Vingt-troisièmes rencontres d’ici et d’ailleurs
Vingt-troisièmes rencontres d’ici et d’ailleurs, manifestation d’artistes de rue au Moulin fondu de Noisy-le-sec.
Au printemps, il pleut souvent. Cela ne décourage pas les acteurs du théâtre de rue. Ainsi, les Vingt-troisièmes Rencontres d’ici et d’ailleurs de Noisy-le-sec ( sec!) ont affronté sans faiblir un temps menaçant puis carrément hostile, jusqu’au déluge. Deux des cinq spectacles vus étaient à l’abri, mais, là n’est pas le plus important.
La question, c’est celle de la rencontre, avec un public de curieux venus pour le spectacle et de passants captivés au hasard par l’événement. Le Dottore dapertutto du Teatro del silencio fait tomber une neige très réaliste (une mousse de détergent ?) sur un train de chariots grillagés, prison, bagne, mine de charbon, images successives du travail embrigadé et de l’échec de l’utopie communiste. Sous le ciel noir, un peuple opprimé mime tour à tour les gestes de la révolution et du travail collectif.
Cet hommage à Meyerhold et à sa pensée révolutionnaire du théâtre biomécanique fonctionne : la belle scénographie de ce spectacle/défilé et sa musique nostalgique font passer un travail qui n’est pas tout à fait abouti, mené par la compagnie avec les comédiens amateurs de la ville. On accompagne les tableaux biomécaniques , on suit le groupe jusqu’à son départ en camion, image toujours lourde de terreur. Mais, en fait de rencontre, on en reste au regard.
Le Théâtre du voyage intérieur de Léa Dant cherche avant tout le partage. Replié dans une cantine d’école, la pluie interdisant la poésie du plein air, Le Banquet de la vie réunit autour d’une même table, spectateurs et comédiens d’un « théâtre invisible ». Ici, tout est fait pour abolir les frontières. Des histoires de vie, forcément banales, surgissent autour de la table, les provisions apportées en famille finissent par être partagées et échangées au-delà du petit cercle en question.
Ça prend un certain temps, la rencontre est un peu longue à venir, comme le charme du spectacle. On est finalement touché presque malgré soi, même si l’on est frustré sur le plan artistique. Les comédiens sont irréprochables, mais la dramaturgie est faible. Le banal, dans cette fraternisation quelque peu évangélique, n’a pas su révéler ses merveilles. Alors ? Le partage à tout prix se fait-il aux dépens du théâtre ?
Petite course sous la pluie jusqu’au gymnase où se produit le Théâtre Group’, de Franche-Comté. Estrade, allées et venues au milieu d’un public nombreux : ici, on est du côté des bateleurs et du « stand up », avec une conférence bouffonne sur le comique. Gags, « à peu près », provocations, miroir tendu aux jeux télévisés : l’humour au quatrième, troisième, second et premier degré clignote quelque peu. Bon, on en reste au spectacle, même si c’est, avec la participation du public, surtout des enfants, la mise en pièce (et en abyme) du spectacle.
Dans une accalmie et dans les espaces verts d’une cité plutôt agréable, Je vais lui en mettre du Johnny Rootten. Trois jeunes femmes, belles et drôles, nous entraînent dans les péripéties classiques de la vie au féminin. Espoirs, déceptions, rigolades, tout cela conduisant au constat de la domination masculine, avec, hélas, la complicité des filles en question.
Une femme sans homme est-elle un poisson sans bicyclette ou un pantalon sans bretelles ? C’est vif, bien vu. La ballade dans la cité est malheureusement arbitraire, n’a aucune fonction sinon de faire ouvrir (modérément) quelques fenêtres. Cela pourrait aussi bien se jouer au cabaret. Un démarche difficile à exporter ? Ce qui manque ici, c’est une vraie inscription dans le territoire.
Reste le gros morceau spectaculaire, la déambulation du groupe Oposito (voir Le Théâtre du Blog). Sous une pluie de plus en plus impitoyable, Kori Kori trace dans la ville une géographie absolument neuve. De quoi s’agit-il ? Simplement de montrer, de faire danser l’humanité tout entière. Les acteurs viennent de tous les pays, ils jouent de leur quarante chaises musicales (mais il y a place pour chacun), de leurs costumes multicolores à transformation, de leurs origines multiples et de leurs musiques en continu et en direct.
Ils font courir la foule, la fendent comme une mer, l’emmènent, et, sans un mot, transforment la cohue en théâtre, les petits devant, les grands derrière. En un mot, ils métamorphosent la ville de leurs corps infaillibles et héroïques, de leur regard qui jamais ne lâche. Oposito ne nous laisse pas être badauds. Même si le thème de la déambulation paraît un peu abstrait, on est saisi par la perfection du rythme, du mouvement, par la maîtrise du spectacle (y compris des bâches surgissant sans rien interrompre pour protéger les instruments de musique), par la concentration souriante et libre des acteurs. À guetter, à suivre dans les festivals et manifestations de rue, et même sous le soleil.
Christine Friedel
Teatro del silencio les 22 et 23 mai au Festival Internacional des Artes Callejos, à Valladolid (Espagne), les 28 et 29 juin à Viva Cité à Sotteville-lès-Rouen, et en août, au Festival d’Aurillac.
Le Banquet de la vie les 17, 18, 19 et 20 juin à 19h à la Bibliothèque historique de la ville de Paris.
Compagnie Oposito, le Moulin Fondu. T: 01 48 02 80 96