Grisélidis

Grisélidis, d’après les textes et interviews de Grisélidis Réal, conception et interprétation de Coraly Zahonero.

GRISELIDIS 2 © Vicente Pradal 2C’est un engagement artistique et politique que de mettre en scène l’aventure humaine et professionnelle de Grisélidis Réal, (1929-2005), prostituée suisse ou péripapéticienne comme elle le revendiquait, et comme  indiqué sur sa pierre tombale.
Coraly Zahonero, sociétaire de la Comédie-Française, a été d’emblée touchée par son œuvre, et a porté son projet haut et fort, avec conviction et lucidité.
Celle qui se donnait aux hommes en échange d’argent, a consigné, dans ses ouvrages, lettres et interviews, la réalité d’un destin, celui d’une pute qui s’assumait en tant que telle, mais, paradoxe pour le commun des mortels, elle jouait  aussi de sagesse, puisqu’elle témoignait de bon sens et de modération dans ses affaires commerciales. Et elle manifestait de la compassion à l’égard de ses rencontres masculines hasardeuses en souffrance.
Cette  prostituée avait pris soin de garder la trace, à travers l’écriture, et de façon clinique, comme lors d’une observation scientifique, de ses relations sexuelles avec les clients. Elle établissait à part soi, à la manière de Casanova, un inventaire de leurs particularités et caractéristiques. L’artisane – car on peut considérer sa petite entreprise à caractère confidentiel comme un artisanat – offrait aussi toute son attention et son empathie aux femmes qui font commerce de leur corps  avec des hommes en mal d’être, et qui travaillent à alléger le fardeau du malheur d’exister.
Coraly Zahonero a noté le militantisme de Grisélidis Réal dans les années 70, pour que cessent les stigmatisations et les offenses morales et physiques dont les prostituées sont victimes, et pour qu’elles soient enfin reconnues dans leur dignité et leurs droits. Il s’agit de défendre une prostitution « librement » choisie, et pratiquée dans de bonnes conditions, mais aussi de condamner l’esclavage sexuel et le crime que représente le trafic des êtres, des corps et des esprits.
Grisélidis Réal s’évertuait par son activité singulière à « élargir les cœurs et les esprits » et la comédienne en habitant la scène, reprend poétiquement le flambeau. L’accompagnent, la saxophoniste Hélène Arntzen avec des morceaux de jazz des années soixante et la violoniste Floriane Bonnani qui a aussi composé les autres musiques du spectacle; elle égrène l’âme du peuple tzigane cher à Grisélidis Real.

Dans un halo d’ombres et de lumières, avec des bougeoirs et quelques tissus chamarrés, le spectacle est teinté de mélancolie et de tristesse, et on sent Grisélidis Réal à l’écoute de la vie intérieure de ces hommes en perdition, mal aimés et en proie à une extrême solitude. Cette femme lumineuse et souvent envahie par la douleur, éclaire la nuit de la misère en délivrant une parole crue mais aussi souvent lyrique. Combattive, elle a défendu sa vie privée, par exemple, quand elle avait rendez-vous avec des hommes qu’elle avait choisis. Ainsi, en aimant Rodwell, un G. I. noir américain rencontré dans une boîte de jazz.
Coraly Zahonero a pris fait et cause pour la prostituée suisse, engagée dans la cause de ses semblables, lucide pour ce que réserve le noir de la vie, du plus sordide jusqu’au sublime, depuis soi jusqu’à ce mouvement généreux vers les autres.
Voix légèrement gouailleuse, la comédienne déroule le fil d’or d’un raisonnement qui fraie intimement avec la passion folle d’aimer. Bravo !

 

Véronique Hotte

 

Festival de théâtre « Seules…en scène », le 22 mai au Théâtre de l’Ouest Parisien à Boulogne-Billancourt; le Triton aux Lilas (93), du 27 au 31 mai. T : 01 49 72 83 13


Archive pour mai, 2014

Le Roi nu d’Evgueni Schwarz

Le Roi nu d’Evgueni Schwarz, mise en scène de Léa Schwebel.

  L’écrivain russe (1896-1958) fut journaliste mais aussi remarquable écrivain et dramaturge, et de 1925 à 1954,  écrivit douze pièces avec marionnettes sous  forme  de contes pour enfants  mais aussi, dès 1934, pour les adultes. Mais L’Ombre puis Le Roi nu (1934) furent interdites par Staline et cette dernière pièce ne fut jouée qu’en… 1960. Quant aux représentations du Dragon qu’il écrivit en 41, elles ont été aussi, et immédiatement, interdites par les autorités staliniennes en 1944. Le Roi nu reprend en fait trois contes célèbres d’Hans Christian Andersen (1805-1875): Les Habits neufs de l’Empereur, Le Porcher,  et La Princesse au petit pois. C’est une sorte de fable féérique, écrite au second degré où Schwarz reprend la trame de l’histoire initiale: Henri,un jeune et pauvre porcher, amoureux  de la princesse Henriette; ils veulent se marier mais le père de la Princesse veut qu’elle épouse un roi voisin gros, chauve  et assez bête et la lui envoie aussitôt. Avant de se faire confectionner un beau costume pour le mariage… Mais Henri et Christian, son ami, se font passer pour d’habiles tisserands et vont faire croire qu’ils sont tout à fait capables de créer un habit d’une beauté remarquable et qui pourrait n’être seulement vu que par des gens intelligents. Et le roi va arriver absolument nu devant ses sujets… C’est aussi, à peine voilée par moments, et écrite avec beaucoup d’humour et d’intelligence, une charge des plus burlesques des régimes hitlérien ou soviétique, et du culte de la personnalité. Avec plus d’une  quarantaine de personnages, comme Henri, Henriette, Le Roi son père, Christian, l’ami d’Henri, et  le gros roi du pays voisin, la gouvernante, des soldats, etc… Ce qui excite  sans doute la convoitise des jeunes comédiens réunis en collectif, comme on dit maintenant, puisqu’il y a des rôles pour tout le monde et qu’ils peuvent  aussi en  interpréter plusieurs, et même jouer en chœur. De plus, cette farce à couleur politique, même si elle a perdu de sa force, se prête bien  à de multiples effets de jeu gestuel, danse, chant, mise en scène et scénographie. Reste à rendre cette fable crédible et ne pas se prendre les pieds dans le tapis, quand on veut réaliser  un climat fantastique au théâtre; et c’est du genre casse-gueule, comme le disait lucidement une jeune spectatrice devant nous… Léa Schwebel qui semble ne douter de rien, veut avec ses amis, « inventer pour et avec le public des formes théâtrales nouvelles qui s’affranchissent du réalisme pour aborder avec légèreté et distance tous les sujets de la société ». Bon, on veut bien mais ici, on est loin du compte; on sent qu’elle a été influencée par l’enseignement de  Jacques Lecoq et par toute une pédagogie du geste, et c’est tant mieux. Mais sa mise en scène et sa direction d’acteurs restent en pointillé. Et très vite, ce Roi nu distille un ennui de premier ordre. Il y a une première et grosse erreur dans cette  réalisation: croire que cela va faire moderne et plus chic, quand on met des petites tables de maquillage et les costumes sur un portant, bien visibles du public: résultat, cela encombre un plateau déjà pas très grand et mal foutu, et brouille, au lieu de l’aider, la vision de la pièce de façon permanente. Alors que c’est, d’évidence, un académisme, et depuis longtemps, de la mise en scène contemporaine. Comme cette curieuse manie de vouloir jouer dans le public, et  commune aux compagnies qui jouent au Théâtre 13… Par ailleurs, les costumes, très importants dans une mise en scène du Roi Nu, sont ici réduits à de simples bandes ou morceaux de tissu que les comédiens qui jouent beaucoup de rôles, enfilent vite et à vue: c’est à la fois franchement laid, triste et pas efficace. Sans doute nous répondra-t-elle que c’est une solution quand on n’a pas beaucoup d’argent mais, non, il suffit de frapper au bon endroit pour trouver des costumes qui ont déjà servi mais qui peuvent être tout fait intéressants. Ce que faisait Jérôme Savary à ses débuts et nombre d’autres… Enfin, il aurait fallu aussi que Léa Schwebel ait eu la possibilité d’avoir des comédiens capables de rendre les personnages de Schwarz crédibles, ce qui est loin d’être le cas: les rôles pour la plupart difficiles, demandent un sacré métier…Et, comme la pièce est quand même, soyons francs, des plus inégales et souvent bavarde, elle aurait mérité une dramaturgie plus solide et donc d’abord quelques coups de ciseaux. On reste donc sur sa faim et on s’ennuie sec pendant 90 minutes. Bref, ce n’est pas un bon spectacle, et on ne voit pas comment il pourrait se bonifier…

Philippe du Vignal

Théâtre  13,  103 A bd Auguste Blanqui, Métro Glacière, jusqu’au 22 juin

 

 

Les Tribulations d’une étrangère d’origine

Les Tribulations d’une étrangère d’origine, version scénique de Mémoire pleine d’Élizabeth Mazev.

TRIBULATIONS…3 _ Elizabeth Mazev © Christian BerthelotAvec un beau sourire malicieux, Élizabeth Mazev, bien droite et décidée, n’en finit pas de s’amuser elle-même de sa vie et de ses heureux hasards, naissance et rencontres.
Etre né quelque part, puis plus tard, être ou ne pas être, selon la formule shakespearienne. Élizabeth Mazev « est », et s’est, on n’en doute pas, construite. Avec ce récit personnel qu’elle a mis en scène et qu’elle interprète seule, elle se souvient de ses trois ans et demi dans une petite ville du Sud de la France.
Ses parents et son grand frère aîné de douze ans, parlent le bulgare entre eux, comme leur voisine et compatriote du rez-de-chaussée à la différence de son amant yougoslave, dont la langue « varie » quelque peu.
Chaque été, les vacances s’organisent avec une virée en voiture au pays qu’on a laissé derrière soi, à la recherche des membres de cette famille morcelée d’exilés politiques.
Au retour de ces embardées affectives mais aussi politico-culturelles, la petite Élizabeth, tonique et effervescente, qui comprend le bulgare mais se refuse à le parler – alors qu’elle n’a pas sa langue dans sa poche -, trouve sa vraie place à l’école républicaine française où, dès le CE2, elle rencontre, pour ne plus le quitter, Olivier Py, homme de théâtre à venir. Le jeune homme la suivra plus tard dans ce pays mythique qui fraie avec l’identité même de sa compagne.
Mais, entre-temps, le mur de Berlin est tombé, pour laisser place à un capitalisme sauvage ahuri que beaucoup d’autochtones s’emploient à fuir, alors que les affranchis d’hier s’évertuent à retrouver l’authenticité perdue d’un pays qui n’existe plus sinon sur la carte géographique.
En fait, ce pays appartient à un imaginaire collectif dont il serait difficile de dénouer clairement les liens. Élizabeth, à la recherche de soi, n’a peur de rien : enfant, elle visite sa mère-patrie et apprend à l’aimer… jusqu’au moment où elle découvre les failles de ce « satellite le plus fidèle de l’Union soviétique ».
Elle n’en continue pas moins à le chérir jusqu’au jour où tout s’écroule, pour laisser place à l’arrogance et au terrorisme des nouveaux riches du libéralisme économique. Élizabeth reste elle-même, frondeuse dans la recherche de projets artistiques, comme dans sa vie de jeune fille, mais elle reste discrète à ce sujet.
Et c’est bien cette pudeur qui la distingue de tous ces faiseurs actuels d’autobiographie complaisante. L’actrice se raconte devant nous, tout à tour dubitative ou sereine, incertaine et fragile, ou encore autoritaire et péremptoire.
Avec un léger accent chantant du Sud comme cadeau de bienvenue, cette femme de notre temps vit sur la scène comme elle évolue dans la vie, sans nul écart entre l’être et sa vérité, le discours et la pratique, en glissant pourtant vertigineusement du rêve à la réalité.
Un travail d’une figure sereine et souveraine, sans éclat, avec force et conviction. Nous sommes tous des étrangers d’origine qui travaillons à trouver l’identité qui nous sied…

Véronique Hotte

Festival  Seules… en scènes  au Théâtre de l’Ouest Parisien, le 20 mai.

Festival de Sibiu (Roumanie),  le 6 juin, Et à Poligny, le 16 octobre; puis à Act Art 77, les jeudi, vendredi, samedi et dimanche, du 21 novembre au 21 décembre et du 8 janvier au 28 février; à Narbonne, le 9 décembre et à Noyon, le 30 janvier.

Le texte de Mémoire pleine est paru aux Solitaires Intempestifs.

Le Cochon de Vaclav Havel

Cycle Théâtre et Politique  à L’Apostrophe de Cergy: Le Cochon de Vaclav Havel, adaptation de René Ludowitz, mise en scène de Vladimir Morávek.

prase-hra-havel-bigDe Vaclav Havel, décédé il y a trois ans,  on connait finalement davantage en France le rôle qu’il a eu à la tête de la dissidence en Tchécoslovaquie  puis enfin à la tête de son pays,  qui avait été envahi par les troupes soviétiques en 58, que ses essais et pièces (L’Ange gardien, L’Audience…)  où il dénonce l’effroyable mécanique  du pouvoir politique des fonctionnaires, capable de diminuer, voire même anéantir, avec une parfaite bonne conscience, tout individu un peu hors normes.  Et lui-même fut régulièrement condamné pour la publication de ses écrits. Puis, l’écrivain et  dramaturge deviendra, fait très rare, et sans l’avoir cherché, président de la République en 89…
Vaclav Havel évrivit aussi en 81 un dialogue Le Cochon qui raconte comment un auteur dramatique part à la recherche d’un cochon chez  des éleveurs afin de célébrer la Fête du cochon. Bien entendu, cela ne va pas être des plus faciles, et il  va se trouver  confronté à la fois à la cupidité et aux intrigues en tout genre de ses interlocuteurs,  si bien que le prix de ce cochon si convoité ne va cessé de s’envoler…
Resté très peu connu, ce texte de Havel est sans doute  mineur mais trente ans après, surprend encore par l’ironie envers les politiques avec laquelle il traite cette farce des plus burlesques. Ce dialogue est en tout cas une bonne base  pour  créer une sorte de mini-comédie musicale de 90 minutes avec des personnages hauts en couleur.

Vladimir Morávek, le directeur du Théâtre de l’Oie à la ficelle de Brno, l’a bien compris et  dirige sa quinzaine de comédiens-chanteurs avec une belle maîtrise, et sait faire ressortir tout l’humour de Vaclav Havel, même si les allusions politiques sont sans doute un peu hermétiques pour nous Français, mais quel bonheur d’entendre cette musique et ces chansons!
C’est, pendant 90 minutes et heureusement traduit en direct,  ou par des pancartes (un peu trop petites) pendant les chœurs, un beau moment de bonheur scénique. Les metteurs en scène français savent sans doute faire autre chose mais pas cela… Jean-Joël Le chapelain a eu mille fois raison d’inviter
Vladimir Morávek et sa compagnie mais  dommage! Le spectacle  ne s’est  joué que deux fois et  mériterait d’être présenté à Chaillot, au Théâtre de la Ville ou  à l’Odéon…Croisons les doigts mais sans trop d’illusions.

Philippe du Vignal

Le cycle Théâtre et Politique se poursuit à l’Apostrophe avec, les 22 et  23mai, Americain Tabloïd de James Ellroy, adaptation et mise en scène de Nicolas Bigards.
Programme du cycle: www.lapostrophe.net T:  01 34 20 14 14

 

Gaudeamus

Gaudeamus,  d’après Bataillon de construction de Sergueï Kaledine, adaptation et mise en scène de Lev Dodine.

 

gaudeamisSur un plateau blanc de neige, des civils passent littéralement à la trappe, engloutis par le sol. Ils ressortent en uniforme de l’armée russe et se déploient  en un ballet ininterrompu de revues, instruction militaire, et corvée de tinette…
Toutes les tâches absurdes imposées aux bidasses, sont entrecoupées de querelles internes, bizutages violents, beuveries débridées, altercations racistes envers les tziganes, turkmènes et  juifs qui composent l’armée soviétique, et vont de l’insulte au meurtre.
Cela tient du comique troupier: de la caricature bon enfant, à la vulgarité crasse. Mais Dodine ménage des espaces poétiques et oniriques, surtout quand apparaît la gent féminine, comme dans cette rencontre d’un troufion et d’une jeune fille se lavant à une fontaine, ou plus tard, dans une scène dans une maison de plaisir. Là aussi, on passe du comique et du parodique, à des corps-à-corps plus violents, voire à un viol brutal. Du rire au trouble.
Des duos émaillent la formation chorale du bataillon et le chœur des jeunes filles déployé en contrepoint comme une acrobatique scène d’amour sur un piano tombé des cintres, un savoureux numéro de séduction par un soldat timide, d’une babouchka aussi haute que large,  au milieu de caleçons et culottes grand modèle qui sèchent.
Le spectacle procède par tableaux, dans un glissement ininterrompu d’une séquence à l’autre. On y chante et on y danse aussi sur des airs d’opéras italiens, des tubes soviétiques ou des chansons des Beatles, aussi bien que sur La Valse à mille temps de Jacques Brel ou des marches militaires. De belles images se succèdent, comme ces ballons rouges qui bondissent puis éclatent sur la neige blanche, en la souillant de petits résidus.
Gaudeamus, créé en 1991 quelques mois après la chute de l’URSS, s’inspire  de Bataillon de construction de Kalédine, paru sous Gorbatchev et publié en France en 1989 sous le titre La Quille*. Lev Dodine avait alors demandé à ses élèves, frais émoulus de l’Institut théâtral de Saint-Pétersbourg, de donner libre cours à leurs inventivité et sensibilité,  et de composer un spectacle. Mémorable, aux dires de ceux qui l’ont vu à Bobigny en 92 ou 93.
Recréée aujourd’hui et selon les mêmes principes, avec une nouvelle génération d’acteurs qui n’ont pas connu l’Union soviétique, la représentation résonne sans doute tout autrement qu’au lendemain de la Perestroïka, époque d’ouverture et de tous les possibles.
« Cette nouvelle version conduit Gaudeamus vers la dimension d’un absurde intemporel et universel mais donne aussi à certaines scènes un réalisme plus cru encore qu’à l’époque », dit Lev Dodine. En effet, l’étau s’est, semble-t-il, refermé dans la nouvelle Russie: les artistes craignent la censure et cette farce, un peu nostalgique et d’une violence feutrée, risque là-bas d’apparaître comme un brûlot.
Sur la scène de la MC 93, le spectacle n’a sans doute rien perdu de sa vigueur d’antan. Les jeunes comédiens se livrent à une parade inouïe d’énergie, acrobatique et proche de la danse ou d’une revue de music-hall. Certaines séquences s’étirent parfois en longueur, aux dépends d’un rythme effréné mais la tension revient vite.
Le titre de la pièce est tiré d’un chant étudiant du Moyen-âge Gaudeamus igitur,  toujours pratiqué dans les pays de l’Est, célèbre l’espoir de la belle jeunesse. Entonné haut et fort par les comédiens à la fin du spectacle, il reste un hymne à l’avenir mais on sent sourdre une certaine angoisse… Poignant.

 Mireille Davidovici

Jusqu’au 25 mai à la MC 93, 9 boulevard Lénine. Bobigny. T. 01 41 80 72 72 ; www.MC93.com
* La Quille est paru aux éditions Maren Sell.

Asobi, (Jeux d’adulte)

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Asobi, (Jeux d’adulte), chorégraphie et mise en scène de  Kaori Ito.

 

 Kaori Ito, en même temps qu’elle dansait, en solo, Plexus d’Aurélien Bory,  concevait ce spectacle. Elle y met en scène une certaine forme de voyeurisme qui pousse les spectateurs à venir voir de la danse. «Au théâtre, dit-elle, on ne peut pas prétendre ne pas savoir qu’on est regardé, comme c’est le cas dans une véritable situation de voyeurisme. On balance entre le contrôle qu’on veut exercer sur le regard du spectateur, en se montrant consciemment, et le relâchement de ce contrôle, en permettant au spectateur de nous regarder».
D’où cette ambiguïté qui existe toujours dans le plaisir ressenti par le spectateur, mais jamais vraiment avoué dans les conversations d’après spectacle, ici masqué par des  idées intellectuelles assez banales.

La danseuse-chorégraphe originaire du Japon qui a un rapport au corps différent du nôtre où une  société très codifiée a tendance à contraindre le corps dans son expression du quotidien, et, par conséquent, à le libérer sans limite dans l’intime, d’où des fantasmes souvent peu réalistes des Occidentaux, quant à l’expression de l’érotisme et de la sexualité  nippone.
Le cocktail explosif d’une danse qui a pour sous-titre, Jeux d’adulte et l’origine japonaise de Kaori Ito, ont stimulé l’imaginaire du public et les trois jours de représentation affichaient complet depuis très longtemps.Elle est accompagnée d’une autre danseuse et de deux danseurs dont la présence physique est impressionnante.
Le spectacle joue donc sur le double regard du public, à la fois voyeur et sadique: le corps se découvre parfois totalement dans de très belles postures esthétiques, mais s’inflige aussi des coups. Ainsi, lors d’un affrontement violent, thorax contre thorax, entre deux danseurs, ou de chutes brutales à répétition. On songe parfois aux  chorégraphies d’Alain Platel avec lequel Kaori Ito a réalisé Out of context for Pina en 2010.
Le principal défaut d’Asobi (Jeux d’adultes): tout est dit d’emblée dans la superbe scène d’ouverture où Kaori Ito réalise un effeuillage progressif de son corps, dont l’image nous est reflétée par un grand miroir terni par le temps, et qui avance ou recule, selon les besoins du jeu. Ensuite le spectacle, par tableaux successifs, illustre le double regard du spectateur, et chacun peut y reconnaître ses propres fantasmes.
L’engagement physique des artistes est total: les corps chutent, se chevauchent, avec, constamment,
un regard au public ainsi pris à témoin; à la fin, quand les danseurs se retrouvent nus, la lumière les quitte pour venir éclairer la salle.
Cette ambiguïté de notre double regard, Kaori Ito nous la renvoie avec une certaine vérité.

 

Jean Couturier

Théâtre National de Chaillot   du 21 au 23 mai.

Festival de formes courtes théâtrales: mises en capsules

Festival de formes courtes théâtrales: mises en capsules au Ciné 13.

capsules)« Aujourd’hui, dit Benjamin Delacour, qui a piloté  la huitième édition de ce mini-festival, le théâtre demeure un des seuls endroits où l’on peut s’exprimer librement et dire beaucoup avec très peu.Ouvrir une petite fenêtre sur le théâtre de création, proposer un chemin simple pour découvrir, rencontrer et recommencer à aimer ceux qui créent sur scène.Le public aime le théâtre mais il a tendance à l’oublier parce que le théâtre ne vient pas à lui, ne se met pas dans une télévision ou un ordinateur. Il faut venir à lui.Les metteurs en scènes ont eu carte blanche ».
Pari tenu: au total, du 19 mai au 7 juin, seize spectacles de trente minutes chacun, avec cinq spectacles par soir; la programmation change tous les jours de façon à pratiquer une alternance d’horaire. Sur une scène peu profonde et pour une centaine de spectateurs maximum, dans un lieu tout à fait silencieux…
 Hier soir jeudi, il y avait entre autres, 3 sœurs+1, adapté d’Anton Tchekov, mise en scène de Thierry Harcourt. C’est une sorte de concentré des Trois Sœurs, avec les scènes les plus connues de la pièce, joué par trois actrices dont Julie Debazac, brillante, Noémie Delbaz, Deborh Grall et Jean-Baptiste Marcenac, lui nettement moins brillant…
Ils changent souvent de rôle: mieux vaut donc connaître la pièce, sinon on risque vite de ne pas s’y retrouver. C’est joué assez vite comme  dans la série des Tchekov montée par Christian  Benedetti, et il n’y a aucun décor sinon un portant avec le strict nécessaire de costumes. Quelques lumières et c’est tout. Donc du sans filet… Chapeau! Même si cela fait parfois penser à des comédiens qui voudraient revivre les moments merveilleux où, jeunes, ils se produisaient dans leur école de théâtre aux séances de fin d’année avec parentes et amis indulgents. Mais c’est à la fois bien dirigé par Thierry Harcourt,  et  souvent singulièrement efficace: au début surtout et à la fin avec la mort de Touzenbach, il y a de beaux moments, et ces foutues trois sœurs de la province russe, plus de cent ans après, réincarnées pour la dix millième fois, réussissent encore et toujours, même en trente minutes,  à nous arracher parfois une belle émotion. Sacré Anton…

Ensuite Marianne Epin a mis en scène Rappelez-moi le titre, déjà de Jean Bois qu’il jouait autrefois avec son égérie Dominique Constantin, et où il dévidait comme pour ses autres  pièces, un moment de sa vie amoureuse. Toujours  dans des conditions financières difficiles. Les textes de Jean Bois sont parfois de force inégale mais sa drôle de petite musique, toujours aussi merveilleusement un peu grinçante, fait maintenant partie du paysage et du patrimoine théâtral  français. Jean Bois, pas très bien vu des institutions, n’est plus très jeune ni évidemment très argenté et on l’entend donc  beaucoup moins. Dommage…
  Ici, il s’agit d’ un couple âgé. L’un comme l’autre toujours amoureux mais toujours aussi distraits, perdant tout, leurs vêtements quotidiens, voire un permis de conduire retrouvé par hasard dans une boîte de biscuits. Ils vivent dans un bordel d’objets sans valeur aucune qu’ils ne veulent ni jeter ni garder. Peur de manquer dûe à l’expérience traumatisante de la guerre transmise par leurs parents, terreur d’abandonner ce qui fait leur familier: sans doute un peu de tout cela et s’appelle de la syllogomanie.
Arrive une aide-ménagère espagnole envoyée par la mairie qui va essayer de mettre de l’ordre dans leur appartement, et qui va, (c’est contagieux!) avoir envie de garder pour elle certains objets dont ils ne veulent plus.. Ce grand rangement est d’autant plus urgent que la vieille dame et le vieux monsieur attendent leur fils qui doit venir leur présenter son amoureuse…

C’est à la fois drôle, sans prétention et d’une écriture brillante (même si cela frise parfois le théâtre de boulevard) et bien joué: Henri Courseaux, comme d’habitude, est tout à fait étonnant et crédible dès les premières répliques, et par Marianne Epin. Même s’il y a quelque facilités et des coupes pas très heureuses, on se laisse emporter par ces drôles de dialogues, à la fois  piquants et poétiques.
 Le dernier des trois spectacles que nous avons pu voir est La Fossette bleue,  écrit et mis en scène par Raphaële Moussafir,  avec Alban Aumard et et Bruno Gouery. Ce n’est pas vraiment une pièce mais plutôt une série de sketches qu’elle joue avec ses deux complices, à tour de rôle ou en même temps. Via une histoire entre Clémence, et deux jeunes collègues de bureau, Eric et Julien. Les sketches sont sans doute inégaux  mais bien menés avec des dialogues brillants, parfois presque virtuoses, où la jeune écrivaine convoque son enfance, son adolescence et ses angoisses existentielles. Aucune vulgarité, aucun temps mort  mais beaucoup d’intelligence et une belle écriture théâtrale; on pense parfois à Sacha Guitry et à Roland Dubillard. Que demande le peuple?  En tout cas, une bonne surprise…
  On vous tiendra au courant des autres spectacles de ces mises en capsules. En tout cas, c’est un petit festival assez malin, avec des vraies trouvailles. Les places sont quand même un peu chères: 21, 50 € mais il y a un tarif réduit à 14, 50 € pour au total, deux heures et demi de spectacle; donc c’est rentable, si vous avez le temps et l’envie de venir à 19h, pour  voir les cinq de suite.
L’organisation est un peu foutraque (il faut sortir et remonter les escaliers après chaque spectacle avant le suivant pour qu’on puisse faire la mise du spectacle suivant  ans être sûr de retrouver sa place!) mais bon tout se mérite, et la petite place, très calme, avec de jolies maisons anciennes de village, a quelque chose de dépaysant, à quelques minutes du boulevard Rochechouart…
Philippe du Vignal
Ciné- 13,  1 av. Junot 75018 Métro Abbesses. T: 01 42 54 15 12. Voir la programmation: http://www.misesencapsules.com/

 

Les soirées nomades: Meredith Monk, avec Katie Geissinger, en concert.

Les soirées nomades à la fondation Cartier: Meredith Monk, avec Katie Geissinger, en concert.

imageMême silhouette frêle et émouvante de jeune fille, même sourire charmant et même matériau vocal qu’elle a savamment et, avec ténacité, mis au point depuis plusieurs décennies. Elle n’a guère changé depuis que nous  l’avions  rencontrée un soir de décembre 73 dans son loft à New York. Soprano, elle a un registre assez rare qui s’étend sur trois octaves. Et cela lui permet de s’inspirer, seule ou en duo, en s’accompagnant souvent elle-même au piano, de techniques que l’on trouve en Afrique ou chez les Inuits, avec des chants a capella à bouche fermée, avec parfois des chuchotements très rythmés, soudain entrecoupés de grandes envolées, de cris, voire de sanglots vite interrompus… Ce qui caractérise, sans doute et avant tout, Meredith Monk musicienne, c’est le travail sur la voix, donc sur elle-même comme instrument de création, qu’elle  a su mener sans relâche pendant si longtemps et sans aucune pause. Personnalité hors normes, bosseuse infatigable, elle a développé à la fois, et de façon magistrale, des compositions originales comme Stringsongs pour quatuors à cordes, voire pour orchestres symphoniques comme Possible sky (2003), et avec une nouvelle approche personnelle des techniques vocales, réalisé des spectacles toujours aux frontières du théâtre, de la performance, et de la danse qu’elle a aussi découverte très jeune. Elle appartint au Judson Dance Theater d’Anna Halprin (voir Le Théâtre du Blog) dans les années 60 et a été proche d’Yvonne Rainer comme de Trisha Brown quand elle conçut ses performances et créa en 1971, sa propre compagnie, The House. Et c’est chez elle que commença le grand Bob Wilson… Plus tard, elle aborda aussi  l’opéra avec Atlas; c’était  objet non identifié, à base de chants individuels et collectifs,  et proche d’un conte pour enfants, mais faussement naïf malgré les apparences; nous avions été voir à Houston en 91 cette remarquable création dont elle avait assuré la majorité du travail artistique. Proche de compositeurs comme Steve Reich, La Monte Young  ou Charlemagne Palestine qui l’ont sans doute beaucoup influencée, elle a aussi  une attirance pour les musiques ethniques, en particulier, les musiques brésilienne et indienne, et bien sûr, pour le jazz. Sa musique a été utilisée par des cinéastes comme Godard ou les frères Coen… Elle-même, un moment attirée par le cinéma, a aussi réalisé deux beaux films: d’abord et surtout Ellis Island en 81, sur le trop fameux lieu d’accueil des émigrés  près de New York au début du vingtième siècle,  et Book of days (1988) qu’elle avait tourné en partie en France. Le concert qu’elle vient de donner à la Fondation Cartier avant une tournée en France, était composé d’abord de musiques pour une voix, avec de très beaux chants tirés de son recueil déjà ancien (1977, Songs from the hill  ou plus récents comme Volcano songs: solos  (1994 ). Ceux où elle chante avec une guimbarde amplifiée, comme sa voix, par les micros,  sont particulièrement impressionnants. Et ce qui frappe chez elle, c’est  son aspect juvénile;  elle est sur scène d’une grande  concentration  et sa gestuelle est aussi simple que signifiante. Et dans la suite: musique à deux voix, quand elle et sa vieille complice Katie Geissinger (qui interprétait déjà Atlas), se répondent, face à face, comme par souffles interposés, cela devient exceptionnel, à la fois intime et plein de chaudes couleurs. Elle revient après l’entracte avec une sélection de chants déjà anciens comme Gotham Lullaby(1975), Evening tiré de  Book of days, et d’Atlas. Particulièrement émouvante quand, à la fin, sans avoir l’air d’y toucher, elle chante quelques phrases en français:  » J’ai encore ma mémoire, j’ai encore mes allergies, j’ai encore mon téléphone »… La soirée se finit en compagnie de  Quentin Sirjac et Laurent Brutin, un clarinettiste et un pianiste qu’elle a invités à venir la rejoindre. C’est un concert à la fois  simple et dénué de toute prétention mais magistral et plein d’humour (ce qui n’est pas incompatible) où Meredith Monk était visiblement heureuse de retrouver Paris et ses vieux amis. Dans le public beaucoup de jeunes gens qui ne la connaissaient que de réputation, ne revenaient pas de ses audaces vocales et de son extrême virtuosité, et disaient qu’elle avait influencé la chanteuse Camille. Miss Monk était là pour un seul soir mais va maintenant à Chateauroux, Orléans etc. Si vous en avez l’occasion, ne ratez pas ce concert, ce serait vraiment dommage…

 

Philippe du Vignal

 Festival de la Voix de Châteauroux du 23 au 25 mai Retour à la Terre – Mikrokosmos et Meredith Monk
Meredith Monk, Katie Geissinger et douze chanteurs de Mikrokosmos interprètent les œuvres chorales et a capella de cette artiste américaine aux paysages sonores inédits: Châteauroux  Vendredi 23 mai 20h30 Scène nationale Equinoxe.
Orléans mardi 27 mai 20h30 Le Bouillon.
Tours Jeudi 29 mai 20h Grand Théâtre – Florilège Vocal de Tours.
Noirlac, Bruère Allichamps le dimanche 1er juin 10h Les matinales de l’Abbaye

Prochaines soirées nomades à la fondation Cartier: Un soirée imaginée (cabaret, concerts) par Charles Le Mindu le jeudi 5 juin à 21 h: Bettina Atla, stand up comédie  +  Nicolas Maury et Julien Ribot Théâtre pop le jeudi 12 juin à 21 h. Marcelline Delbecq, oublier voir Lecure avec projection, mercredi 18 juin à 21h. Les disques de Meredith Monk sont pour la plupart édités chez ECM.

*Un soirée/hommage à Lise Brunel sera prochainement organisée par son fils, le chorégraphe Fabrice Dugied. 

Perceval Le Gallois /Schiaretti

Perceval Le Gallois Graal Théâtre de Florence Delay et Jacques Roubaud, mise en scène de Christian Schiaretti, avec la complicité de Julie Brochen, et avec les troupes du Théâtre National de Strasbourg et du Théâtre National Populaire de Villeurbanne.

SpectaclLeGallois_©MichelCavalca_0754C’est sans doute la pièce la plus spirituelle du cycle – un parcours presque religieux – qui met en abyme un rite initiatique. Perceval part de rien, devient chevalier, rate de peu le Graal, puis suit un chemin d’errance qui le confronte à la violence du monde.
Bavard quand il parle de sa mère, il privilégie ensuite le silence dans une dimension méditative pleine d’énigmes. Il se tient au bord du mystère du Graal sans avoir jamais pu l’éclaircir, et empêché par le non-avènement d’une parole nécessaire, il en ressent une  véritable culpabilité : lors de son départ, il  ne s’était pas retourné un seul instant vers sa mère.
La mise en scène souriante et colorée de Christian Schiaretti invite le spectateur  à tourner les belles pages d’un livre d’images enfantines, aux couleurs vives  d’enluminures et abstractions scéniques. C’est un autre monde, une autre poésie, un silence aussi à des années-lumière du nôtre.

Les scènes se jouent d’un paravent à l’autre : côté jardin, les apparitions de Perceval et de sa mère,  et côté cour, la Cour du Roi Arthur (Xavier Legrand) et les chevaliers. Au-dessus, majestueuse et nue, la grande roue du Temps, un rappel de la Table Ronde. L’espace, confiné au départ, s’élargit peu à peu selon la découverte du monde par Perceval et selon l’ampleur de ses rêves habités. Des  moments comme celle du Roi pêcheur assis près de sa barque , ou celle des moines  en capuche dans  la nuit, sublimes de pureté  sont tout simplement magnifiques. On retrouve les ensembles choraux et majestueux chers à Schiaretti : les chevaliers s’agenouillent en rond autour de leur suzerain et lui prêtent serment de fidélité.sur le plateau de bois. L’univers de la chevalerie est ici transposé avec grâce, sans la moindre brutalité, et avec un humour distancié : par exemple, la monture du chevalier est représentée par un acteur portant une tête de cheval -  admirables masques animaliers  d’Erhard Stiefel -  qui rue, jambes levées, aux instants dramatiques. Blaise (Fred Cacheux), en soutane noire et austère de moine-scribe, est le narrateur, la voix de Chrétien de Troyes, qui raconte en les liant les scènes, expliquant, commentant, ou même dévoilant les actes à venir.
Mais on aurait aimé que la mise en scène, juste d’un point de vue sémantique et comique, avec des caricatures joyeuses et  burlesques, s’engage plus avant dans  une stratégie moins consensuelle, et plus en accord avec celle de notre temps. Dans ce décalage du regard, il manque en effet l’urgence, la crudité et la chair, bref, une dimension plus sauvage que celle qui nous est ici proposée, courtoise et si joliment policée…

 

Véronique Hotte

Théâtre National de Strasbourg

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Perceval le Gallois, adaptation de Florence Delay et Jacques Roubaud, mise en scène de Christian Schiaretti, avec la complicité de Julie Brochen.

Le projet conjoint du Théâtre National Populaire à Villeurbanne  et du Théâtre National de Strasbourg de mettre en scène tout le cycle du Graal-Théâtre est,  bien sûr, un véritable exploit, mais c’est aussi l’illustration de ce que peut être le répertoire d’un théâtre populaire. Il s’agit des dix pièces qu’ont écrites, Florence Delay et Jacques Roubaud; soit trente années d’un travail gigantesque pour réécrire et adapter cette « matière de Bretagne », l’univers de Merlin, du Roi Arthur et des chevaliers de la Table Ronde. « Nous n’inventons pas, disent-ils. Nous faisons comme les conteurs médiévaux. Nous copions et recombinons. ».
Pour Christian Schiaretti, à Villeurbanne et Julie Brochen à Strasbourg, il s’agit de mettre en commun les moyens de leurs théâtres, leurs comédiens et de travailler ensemble à la mise en scène. Après  Joseph d’Arimathie (2011), Merlin l’enchanteur (2012), Gauvain et le chevalier vert (2013), ils nous donnent à voir Perceval le Gallois. On retrouve donc les mêmes comédiens incarnant les personnages récurrents et le même dispositif scénique astucieux, avec des châssis coulissants, recréent l’esprit des enluminures, grâce à quelques éléments de décor symboliques et à des éclairages  pour  chaque héros.
Nous sommes aux premiers temps de notre littérature. La narration est linéaire, faite par les différentes rencontres qui jalonnent le parcours des héros, et entrecoupée de scènes plus oniriques avec des personnages surnaturels. Soutenue aussi par les interventions du scribe/conteur, Blaise de Northembrelande, qui va même se substituer à Chrétien de Troyes, avec le texte originel… un moment de pur bonheur pour l’oreille !
Les personnages sont juste caractérisés, et leurs réactions sommaires. Sous l’armure des chevaliers, commence à poindre le désordre amoureux : le roman courtois en est à son début ! Elevé dans la nature, façon Mowgli, par une mère sur-protectrice dont le mari et les fils sont morts au service de la chevalerie, Perceval n’échappera pas à son destin.
Sa rencontre, savoureuse, avec trois chevaliers, l’amène naturellement à les suivre, et son parcours initiatique, fait de combats singuliers et de quelques rencontres amoureuses, lui permet de trouver une identité et de donner un sens à sa vie : faire le bien, rechercher la gloire pour mieux défendre l’opprimé, et, but ultime, retrouver le Graal, le calice qui a reçu le sang du Christ pour le poser au centre de la Table ronde. Mais Perceval qui voit pourtant le Graal, ne posera pas la question qui lui aurait permis de le prendre et devra vivre avec cette culpabilité.
Parmi les comédiens qui, visiblement, se font plaisir à tirer l’épée, manipuler la lance, jouer les chevaux ou le lion facétieux, Juliette Plunecoq-Mech incarne avec une belle énergie des personnages plutôt surhumains, comme la Dame Hideuse ou le chevalier Vermeil…..
L’univers arthurien nous est familier aujourd’hui, des films et de la série Kaamelot aux jeux vidéo, en trois dimensions ou non, et  à la bande dessinée. Le théâtre s’inscrit naturellement dans cette mouvance, et le plaisir immédiat du public, ici très diversifié, est évident…

Elyane Gérôme

 

Les cinquante ans du Théâtre de la Taganka.

Les cinquante ans du Théâtre de la Taganka.

   220px-Yuriy_LyubimovLe 23 avril est né à Moscou, le Théâtre de la Taganka, donc jumeau du Théâtre du Soleil créé par Ariane Mnouchkine et ses camarades un mois plus tard avec le statut de coopérative ouvrière. Deux théâtres qui, chacun à leur façon, faisaient à l’époque une différence avec les autres, l’un par sa liberté de ton et de style, l’autre par son mode de fonctionnement et ses créations collectives .
Cinquante ans plus tard, le Théâtre du Soleil est toujours là, à Vincennes, dans un remarquable espace théâtral aménagé dans une ancienne usine de cartouches. Il vient de monter Macbeth, qu’il donne à voir sous un jour nouveau, dans son théâtre-maison, comme avait su l’être pendant ses vingt premières années, la Taganka qui est, aujourd’hui, une coquille vide, anéantie par les dissensions et les passions personnelles que les chaos politiques successifs ont intensifiées. Le Théâtre du Soleil, lui, continue son parcours généreux et talentueux, sous la direction d’Ariane Mnouchkine.
De 1964 à 1984 quand s’exila son metteur en scène Iouri Lioubimov, dont le pouvoir soviétique avait interdit coup sur coup trois de ses spectacles, la Taganka avait fait  chaque soir, et parfois deux fois par jour, salle archi-comble. Dans cet espace de libre parole, et malgré la censure qu’il combattait de toute son énergie, Lioubimov avait son équipe d’acteurs, poètes et chanteurs, son scénographe David Borovski, et les plus grands compositeurs de son temps comme Alfred Schnittke, ou  Edison Denisov.
Après la perestroïka et le retour grandiose de Lioubimov, fêté à Moscou avec les premières si longtemps attendues de ses spectacles interdits, dont un mémorable Boris Godounov  de Pouchkine), la troupe n’a cessé de se déchirer. Lioubimov a continué d’y monter des spectacles mais… dans la discorde. Et, il y a deux ans, il a fini par claquer la porte. Au Festival d’Avignon 2000, il avait présenté un Marat-Sade qui avait surpris par sa jeunesse et sa vigueur.
Les cinquante ans de la Taganka se sont donc fêtés sans lui,   comme une parodie de l’âge d’or de cette troupe mythique. Mais Rimas Tiouminas, directeur actuel du Théâtre Vakhtangov, où Lioubimov avait fait une belle carrière d’acteur avant de devenir metteur en scène célèbre, a  célébré  avec l’aide du festival Tchekhov, le 23 avril dernier, les 80 ans de théâtre de ce Russe d’origine tzigane qui aime tant l’Italie.
A cette occasion, on a pu voir des spectacles que Lioubimov a montés ces deux dernières années, mais  ailleurs qu’à la Taganka : Les Démons de Dostoïevski au Théâtre Vakhtangov où, autour d’un piano de concert, les scènes se succèdent avec puissance et presque sans décor, accompagnées par la musique de Vladimir Martynov, collaborateur de Lioubimov depuis longtemps. Il y a juste, en fond de scène, une reproduction de L’Age d’or de Claude Le Lorrain avec Acis et Galatée. Dans cette nouvelle mise en scène des Démons (il en avait réalisé déjà une, quand il était en exil à Londres et qu’on avait vue au Théâtre de l’Odéon en 1985), Verkhovenski père semble être son porte-parole.
Le Prince Igor d’Alexandre Borodine, au Théâtre Bolchoï, œuvre inachevée et complétée par Rimski-Korsakov et Glazounov, se voit ici allégée par Lioubimov de nombreuses scènes et arias, donc coupée de plus d’une heure, ce qui a, bien sûr, provoqué de nombreuses protestations dans le milieu de l’opéra… Le metteur en scène retrouve ici sa veine exceptionnelle dans le traitement des chœurs et des foules, avec des fresques monumentales et minimalistes.
Il y a des images d’une grande force, comme la célèbre lamentation de Iaroslavna, seule sur un pont qui divise l’espace scénique en deux, avec, au fond du plateau, un chœur de femmes d’abord en ombres, qui prend ensuite lentement vie en avançant vers le public.
Mais on n’a pas vu
Lioubimov au Bolchoï; il est actuellement malade. Mais à 97 ans, il prépare pourtant un opéra audacieux, à partir de L’Ecole des femmes de Molière. Il est aussi l’auteur du livret et Wladimir Martynov en a composé la musique. En décembre dernier, Iouri Lioubimov était venu à Paris pour préparer ce projet et avait rencontré Ariane Mnouchkine à la Cartoucherie.

 

Béatrice Picon-Vallin

 

 

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