Les Tribulations d’une étrangère d’origine
Les Tribulations d’une étrangère d’origine, version scénique de Mémoire pleine d’Élizabeth Mazev.
Avec un beau sourire malicieux, Élizabeth Mazev, bien droite et décidée, n’en finit pas de s’amuser elle-même de sa vie et de ses heureux hasards, naissance et rencontres.
Etre né quelque part, puis plus tard, être ou ne pas être, selon la formule shakespearienne. Élizabeth Mazev « est », et s’est, on n’en doute pas, construite. Avec ce récit personnel qu’elle a mis en scène et qu’elle interprète seule, elle se souvient de ses trois ans et demi dans une petite ville du Sud de la France.
Ses parents et son grand frère aîné de douze ans, parlent le bulgare entre eux, comme leur voisine et compatriote du rez-de-chaussée à la différence de son amant yougoslave, dont la langue « varie » quelque peu.
Chaque été, les vacances s’organisent avec une virée en voiture au pays qu’on a laissé derrière soi, à la recherche des membres de cette famille morcelée d’exilés politiques.
Au retour de ces embardées affectives mais aussi politico-culturelles, la petite Élizabeth, tonique et effervescente, qui comprend le bulgare mais se refuse à le parler – alors qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche -, trouve sa vraie place à l’école républicaine française où, dès le CE2, elle rencontre, pour ne plus le quitter, Olivier Py, homme de théâtre à venir. Le jeune homme la suivra plus tard dans ce pays mythique qui fraie avec l’identité même de sa compagne.
Mais, entre-temps, le mur de Berlin est tombé, pour laisser place à un capitalisme sauvage ahuri que beaucoup d’autochtones s’emploient à fuir, alors que les affranchis d’hier s’évertuent à retrouver l’authenticité perdue d’un pays qui n’existe plus sinon sur la carte géographique.
En fait, ce pays appartient à un imaginaire collectif dont il serait difficile de dénouer clairement les liens. Élizabeth, à la recherche de soi, n’a peur de rien : enfant, elle visite sa mère-patrie et apprend à l’aimer… jusqu’au moment où elle découvre les failles de ce « satellite le plus fidèle de l’Union soviétique ».
Elle n’en continue pas moins à le chérir jusqu’au jour où tout s’écroule, pour laisser place à l’arrogance et au terrorisme des nouveaux riches du libéralisme économique. Élizabeth reste elle-même, frondeuse dans la recherche de projets artistiques, comme dans sa vie de jeune fille, mais elle reste discrète à ce sujet.
Et c’est bien cette pudeur qui la distingue de tous ces faiseurs actuels d’autobiographie complaisante. L’actrice se raconte devant nous, tout à tour dubitative ou sereine, incertaine et fragile, ou encore autoritaire et péremptoire.
Avec un léger accent chantant du Sud comme cadeau de bienvenue, cette femme de notre temps vit sur la scène comme elle évolue dans la vie, sans nul écart entre l’être et sa vérité, le discours et la pratique, en glissant pourtant vertigineusement du rêve à la réalité.
Un travail d’une figure sereine et souveraine, sans éclat, avec force et conviction. Nous sommes tous des étrangers d’origine qui travaillons à trouver l’identité qui nous sied…
Véronique Hotte
Festival Seules… en scènes au Théâtre de l’Ouest Parisien, le 20 mai.
Festival de Sibiu (Roumanie), le 6 juin, Et à Poligny, le 16 octobre; puis à Act Art 77, les jeudi, vendredi, samedi et dimanche, du 21 novembre au 21 décembre et du 8 janvier au 28 février; à Narbonne, le 9 décembre et à Noyon, le 30 janvier.
Le texte de Mémoire pleine est paru aux Solitaires Intempestifs.