Le Roi nu d’Evgueni Schwarz
Le Roi nu d’Evgueni Schwarz, mise en scène de Léa Schwebel.
L’écrivain russe (1896-1958) fut journaliste mais aussi remarquable écrivain et dramaturge, et de 1925 à 1954, écrivit douze pièces avec marionnettes sous forme de contes pour enfants mais aussi, dès 1934, pour les adultes. Mais L’Ombre puis Le Roi nu (1934) furent interdites par Staline et cette dernière pièce ne fut jouée qu’en… 1960. Quant aux représentations du Dragon qu’il écrivit en 41, elles ont été aussi, et immédiatement, interdites par les autorités staliniennes en 1944. Le Roi nu reprend en fait trois contes célèbres d’Hans Christian Andersen (1805-1875): Les Habits neufs de l’Empereur, Le Porcher, et La Princesse au petit pois. C’est une sorte de fable féérique, écrite au second degré où Schwarz reprend la trame de l’histoire initiale: Henri,un jeune et pauvre porcher, amoureux de la princesse Henriette; ils veulent se marier mais le père de la Princesse veut qu’elle épouse un roi voisin gros, chauve et assez bête et la lui envoie aussitôt. Avant de se faire confectionner un beau costume pour le mariage… Mais Henri et Christian, son ami, se font passer pour d’habiles tisserands et vont faire croire qu’ils sont tout à fait capables de créer un habit d’une beauté remarquable et qui pourrait n’être seulement vu que par des gens intelligents. Et le roi va arriver absolument nu devant ses sujets… C’est aussi, à peine voilée par moments, et écrite avec beaucoup d’humour et d’intelligence, une charge des plus burlesques des régimes hitlérien ou soviétique, et du culte de la personnalité. Avec plus d’une quarantaine de personnages, comme Henri, Henriette, Le Roi son père, Christian, l’ami d’Henri, et le gros roi du pays voisin, la gouvernante, des soldats, etc… Ce qui excite sans doute la convoitise des jeunes comédiens réunis en collectif, comme on dit maintenant, puisqu’il y a des rôles pour tout le monde et qu’ils peuvent aussi en interpréter plusieurs, et même jouer en chœur. De plus, cette farce à couleur politique, même si elle a perdu de sa force, se prête bien à de multiples effets de jeu gestuel, danse, chant, mise en scène et scénographie. Reste à rendre cette fable crédible et ne pas se prendre les pieds dans le tapis, quand on veut réaliser un climat fantastique au théâtre; et c’est du genre casse-gueule, comme le disait lucidement une jeune spectatrice devant nous… Léa Schwebel qui semble ne douter de rien, veut avec ses amis, « inventer pour et avec le public des formes théâtrales nouvelles qui s’affranchissent du réalisme pour aborder avec légèreté et distance tous les sujets de la société ». Bon, on veut bien mais ici, on est loin du compte; on sent qu’elle a été influencée par l’enseignement de Jacques Lecoq et par toute une pédagogie du geste, et c’est tant mieux. Mais sa mise en scène et sa direction d’acteurs restent en pointillé. Et très vite, ce Roi nu distille un ennui de premier ordre. Il y a une première et grosse erreur dans cette réalisation: croire que cela va faire moderne et plus chic, quand on met des petites tables de maquillage et les costumes sur un portant, bien visibles du public: résultat, cela encombre un plateau déjà pas très grand et mal foutu, et brouille, au lieu de l’aider, la vision de la pièce de façon permanente. Alors que c’est, d’évidence, un académisme, et depuis longtemps, de la mise en scène contemporaine. Comme cette curieuse manie de vouloir jouer dans le public, et commune aux compagnies qui jouent au Théâtre 13… Par ailleurs, les costumes, très importants dans une mise en scène du Roi Nu, sont ici réduits à de simples bandes ou morceaux de tissu que les comédiens qui jouent beaucoup de rôles, enfilent vite et à vue: c’est à la fois franchement laid, triste et pas efficace. Sans doute nous répondra-t-elle que c’est une solution quand on n’a pas beaucoup d’argent mais, non, il suffit de frapper au bon endroit pour trouver des costumes qui ont déjà servi mais qui peuvent être tout fait intéressants. Ce que faisait Jérôme Savary à ses débuts et nombre d’autres… Enfin, il aurait fallu aussi que Léa Schwebel ait eu la possibilité d’avoir des comédiens capables de rendre les personnages de Schwarz crédibles, ce qui est loin d’être le cas: les rôles pour la plupart difficiles, demandent un sacré métier…Et, comme la pièce est quand même, soyons francs, des plus inégales et souvent bavarde, elle aurait mérité une dramaturgie plus solide et donc d’abord quelques coups de ciseaux. On reste donc sur sa faim et on s’ennuie sec pendant 90 minutes. Bref, ce n’est pas un bon spectacle, et on ne voit pas comment il pourrait se bonifier…
Philippe du Vignal
Théâtre 13, 103 A bd Auguste Blanqui, Métro Glacière, jusqu’au 22 juin