Grisélidis
Grisélidis, d’après les textes et interviews de Grisélidis Réal, conception et interprétation de Coraly Zahonero.
C’est un engagement artistique et politique que de mettre en scène l’aventure humaine et professionnelle de Grisélidis Réal, (1929-2005), prostituée suisse ou péripapéticienne comme elle le revendiquait, et comme indiqué sur sa pierre tombale.
Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, a été d’emblée touchée par son œuvre, et a porté son projet haut et fort, avec conviction et lucidité.
Celle qui se donnait aux hommes en échange d’argent, a consigné, dans ses ouvrages, lettres et interviews, la réalité d’un destin, celui d’une pute qui s’assumait en tant que telle, mais, paradoxe pour le commun des mortels, elle jouait aussi de sagesse, puisqu’elle témoignait de bon sens et de modération dans ses affaires commerciales. Et elle manifestait de la compassion à l’égard de ses rencontres masculines hasardeuses en souffrance.
Cette prostituée avait pris soin de garder la trace, à travers l’écriture, et de façon clinique, comme lors d’une observation scientifique, de ses relations sexuelles avec les clients. Elle établissait à part soi, à la manière de Casanova, un inventaire de leurs particularités et caractéristiques. L’artisane – car on peut considérer sa petite entreprise à caractère confidentiel comme un artisanat – offrait aussi toute son attention et son empathie aux femmes qui font commerce de leur corps avec des hommes en mal d’être, et qui travaillent à alléger le fardeau du malheur d’exister.
Coraly Zahonero a noté le militantisme de Grisélidis Réal dans les années 70, pour que cessent les stigmatisations et les offenses morales et physiques dont les prostituées sont victimes, et pour qu’elles soient enfin reconnues dans leur dignité et leurs droits. Il s’agit de défendre une prostitution « librement » choisie, et pratiquée dans de bonnes conditions, mais aussi de condamner l’esclavage sexuel et le crime que représente le trafic des êtres, des corps et des esprits.
Grisélidis Réal s’évertuait par son activité singulière à « élargir les cœurs et les esprits » et la comédienne en habitant la scène, reprend poétiquement le flambeau. L’accompagnent, la saxophoniste Hélène Arntzen avec des morceaux de jazz des années soixante et la violoniste Floriane Bonnani qui a aussi composé les autres musiques du spectacle; elle égrène l’âme du peuple tzigane cher à Grisélidis Real.
Dans un halo d’ombres et de lumières, avec des bougeoirs et quelques tissus chamarrés, le spectacle est teinté de mélancolie et de tristesse, et on sent Grisélidis Réal à l’écoute de la vie intérieure de ces hommes en perdition, mal aimés et en proie à une extrême solitude. Cette femme lumineuse et souvent envahie par la douleur, éclaire la nuit de la misère en délivrant une parole crue mais aussi souvent lyrique. Combattive, elle a défendu sa vie privée, par exemple, quand elle avait rendez-vous avec des hommes qu’elle avait choisis. Ainsi, en aimant Rodwell, un G. I. noir américain rencontré dans une boîte de jazz.
Coraly Zahonero a pris fait et cause pour la prostituée suisse, engagée dans la cause de ses semblables, lucide pour ce que réserve le noir de la vie, du plus sordide jusqu’au sublime, depuis soi jusqu’à ce mouvement généreux vers les autres.
Voix légèrement gouailleuse, la comédienne déroule le fil d’or d’un raisonnement qui fraie intimement avec la passion folle d’aimer. Bravo !
Véronique Hotte
Festival de théâtre « Seules…en scène », le 22 mai au Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt; le Triton aux Lilas (93), du 27 au 31 mai. T : 01 49 72 83 13