masques et nez
Masques et nez, direction d’Igor Mendjinski.
Ils sont une quinzaine de jeunes comédiens (sortis de l’Ecole du Théâtre national de Chaillot, du Conservatoire national ou du Studio d’Asnières, etc….Et par bande de cinq (mais cela change tous les jours) ce qui suppose chez eux une bonne dose d’adaptation… Ils jouent masqués, ou avec de simples faux nez, des personnages qu’ils se sont créés, soit ici des élèves qui suivent un cours de théâtre amateur dirigé par Igor.
Dénominateur commun: pas très sûrs d’eux, ils ont quelque chose à dépasser: surtout une timidité qui les handicape et/ou une diction pas très sûre et sont en général de milieux que les médias qualifient de modestes. Ce soir-là, il y avait ainsi: Luca: Tewfik Jallab, Denis: Arnaud Pfeiffer; Malcom: César Van Den Driessche; Jessica: Florine Delobel, Lucienne Roux, dite Lulu: Peggy Dias, et enfin Laurent Ferraro (Igor) qui dirige le cours depuis la salle.
C’est la même bande de jeunes comédiens confirmés qui avait créé au Théâtre Gérard Philipe de Saint- Denis J’ai couru comme dans un rêve selon le même principe: aucun décor, quelques effets lumineux, cinq chaises dépareillées, un thème choisi et des comédiens qui improvisent et qui se relancent la balle .
L’exercice est du genre casse-gueule, et sans filet aucun; on pouvait donc craindre le pire (qui n’est pas toujours sûr, comme le dit le sous-titre du Soulier de satin de Claudel) ou du moins le niveau moyen de nombreux matches d’improvisation souvent vulgaires et racoleurs, surtout avec un thème qui flirte très, et trop souvent avec le théâtre dans le théâtre…
Mais non, pas du tout, on frise ici l’excellence et, rapidement, le comique a vite raison du plus récalcitrant des spectateurs; c’est à la fois, exempt de vulgarité, rusé, drôle et dirigé de façon exemplaire. Une fois que le professeur a mis les choses au point et établi les règles du jeu, tout s’enchaîne singulièrement poétique comme dans la réalité. Certes, ce petit miracle théâtral est en instabilité permanente mais le public est formidablement complice, et cela fonctionne donc au quart de tour.
Avec des interprètes remarquables de pudeur et d’efficacité: les cinq comédiens tous possèdent une excellente diction et ne surjouent jamais: cela fait souvent penser aux Deschiens, ceux du moins des débuts: ils racontent des bribes de leur pauvre vie, piétinent sur leur scène qu’ils n’arrivent pas à mettre au point, même encouragés par leur prof, et quand il y parviennent, ils sont aux anges : c’est à la fois horrible et cruel, et même par instants émouvant, mais tellement drôle…
Les comédiennes sont exceptionnelles, et, comme elles ne sont que deux dans le groupe actuel, vous aurez sans doute la chance de les voir. Il y a ainsi Peggy Dias, une jeune femme qui joue une vieille rockeuse assez déjantée, à la voix de fumeuse et à la gueule toute ridée, hallucinante de vérité, sous un très beau masque de bois signé Etienne Champion, et, dans le rôle de la parfaite idiote et naïve, à l’ego surdimensionné, Florine Delibel, elle aussi, excellente: et pour créer ce type de personnage, c’est bien connu, il faut être diablement intelligente… Et Tewfik Jallab joue Lucas, un pauvre garçon, ancien taulard, au faible Q.I., et assez violent et paumé, lui aussi d’une remarquable justesse.
La fin du spectacle est un peu moins solide et a tendance à ronronner mais il y a une heure de grand bonheur scénique: le public ne boude pas son plaisir et rit comme rarement. Et, comme autrefois dans le célèbre Peines de cœur d’une chatte anglaise d’Alfredo Arias, quand les comédiens retirent leur masque, on est bouleversé par leur humilité: miracle de ce spectacles à mains nues, sans décor, avec un texte qui n’en est pas vraiment un mais où tout est plus vrai que nature.
Il faut dire que le théâtre contemporain, toutes tendances confondues, ne nous donne pas souvent l’occasion de rire… Ce spectacle est à déguster juste sorti du four, avec ses incroyables trouvailles et mais aussi ses instants un peu moins forts : chaque séance est forcément différente mais quelle qualité d’interprétation, quelle unité de jeu! Bref, on ne vous le dira pas deux fois, allez-y, c’est un vrai et bon moment de théâtre, et osons le mot, populaire…
Philippe du Vignal
Théâtre des Mathurins, rue des Mathurins Paris 8 ème; les mardis, jeudis, vendredis et samedis à 19H et en matinée le dimanche à 15H30.