtres français, institutionnels ou non… Et c'est, à chaque fois, comme une sorte de pèlerinage dans cette Cartoucherie, devenu un lieu mythique, et dont tous les gens de théâtre français, et même étrangers, connaissent au moins l'adresse… Et Macbeth? Nous ne somme pas tout à fait d'accord avec notre amie Véronique Hotte. Que dire en effet, sinon notre grande déception! Certes, on ne peut demander à Ariane Mnouchkine de refaire une mise en scène proche de celles de ses flamboyants Shakespeare des années 80, comme Richard II, La Nuit des rois, ou Henri IV, cela n'aurait aucun sens. Mais ici, désolé, on ne voit pas bien ce qu'elle a voulu réaliser avec cinquante acteurs, comme si elle voulait nous persuader que le nombre faisait l'efficacité. Et on ne voit pas bien ici ni la violence politique, ni non plus la folie qui s'empare du couple infernal après qu'ils aient tué le roi Duncan.Le spectacle a été réglé au cordeau et avec une exemplaire minutie: effets sonores et visuels, impeccables entrées et sorties de scène, avec une quinzaine de comédiens/serviteurs de scène chargés de balayer le sol et d'introduire puis de déménager aussi vite après une scène: lande en tapis de fibres de coco, ou arrière-boutique de fleuriste avec bouquets et de plantes en pot pour figurer un jardin, ou encore meubles et tapis de salon. C'est parfaitement orchestré et ressemble à une sorte de happening dont on apprécie la vision, même si, paradoxalement, il n'y a pas grand chose à voir… Cela fait partie intégrante du spectacle mais le rallonge inutilement. En fait, l'absence de Guy-Claude François se fait ici cruellement sentir et on peut mesurer combien il aura été aussi, et depuis longtemps, le véritable co-auteur des spectacles du Soleil, comme son ami Richard Peduzzi le fut pour ceux de Patrice Chéreau. Ariane Mnouchkine possède toujours cette très grande maîtrise de l'image et du son, mais ces déménagements incessants parasitent la mise en scène, en cassent et en ralentissent singulièrement le rythme. Tout se passe en fait comme si elle avait eu peur de rater le train de la modernité. En habillant les soldats en uniforme contemporain, et en suggérant la présence de dictateurs contemporains (Hussein, Khadafi…) avec vacarme d’hélicoptères et cohortes de photographes et reporters de télévision… Bref, ce ballet confus est bien peu crédible, et ne fonctionne pas. D'autant plus que les deux acteurs choisis pour jouer Macbeth et Lady Macbeth (Serge Nicolaï et Nirupama Nityanandan) ne sont pas du tout à la hauteur de leurs personnages. Lui, à la fin, enfermé dans une sorte de bunker, possède (mais c'est bien le seul moment!) une vérité tragique mais la comédienne, qu'on entend souvent mal, n'est pas convaincante et n'a rien de cette redoutable épouse, à la fois séductrice et monstrueuse qui pousse son mari au crime. Et comme ce couple infernal est peu crédible, la mise en scène déjà alourdie par ces déménagements inutiles et permanents, ne tient plus trop la route. Même si on entend bien le texte, articulé de façon presque caricaturale, (on ne sait pourquoi les acteurs tapent sur la fin des mots, comme aucun apprenti comédien n'oserait le faire), on commence à s'ennuyer assez vite d'autant que le spectacle, coupé d'un trop long entracte, dure quatre heures! Le public, toutes générations confondues, trouve le temps long… Bref, on est en effet dans l'imagerie, voire dans la bande dessinée (comme la scène dans l'écurie avec ces deux beaux chevaux, plus vrais que nature, dans leurs stalles) mais jamais vraiment dans l'action dramatique de cette pièce difficile mais souvent passionnante dont le texte recèle de belle pépites. Sauf à de trop rares moments, comme dans la scène du portier très bien jouée, ou celle du banquet avec une image sublime: des pétales de rose rouges en rivière de sang… Et il y a la partition sonore de Jean-Jacques Lemêtre en direct, aussi discrète qu'efficace, qui introduit un climat d'angoisse…Mais, comme beaucoup d'autres metteurs en scène plus jeunes qu'elle et qui n'ont pas sa formidable expérience, Ariane Mnouchkine semble s'être fait piéger ici par un sorte de primauté, voire de dictature de l'image, (la « médiacratie » comme dit Régis Debray), alors que nous sommes tous impressionnés par la seule force des images mentales que développe une simple phrase de Shakespeare. Ainsi comme dans les célèbres mots prononcés par Lady Macbeth: » Tous les parfums de l'Arabie…A la question: avait-on besoin de tout ce bordel scénique pour jouer Macbeth, la réponse est non! Et c'est le défaut majeur de ce spectacle pourtant très soigné, très professionnel mais qui, la plupart du temps, tourne un peu à vide. Après quelque vingt représentations, Ariane Mnouchkine était encore à sa table de travail dans la salle, prenant des notes, comme si elle était insatisfaite … Il y avait ce soir-là, des fans inconditionnels du Soleil dans le public mais le spectacle a été fraîchement applaudi; donc, à vous de décider, si vous avez envie de tenter l'aventure ou non…. Le Théâtre du Soleil prépare un autre Macbeth « contemporain », écrit par Hélène Cixous… Croisons les doigts.
Philippe du Vignal
Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ-de-Manœuvre, Métro Château de Vincennes, et navette gratuite. T. : 01-43-74-24-08. Les mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 13 h 30 et 19 h 30, dimanche à 13 h 30. Places de 15 € à 29 €
Théâtre du Soleil.fr.
Le texte dans la traduction d’Ariane Mnouchkine, coédité avec les Editions Théâtrales,sera disponible en librairie à l’automne prochain, et est déjà en vente à la librairie du Théâtre du Soleil.