Les cinquante ans du Théâtre de la Taganka.

Les cinquante ans du Théâtre de la Taganka.

   220px-Yuriy_LyubimovLe 23 avril est né à Moscou, le Théâtre de la Taganka, donc jumeau du Théâtre du Soleil créé par Ariane Mnouchkine et ses camarades un mois plus tard avec le statut de coopérative ouvrière. Deux théâtres qui, chacun à leur façon, faisaient à l’époque une différence avec les autres, l’un par sa liberté de ton et de style, l’autre par son mode de fonctionnement et ses créations collectives .
Cinquante ans plus tard, le Théâtre du Soleil est toujours là, à Vincennes, dans un remarquable espace théâtral aménagé dans une ancienne usine de cartouches. Il vient de monter Macbeth, qu’il donne à voir sous un jour nouveau, dans son théâtre-maison, comme avait su l’être pendant ses vingt premières années, la Taganka qui est, aujourd’hui, une coquille vide, anéantie par les dissensions et les passions personnelles que les chaos politiques successifs ont intensifiées. Le Théâtre du Soleil, lui, continue son parcours généreux et talentueux, sous la direction d’Ariane Mnouchkine.
De 1964 à 1984 quand s’exila son metteur en scène Iouri Lioubimov, dont le pouvoir soviétique avait interdit coup sur coup trois de ses spectacles, la Taganka avait fait  chaque soir, et parfois deux fois par jour, salle archi-comble. Dans cet espace de libre parole, et malgré la censure qu’il combattait de toute son énergie, Lioubimov avait son équipe d’acteurs, poètes et chanteurs, son scénographe David Borovski, et les plus grands compositeurs de son temps comme Alfred Schnittke, ou  Edison Denisov.
Après la perestroïka et le retour grandiose de Lioubimov, fêté à Moscou avec les premières si longtemps attendues de ses spectacles interdits, dont un mémorable Boris Godounov  de Pouchkine), la troupe n’a cessé de se déchirer. Lioubimov a continué d’y monter des spectacles mais… dans la discorde. Et, il y a deux ans, il a fini par claquer la porte. Au Festival d’Avignon 2000, il avait présenté un Marat-Sade qui avait surpris par sa jeunesse et sa vigueur.
Les cinquante ans de la Taganka se sont donc fêtés sans lui,   comme une parodie de l’âge d’or de cette troupe mythique. Mais Rimas Tiouminas, directeur actuel du Théâtre Vakhtangov, où Lioubimov avait fait une belle carrière d’acteur avant de devenir metteur en scène célèbre, a  célébré  avec l’aide du festival Tchekhov, le 23 avril dernier, les 80 ans de théâtre de ce Russe d’origine tzigane qui aime tant l’Italie.
A cette occasion, on a pu voir des spectacles que Lioubimov a montés ces deux dernières années, mais  ailleurs qu’à la Taganka : Les Démons de Dostoïevski au Théâtre Vakhtangov où, autour d’un piano de concert, les scènes se succèdent avec puissance et presque sans décor, accompagnées par la musique de Vladimir Martynov, collaborateur de Lioubimov depuis longtemps. Il y a juste, en fond de scène, une reproduction de L’Age d’or de Claude Le Lorrain avec Acis et Galatée. Dans cette nouvelle mise en scène des Démons (il en avait réalisé déjà une, quand il était en exil à Londres et qu’on avait vue au Théâtre de l’Odéon en 1985), Verkhovenski père semble être son porte-parole.
Le Prince Igor d’Alexandre Borodine, au Théâtre Bolchoï, œuvre inachevée et complétée par Rimski-Korsakov et Glazounov, se voit ici allégée par Lioubimov de nombreuses scènes et arias, donc coupée de plus d’une heure, ce qui a, bien sûr, provoqué de nombreuses protestations dans le milieu de l’opéra… Le metteur en scène retrouve ici sa veine exceptionnelle dans le traitement des chœurs et des foules, avec des fresques monumentales et minimalistes.
Il y a des images d’une grande force, comme la célèbre lamentation de Iaroslavna, seule sur un pont qui divise l’espace scénique en deux, avec, au fond du plateau, un chœur de femmes d’abord en ombres, qui prend ensuite lentement vie en avançant vers le public.
Mais on n’a pas vu
Lioubimov au Bolchoï; il est actuellement malade. Mais à 97 ans, il prépare pourtant un opéra audacieux, à partir de L’Ecole des femmes de Molière. Il est aussi l’auteur du livret et Wladimir Martynov en a composé la musique. En décembre dernier, Iouri Lioubimov était venu à Paris pour préparer ce projet et avait rencontré Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie.

 

Béatrice Picon-Vallin

 

 


Archive pour 20 mai, 2014

Le nouveau bateau feu de Dunkerque

montage bateau

Le nouveau Théâtre le Bateau feu de Dunkerque.

Le théâtre datait de 1963: donc pas si ancien que cela mais comme  dans bon nombre d’établissements culturels,  il y avait une nécessité de mise aux normes de sécurité, d’accessibilité et de confort pour le public, et du côté plateau, une reconfiguration totale des équipements de machinerie, de stockage correspondant aux enjeux actuels du spectacle vivant.
Mais avec plusieurs contraintes: garder la plus grande partie du lieu déjà existant de façon à diminuer le montant de l’ardoise finale…et  établir un programme architectural de restructuration relativement rapide sur trois ans. La Scène nationale du  bateau feu étant financée par la ville de Dunkerque, la Communauté urbaine, le Conseil général du Nord, la Région et l’Etat.
L’agence d’architecture Blond et Roux, et en particulier Marie-Agnès Blond  qui a imaginé et réalisé ce nouveau bâtiment, a comme enveloppé l’ancien théâtre d’une nouvelle structure en verre sur toute la façade et les côtés, où se reflète les nuages du merveilleux ciel du Nord, et avec l’idée de transparence, ce qui est plutôt rare, quand il s’agit d’un théâtre.
Avec un grand parvis et un hall pouvant contenir selon l’architecte Marie-Agnès Blond quelque 700 personnes soit le public de la grande salle, la jauge de la petite étant de 200 places. Avec une cafeteria dans le fond, assez mal insonorisée: dommage. Le hall très haut de plafond a un  éclairage zénithal venant  de deux puits de lumière en caissons, pas très beaux et qui doivent dater de l’ancienne construction. Cela sent un peu le clin d’œil architectural… Le revêtement du sol est en véritable linoléum beige avec des joints de lés pas toujours au point. Mais bon, ici comme ailleurs, les contraintes budgétaires sont parfois incontournables donc pas de carrelage; l’architecture on l’oublie trop souvent est un art du compromis, surtout quand il s’agit de quelque 300m2! Antoine Vitez en sait quelque chose quand il avait dû faire poser une méchante moquette marron en acrylique dans le grand Foyer du Théâtre de Chaillot resté en béton brut depuis plus de quarante ans.
En revanche, la grande salle est absolument superbe, confortable et chaleureuse, dotée d’une excellente acoustique. Un large et beau plateau de 15 m d’ouverture, sur 14 m de profondeur avec un cage de scène de 18 m sous grill, et avec aussi, côté jardin, un grand espace de dégagement. Et un plancher de scène avec des dessous d’une hauteur de 3 m comme dans bon nombre de théâtres à l’italienne … d’autrefois! Exceptionnel et bien vu.  Et il y a aussi une fosse d’orchestre prévue pour 65 musiciens et évidemment couverte quand elle ne sert pas, et qui forme proscenium.
La petite salle (189 places), équipée de de gradins  rétractables, constitue un autre bel espace, et, à l’arrière du théâtre, les locaux techniques sont munis de grands dégagements. Hélène Cancel, la directrice aux manettes depuis huit ans, peut être fière du travail réalisé pour son nouveau bateau… Et la programmation,  (à la fois théâtre, danse, opéra, musique, cirque, théâtre pour enfants…) correspond bien à une démocratisation culturelle d’autant qu’Hélène Cancel a mis en place une intelligente politique de tarification.

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Deux petits spectacles gratuits ont ravi le public lors de cette inauguration; d’abord Transports exceptionnels de Dominique Boivin, sur la parvis du Théâtre qu’on avait pu voir au Cent quatre il y a  quelques années, et très souvent en France. Il s’agit d’une drôle de relation entre un vrai  bulldozer et un danseur en chemise blanche immaculée, pantalon et gants noirs sur la musique de l’acte III du Cid, un opéra  de Jules Massenet.
L’un, énorme bête, est d’une habileté stupéfiante et l’autre, petite silhouette courageuse et tout aussi habile, n’hésite pas à s’accrocher au godet où il reste pendu, ou à  se retrouver debout les bras en croix
sur ce même godet à plus de cinq mètres. Le bras le menace parfois en le coursant, l’attire puis le recueille comme dans  un berceau où il vient se coucher, le tout  avec une précision  stupéfiante chez chacun des deux protagonistes… « Par son gigantisme, la machine crée une tension avec le corps du danseur. C’est aussi, dit Dominique Boivin,  une rencontre inattendue, un duo entre fer et chair. J’utilise le bras de la pelleteuse pour sa fonctionnalité et sa dynamique, mais aussi comme un bras humain qui prend, repousse ou cajole ! La rotation de la machine est un mouvement ample, spectaculaire mais il peut aussi évoquer un manège. Le godet, dont la fonction est de gratter, de forer, de transporter et de déverser, offre une extension poétique : une main qui porte, qui élève et qui protège. Si parfois, j’imagine la machine comme un être humain rude et imparfait – à l’image de Boris Karloff  dans Frankenstein – je tente également de toucher au merveilleux , au vertige du rêve de La Belle et la Bête« . Une belle intervention  de vingt minutes très applaudie par les Dunkerquois.
L’autre spectacle, c’était Inaugurations, de et par Jean-Pierre Bodin et la Lique sur mer. Soit une parodie des inaugurations de tout poil comme il en existe plusieurs milliers par an en France. Jean-Pierre Bodin est là, les cheveux maintenant grisonnants
dans un  beau costume de maire/président/directeur, on ne sait pas trop et cela n’a aucune importance. Il remplit ses fonctions d’inaugurateur de la grande salle du Bateau feu avec gravité et humour à la fois, plus vrai que nature. C’est à la fois burlesque dans l’énonciation comme dans la gestuelle, et par moments, il ne semble pas trop à l’aise comme tous les inaugurateurs mais il a, pour le soutenir,  une belle fanfare de sept musiciens qui s’en donnent à cœur joie- et qui jouent tout un répertoire d’airs connus  avant, pendant,  et même après cette inauguration de ce Palais Idéal Culturel comme l’indique Bodin. Et, grand seigneur, à la fin, il invite le public un peu intimidé, à venir sur la scène boire un coup de rouge avec ses musiciens.
Voilà. L’inauguration se poursuivra avec un certain nombre de Fêtes de la Crémaillère  dont l’entrée sera gratuite mais il faudra quand même retirer des billets… Et il y a aura un pique-nique sur le Parvis et un Bal à maman,  le dimanche 25 mai. Longue vie au Bateau feu…

Philippe du Vignal 

Le Bateau feu Place Paul Asseman, 59140 Dunkerque. T: 03 28 51 40 30

   

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