sortie d’usine
Sortie d’usine de Nicolas Bonneau, mise en scène et collaboration à l’écriture d’Anne Marcel.
Ce solo reprend le titre du film mythique de Louis Lumière en 1895 qui avait filmé la sortie des ouvrières de l’usine Lumière à Lyon. Nicolas Bonneau raconte le monde du travail, (il le connaît bien par son père ouvrier), celui de Gilbert Simoneau, un soudeur à la retraite, de sa femme, employée dans un atelier de lingerie féminine condamné à terme pour cause de délocalisation en Tunisie, d’un fabricant artisanal de tuiles emporté par le tsunami de la révolution industrielle à laquelle il ne voulait ni ne pouvait d’adapter sans renoncer à son identité. On croise aussi un délégué syndical ne cessant de lutter pour un avenir meilleur jusqu’à sacrifier sa vie personnelle.
Ce théâtre-documentaire est ici conjugué à la première personne, à partir d’une enquête in vivo, réalisée par lui à partir de 2.006 dans sa région de Poitou-Charentes, sur le monde ouvrier de la France d’hier et d’aujourd’hui, celui qui, encore et dans de nombreux domaines (laiterie, métallurgie, chaîne du froid, pétrochimie…), fabrique les aliments, les objets et outils dont nous nous nous servons au quotidien et où, pour la plupart d’entre nous, nous n’avons jamais pénétré, sinon par le biais de quelques films, comme celui de Gilles Perret, Mémoires d’ouvriers…
Nicolas Bonneau raconte mais aussi joue les différents protagonistes de l’enquête qu’il a menée, il y a quelques années. Il sait trouver les mots et les gestes pour dire la fatigue physique des plus intenses, les petits matins blêmes quand il faut se sortir du lit à quatre heures pour aller en voiture à l’usine dans le brouillard, les nombreux accidents du travail parfois mortels, les blessures à vie, le bruit infernal des machines toute la journée, le froid ou l’extrême chaleur, la poussière de métaux lourds, la fréquente saleté, les cadences éprouvantes pour le corps et l’esprit, le manque de protection aux produits toxiques et/ou hautement cancérigènes.
Et aussi, tout ce qui constitue la culture ouvrière: le rapport aux patronat, les acquis sociaux jamais accordés, et durement gagnés à coups de revendications, les indispensables mais tout puissants actionnaires et malgré tout, la solidarité ouvrière. Le monde de l’entreprise a considérablement changé en un demi-siècle mais pas toujours dans un sens favorable.
Nicolas Bonneau a réussi à faire parler ceux qui ne parlent jamais parce qu’ils estimaient n’avoir rien à dire; seul sur le plateau, sans aucun autre accessoire qu’un ancien fauteuil de bureau, il sait aller droit au but, avec précision: à la fois comédien, conteur et mime; le spectacle est rodé, même si la direction d’acteur n’est pas toujours au top (il a tendance à bouler son texte) et que la diction n’est pas non plus impeccable.
Mais Nicolas Bonneau a construit et joue ce solo avec une belle conviction; et même s’il ne nous apprend rien de vraiment nouveau sur la condition ouvrière, ce petit spectacle constitue un très utile piqûre de rappel. Le théâtre peut aussi servir à cela…Sans usines et sans ses ouvriers, que serait le monde contemporain?
Philippe du Vignal
Le Grand Parquet, Paris (XIX ème) jusqu’au 18 mai.