Lucrèce Borgia mise en scène de David Bobbée.

Les points de vue de Philippe du Vignal et  Christine Friedel

 

 

Lucrèce Borgia de Victor Hugo, mise en scène de David Bobbée

 

LUCRECE BORGIA 8R7B4845 © Arna ud Bertereau - Agence MonaEt hop, cela va faire le troisième Lucrèce Borgia de cette saison, après celui de Lucie Berélowitch, et celui de Denis Podalydès (voir Le Théâtre du Blog).
Cela se passe dans le merveilleux cadre du château de Grignan dans la Drôme, au sommet d’une colline d’où on peut voir les plaines de blé, les champs d’abricotiers et les rubans violets de lavande. Magique… Notre amie Christine Friedel vous rendra compte de façon plus détaillée du spectacle.
Déjà quelques impressions après cette générale: devant la très belle façade Renaissance du château,  une scène d’eau noire (vénitienne) avec des  praticables en pin que les jeunes comédiens vont très souvent déplacer, sans  que cela soit toujours justifié.  Et il faut,  dans la pièce, passer de  Venise à Ferrare. « Comment,  disait déjà Antoine Vitez, en 84, à propos de Lucrèce Borgia, qu’il avait montée dans la Cour d’ honneur à Avignon, « mais comment changer de lieu sur une scène nue. Belle question d’école ».
Côté jardin, un chanteur américain s’accompagne à la guitare  à de nombreux moments de la pièce. Les jeunes gens sont  en jean noir, torse nu, et pataugent sans arrêt dans l’eau, puis Lucrèce arrive. C’est Béatrice Dalle, actrice de cinéma bien connue, mais elle n’est pas tout à fait le personnage dont elle a peut-être l’âge du rôle, mais sur ce grand plateau en plein air elle ne possède ni la violence ni la sensualité. Bref, ici rien d’éblouissant comme pouvait l’être Marina Hands (voir Le Théâtre du Blog), ou autrefois Nada Strancar chez Antoine Vitez dans ce même rôle?
A sa décharge, elle n’a jamais joué au théâtre, et cela se voit: touchante de bonne volonté, elle dit son texte avec précision mais rien ne se passe vraiment entre Gennaro et elle… Cela devrait sans doute un peu s’arranger après une dizaine de représentations mais les jeunes comédiens, en fait plus acrobates ou circassiens qu’acteurs, ne sont pas non plus vraiment les personnages.
Cela dit, David Bobbée sait mettre les choses en place, mais la première partie du spectacle rame, cela va mieux ensuite, et il y a une belle scène, authentique, très juste entre Lucrèce et son mari. Il y a aussi de beaux éclairages mais vraiment trop faciles, un peu son et lumière des années 60, avec des projos douche depuis le toit du château, et des lumières rasantes  rouge sang  sur l’eau.  A défaut de sens véritable, cela en met plein les yeux. Les collégiens qui étaient là, n’arrêtaient pas de prendre des photos avec leur téléphone ou leur tablettes pour montrer la chose à leurs parents.
David Bobbée, c’est indéniable, sait créer des images façon B.D., au besoin en recourant à des moments d’acrobatie comme on avait pu déjà le voir dans Hamlet mais elle semblent proposées à la consommation  festive, privées  d’enjeu, et donc toutes proches d’un nouvel académisme qui n’oserait pas dire son nom.  Alors que « l’image, comme le dit Marie José Mondzain, exige une gestion nouvelle et singulière de la parole entre ceux qui croisent leurs regards dans le partage des images ».
Mais ici, rien ne nait de cette manie illustrative, un peu scolaire: la parole de Victor Hugo se fait bien petite, alors que les personnages sont tous monstrueux, hallucinants, et malheureusement ici, cela ne se sent guère. Cela ne pourra que s’améliorer mais, pour le moment, on reste sur sa faim…
Dommage, le  château de Grignan reste un site théâtral exceptionnel…

Philippe du Vignal

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Lucrèce Borgia, de Victor Hugo, mise en scène David Bobée

 

Elle fascine, elle irrite, elle fait rire, elle émeut. Elle ne fait même pas peur. Les metteurs en scènes montent Lucrèce Borgia d’abord pour donner à une belle comédienne le plaisir d’un beau rôle : Marina Hands, ou Guillaume Galienne dans sa version féminine, et maintenant Béatrice Dalle.  David Bobée et elle, se sont choisis pour les fêtes nocturnes du château de Grignan.
Le drame de Victor Hugo tourne autour d’elle seule, et du destin terrible qu’elle porte, victime et complice. On le rappelle : fille de pape, objet des passions incestueuses de ses deux frères, veuve noire accusée d’avoir déjà assassiné trois maris, épouse adorée et donc haïe, du duc de Ferrare, et toujours seule contre tous, elle a une faiblesse : son fils caché, qu’elle suit au gré de ses campagnes de son amour anonyme. Drame : son nom est celui de son ennemi. Comme celui de Roméo pour Juliette.
Il y a deux Lucrèce : l’inguérissable empoisonneuse, et celle qui voudrait se convertir à la bonté pour mériter de se faire connaître enfin à son fils. Mais elle ne pourra le sauver, ni de la jalousie du duc, ni de ses propres crimes : le destin est le plus fort. Et le mal plus fort que le bien. Incarné ici par le magnifique traître Gubetta. Menteur, pervers, n’obéissant qu’aux ordres meurtriers et oubliant ceux de la clémence, lâche pour finir, et lucide : « imbécile », dit-il de lui-même, en mourant. On se demande pourquoi le généreux Hugo a un faible pour un tel personnage. Mais il l’a, pour le plaisir du spectateur, qui rit de tant de noirceur dont le traître sait le faire complice.
David Bobée est parti du carnaval de Venise pour mettre son spectacle les pieds dans l’eau, avec de petits praticables qui rappellent les passerelles des rues de Venise au moment de l’“aqua alta“. La belle façade du château n’a guère le temps de s’y mirer, tant son équipe de jeunes comédiens circassiens et danseurs jouent vivement avec cette eau, en gerbes, en éventails, en flaques et en ploufs.
Sonore, lumineuse, rythmée, dans la scène de honte à Lucrèce au pilori, l’eau prend le caractère ardent d’un cercle de feu. Ensuite elle ne retrouve la même nécessité émotionnelle qu’au moment de la fête chez la princesse Négroni, ivresse mortelle où les praticables se transforment en radeaux de la mort.
Outre la scénographie, le groupe des jeunes gens tient la vedette dans un superbe ballet nautique, moderne, violent, dans la joie de « s’éclater », avec l’exceptionnelle liberté physique des acrobates bien entraînés. Comme si la noblesse des corps remplaçait celle des familles historiques dont le texte nous parle… et dont on se fiche. Passons sur le fait que Gennaro n’est ni le plus beau ni le meilleur d’entre eux, avec sa diction hachée et sa tendance à faire les cent pas.
Comme de raison, les comédiens chevronnés font le mieux entendre le texte. Béatrice Dalle, à laquelle, comme à toutes les actrices connues s’attachent toutes sortes de légendes, est apparue plus timide, plus résignée que capricieuse ou perverse. Quelques jolis moments d’amour pour son fils (la reine réveillant le prince charmant endormi…), une belle image de louve: mais enfin nous sommes en manque des retournement vipérins de la grande maudite, en manque de cinglant et de séduction. Mais peut-être n’avons-nous besoin que de ce nom, Lucrèce Borgia, pour tout imaginer.
Ce que nous avons fait avec bonne volonté et un certain plaisir, malgré des longueurs, dues entre autres aux belles mais omniprésentes mélodies de Butch McCoy et à un peu de complaisance pour les exploits physiques des danseurs-acteurs dans une atmosphère de boîte de nuit. On a la surprise d’un autre Victor Hugo, se glissant comme un prophète au milieu de la fête : la pieuvre des Travailleurs de la mer annonce le triomphe de la maffia et du crime.
La pluie est venue se mêler de l’affaire mais le public est resté, vaillamment. Les comédiens, après de timides tentatives pour s’approprier l’orage, ont dépêché la fin de la pièce, murmurée, micros HF éteints, au ras de l’eau. Je te tue, tu me tues, nous sommes morts et re-morts. Le spectacle lancé pour deux mois et, pluie ou vent, tiendra quand même la route…

 

Christine Friedel

Fêtes nocturnes du château de Grignan, jusqu’au 23 août. T: 04 75 91 83 65


Archive pour juin, 2014

Palermo Palermo

Palermo Palermo, chorégraphie de Pina Bausch par le Tanztheater de Wuppertal

 

photoChaque soir, en début de spectacle, le personnel du Théâtre de la Ville mêlé aux danseurs de la troupe de Wuppertal demandent solennellement la renégociation du statut des intermittents du spectacle en France.
Demande qui devient théâtrale quand chacun retire son soulier  pour signifier l’aspect handicapant de la situation!
Pina Bausch a créé le spectacle en 1989, après la chute du mur de Berlin, en certifiant que l’idée scénographique du début avait été conçue préalablement à cet événement politique international.
Nous retrouvons ici une dizaine de danseurs présents à l’époque. Notre mémoire sensorielle et affective a été définitivement impressionnée par les images du spectacle. Une partie du public vient applaudir ces danseurs qu’il côtoie comme des membres d’une famille lointaine, mais récurrente, grâce à leur visite annuelle au Théâtre de la Ville.
La grande intelligence de ces artistes est de garder avec les spectateurs une amitié distante. Chaque soir? on applaudit la performance et sa propre mémoire du passé, car ils sont rares, les artistes qui, comme Pina Bausch, ont marqué plusieurs générations. Parmi ce Panthéon des disparus, Tadeusz Kantor, Giorgio Strehler, ou Patrice Chéreau. Qu’adviendra-t-il de cette troupe dans l’avenir?  Personne n’ose se poser la question!
En résidence à Palerme durant presque un mois, l’équipe de Pina Bausch s’était inspirée de cette ville-musée où la mort rode à chaque coin de rue. La cité sicilienne a donné matière à la créativité de chacun des danseurs, mélangeant leurs expériences de vie personnelle et des fragments de la culture locale, pour créer des images indélébiles, comme ces groupes d’hommes et de femmes qui se tiennent par le bras, chacun portant en équilibre sur sa tête une pomme, et qui nous regardent dans les yeux, fixement.
Ou encore cette danse tragique de souffrance sur une musique venant d’Écosse. Les musiques nous font voyager, en Sicile, bien sûr, mais aussi en Afrique ou au Japon, et ont toujours ce même pouvoir envoûtant, en particulier quand six pianos droits entament un extrait du Concerto pour piano de Tchaïkovski.
Comment réagit la jeune génération qui découvre la troupe de Wuppertal, la fascination est-elle identique? Un bref entretien avec deux  spectatrices de treize ans, à l’entracte, le prouve que le charme opère toujours.  « J’avais vu des images de Pina Bausch en film mais jamais sur scène ; on ne comprend pas tout mais cela nous intéresse, et il y a de beaux moments». Le pouvoir émotionnel de l’œuvre demeure intact même sur une durée de trois heures! Les drogués de Pina Bausch pourront retrouver le Tanztheater de Wuppertal à l’Opéra de Paris en début de saison prochaine puis au Théâtre du Châtelet et au théâtre de la Ville en mai 2015, et il faudra en profiter pleinement. Le jour où peut-être la troupe s’arrêtera, tous orphelins des nos sens, nous ne pourrons plus que vivre dans le souvenir, en pensant au titre du très beau film d’Ettore Scola (1974) Nous nous sommes tant aimés.

 

Jean Couturier

Théâtre de la Ville jusqu’au 5 juillet

Macbeth/Mansai Nomura

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Macbeth d’après l’œuvre de William Shakespeare, adaptation et mise en scène de Mansai Nomura, traduction des surtitrages en français de Miako Siocombe

 

Macbeth-290x290Produit par le Setagaya Public Theatre de Tokyo (voir Le Théâtre du Blog), le spectacle  créé il y a deux ans, a été réalisé par Mansai Nomura, un acteur des plus importants du cinéma, japonais, notamment dans Ran d’Akira Kurosawa, et du théâtre japonais, en particulier  du kyogen ( théâtre comique traditionnel) qu’il a abordé dès l’enfance.
Il a une grande admiration pour Shakespare, et avait déjà monté La Comédie des erreurs et Richard III.
Pour Macbeth, il a conçu une mise en scène des plus épurées, à partir d’un texte réduit à 90 minutes, et avec seulement cinq acteurs, soit lui-même dans Macbeth. Natsuko Akiyama, joue, elle, Lady Macbeth. C’est une actrice célèbre au Japon  et on pourra la voir  en 2015, dans Egg mise en scène par Hideki Noda au Théâtre National Chaillot. Et il y a trois excellents comédiens: Keitoku Takata, Keiji Fukushi et Keita Kobayashi, venus d’un autre milieu théâtral, celui du grand Shûji Terayama, cinéaste et dramaturge, créateur de la compagnie Tenjö Sajiki, décédé en 1983,  et que l’on avait vu autrefois à Paris, notamment dans Marie-Vison.
Ils jouent tous les autres rôles, en particulier les trois sorcières qui sont  très souvent en scène, et qui rappellent les personnages traditionnels de fantômes d’une partie du théâtre nô. Avec changement à vue de costumes pour endosser les autres personnages. Il y a juste quelques éléments de décor, des costumes somptueux,  et quelques accessoires; la mise en scène est donc focalisée sur le jeu. Ce qui donne un spectacle réglé avec la précision habituelle au théâtre japonais, qui rappelle l’esthétique du nô, avec une interprétation virtuose, et des plus ciselées.
Mais  les images qui se veulent impressionnantes, ne sont pas vraiment fortes: fumigènes, musique enregistrée omni-présente.. Et, comme le texte de la pièce est réduit à sa plus simple expression, cela  brouille les pistes et rend les dialogues finalement assez peu convaincants.
Macbeth est loin d’être une pièce facile-  on a eu encore récemment la preuve! – mais la mise en scène de Mansai Nomura, pour respectable qu’elle soit, a quelque chose d’un peu sec et de démonstratif et n’a pas vraiment emporté notre adhésion  ni celle  du public…

 

Philippe du Vignal

Spectacle joué  à la Maison de la Culture du Japon les 13 et 14 juin.

 

La douzième bataille d’Isonzo d’Howard Barker

La douzième bataille d’Isonzo d’Howard Barker,  texte français de  Mike Sens, mise en scène de Guillaume Dujardin

f-937-5368fd64e32f8Howard Barker, 68 ans,  de la même génération  qu’Edward Bond et Harold Pinter  a écrit quelque  cinquante pièces,  poésie, opéra et est maintenant bien connu en France. Dans ce « théâtre de la catastrophe »,  comme il dit, évoluent des personnages souvent assez cruels mais intelligents , et son théâtre  parle  de violences  réelles et bien visibles, ou que l’on devine. Le titre  de celle-ci est celui d’une bataille en 1917 en Italie qui opposait les Italiens aux armées autrichienne et allemande. Isonzo est le nom d’un fleuve et Tenna celui d’une commune et ici les prénoms de l’homme et de la femme de cette pièce.
Il y a donc ici une jeune fille de 17 ans et  un vieil homme, dont c’est le douzième mariage. A une différence d’âge considérable, s’ajoute un fait peu fréquent: il sont aveugles tous les deux et cela va être leur nuit de noce. Ils parlent beaucoup, se dévoilent et se cachent l’un de l’autre: sur fond de violent désir sexuel, de provocation érotique, et de passion  amoureuse. Et tout cela,  sans se  voir et  sans être vu de l’autre. C’est dire si le corps, prend alors une importance unique.  » Que le désir fasse le corps, dit Michel Onfray, après que le corps fut fait par le désir, bien que nous sachions qu’en forme de boucle, l’un induise l’autre en permanence. C’est tout l’enjeu de cette bataille à laquelle vont se livre ce couple à quelques mètre devant nous.
Mais comment penser le corps de l’autre quand on ne peut le voir? De façon ob-scène au sens étymologique. Mais avec la seule force du langage, incisif, virulent et souvent assez cru.  A la fin, Tenna apparait absolument nue, magnifique, juste chaussée d’escarpins, et qu’Isonzo lui dit qu’en fait, il n’est pas aveugle. Sans qu’on puisse évidemment  savoir si c’est vrai…. « Mon âme, c’est moi, c’est mon corps tout entier,  écrivait Artaud quand il était interné à l’hôpital de Rodez, aujourd’hui détruit, tout près du musée  Soulages qui vient d’être inauguré.
Cela se passe dans la cave d’un immeuble des années 60. Nous  sommes accueillis très cordialement par le propriétaire de cet appartement au rez-de chaussée qui possède un petit jardin où poussent des pieds de salade. Si, si c’est vrai! même si on est dans un immeuble des années soixante en plein XVIII ème arrondissement à Paris On descend par un escalier en spirale qui nous conduit dans un grand sous-sol où sont soigneusement rangées  cartons et outils de bricolage.. Pas de scène bien sûr, deux remarquables comédiens: Pearl Manifold et  Christian Pageault. Il y a  juste un éclairage halogène doux et quelque vingt chaises occupées par neuf  spectatrices  et neuf  spectateurs. La mise en scène de Guillaume Dujardin est précise et efficace, et très vite une certaine connivence s’établit dans le public, visiblement content d’assister comme témoins privilégiés de ces scènes d’amour pour le moins inhabituelles.
Sans doute le texte de Barker est-il parfois un peu bavard mais les deux acteurs sont si justes qu’on se laisse vite prendre.  Le nombre de représentations est forcément limité puisque le propriétaire habite dans son appartement mais on a l’impression d’assister à une soirée privilégiée, sans aucune esbroufe où le mot théâtre a encore une signification. En tout cas, c’est une belle idée que  ce théâtre encavé, et le grand Tadeusz Kantor qui joua plusieurs de ses pièces dans  une cave de Cracovie, aurait apprécié…

Philippe du Vignal

Le Théâtre d’Howard Barker est édité chez Actes Sud et aux Editions théâtrales.

The King and I, (le Roi et moi)

The King and I, (le Roi et moi) mise en scène de Lee Blakeley (en anglais surtitré),  livret d’Oscar Hammerstein, d’après le roman de Margaret Landon, Anna and the king of Siam,  musique de Richard Rodgers.

photoLe spectacle, un peu long (3 h 10), respecte  les séquences de cette comédie musicale créée à  Broadway en 1951 Cette histoire d’amour contrariée entre Rama IV, le roi de Siam de 1862 à 1876, et la préceptrice de ses enfants, Anna Leonowens, symbole d’une femme émancipée de l’Angleterre victorienne, a connu un succès important à New York avec Yul Brynner. Il avait  joué plus de 4.000 fois le rôle-titre!  Avec Gertrude Lawrence puis Deborah Kerr, dans le film tiré de la pièce.
La mise en scène est fluide, il y a d’excellents décors de Jean-Marc Puissant et de très beaux costumes de Sue Blane.  Le public est plongé dans un passé asiatique, et cela rappelle  le film); le spectacle a quelque chose de  chic et d’un peu kitch, avec inflation de dorures. Parfois caricatural dans sa vision de l’Asie, il correspond à l’esprit de cette comédie musicale à l’insouciance joyeuse des années cinquante.
L’orchestre Pasdeloup et le chœur du Châtelet accompagnent les chanteurs, en particulier dans les deux standards attendus: 
I whistle a happy Tune et Shall we dance. Les cheveux blancs de Lambert Wilson contrastent avec le crâne rasé de Yul Brynner qui, à cette occasion, avait découvert le pouvoir séducteur d’un tel crâne.
Lambert Wilson interprète le rôle mythique du roi, et est vraiment très à l’aise en anglais, (il fit ses études théâtrales au Drama Centre de Londres). Sa présence sur scène est imprégnée d’une certaine douceur qui ne correspond pas toujours à l’idée que l’on se fait d’un tel monarque. Il joue, danse, et chante comme un acteur anglo-saxon. Susan Graham, mezzo-soprano américaine réputée, était remplacée, ce soir là, par Christine Buffle dans le rôle d’Anna.
Et c’est surtout Je Ni Kim que le public a remarquée dans le rôle de l’esclave birmane : fragile et dotée d’une très belle voix, elle transmet une vraie émotion à chacun de ses passages. Le chœur d’enfants et les danseuses qui accompagnent la distribution sont à l’unisson et mettent en valeur un travail d’ensemble très professionnel dans un domaine délicat: la comédie musicale américaine.

Jean Couturier

Théâtre du Châtelet jusqu’au 29 juin

 

L’Annonce faite à Marie

 L’Annonce faite à Marie de Paul Claudel, mise en scène  d’Yves Beaunesne

 

 

lannonce_hd9_cguy_delahaye   Nouveau directeur du Centre Dramatique National de Poitou-Charentes, Yves Beaunesne, monte aujourd’hui la version de 1912 de L’Annonce faite à Marie de Claudel, version qui fait suite aux deux premières intitulées La Jeune Fille Violaine. La pièce énigmatique et mystique est « un mystère en quatre actes et un prologue ».
Avec un cheminement vers la sainteté de la jeune fille Violaine qui porte sur son corps la fleur fatale et violette pour avoir donné un baiser charitable au lépreux, l’architecte et bâtisseur de cathédrales, Pierre de Craon (Damien Bigourdan) qui, l’année passée, l’avait courtisée de façon trop empressée.
Dans ce cadre moyenâgeux, entre fin de guerre de Cent ans et passage de Jeanne d’Arc vers Reims pour le sacre du Roi, la douce figure juvénile (Judith Chemla) est étrangement persécutée par sa sœur Mara – subtile Marine Sylf -, amoureuse amère du promis à l’aînée, Jacques Hury (Thomas Condemine).
Le père patriarche, (Jean-Claude Drouot) a donné au jeune homme sa première fille et son domaine, avant de partir pour Jérusalem. De son côté, la mère,  (Fabienne Lucchetti), protège désespérément la sœur jalouse.
Répudiée par son fiancé, Violaine survit dans l’abandon d’une grotte mais la haine sororale la destine à la mort, quoiqu’elle ait ressuscité l’enfant de la sœur maudite.
La mise en scène de Yves Beaunesne exploite avec force ce drame rustique et symbolique, caverne florale pleine de songes, de pensées et d’images.
La scénographie de Damien Caille-Perret, soutenue par les lumières de Joël Hourbeigt et la création vidéo de Mammar Benranou,  traduit l’enchantement de cette vision mystique et onirique, faisant du sol un espace renversé de forêt, un paysage de troncs et de courbes, un décor à plat de bois et de de brindilles à ramasser. Entre les situations jouées sur la scène et le lointain des secrets inavoués, un rideau translucide sépare l’espace, et l’on devine des silhouettes cachées, la sœur qui surveille sans être vue et la mère morte invisible qui pose en majesté.
L’enfant recouvrera la vie dans une froide nuit de Noël: les réalités religieuses et l’univers du sacré se nouent  de façon étrange dans le creux fantastique du rêve. La jeune fille, vêtue cérémonieusement, croyait-on, pour ses épousailles – robe blanche étincelante de brillants, couronne, chasuble et étole  et  la mère porte l’habit d’apparat des funérailles et du départ de ce monde : la vie et la mort, c’est tout un. Grâce à la foi chrétienne, à l’amour du verbe et de l’absolu, la pièce, servie par la mise en scène de Yves Beaunesne, révèle les ravages du Mal absurde sur l’humanité qui échappe ainsi au Bien : le baiser au lépreux, la méchanceté d’une sœur envers l’autre, la mort provoquée …
La version de 1912, préfacée par Michel Autrand (Folio Théâtre), dévoile un théâtre total où les couleurs, les figures et les acteurs qui chantent aussi, et bien, en solo ou en chœur, des chansons anciennes et rustiques sur la musique envoûtante  au violoncelle de Myrtille Hetzel et Clotilde Lacroix.
Une belle Annonce faite à Marie

 

Véronique Hotte

 

Théâtre des Bouffes du Nord, du 24 juin jusqu’au 19 juillet à 20h30, dimanche à 16h. Tél : 01 46 07 34 50

 

 

 

Présentations de saisons : Théâtre 71 Malakoff, Théâtre de la Commune, Aubervilliers.

Présentations de saison : Théâtre 71 de Malakoff, Théâtre de la Commune d’Aubervilliers.

 

 

cbkC’est le moment : pour beaucoup de théâtres (surtout en Île-de-France), les bonnes résolutions de rentrée se prennent dès le mois de juin. Bilans et surtout projets défilent, avec le collier de perles des spectacles. C’est partout le même cérémonial ? On s’y ennuie ? On aurait tort.
Prenons l’exemple de deux villes et de deux théâtres très différents et très proches à la fois. Avec deux points communs qui n’en font qu’un : un beau public, un vrai public dans une municipalité qui aime et défend son théâtre et ses habitants.
À Malakoff, on voit se dessiner la saison irréprochable d’une scène nationale qui vit bien, raisonnablement à l’aise dans les échanges entre les disciplines et les indisciplinés –à quoi appartiendrait Le grand fracas issu de rien ? de Pierre Guillois- et entre les réseaux. Pour la création, danse, théâtre, musique…, Malakoff a sa Fabrique des arts. Pour les invités, ses fidèles, Jacques Vincey, par exemple, nouveau directeur du CDN de Tours, avec Yvonne Princesse de Bourgogne de Gombrowicz ou le suisse Jean Liermier et son Malade imaginaire.
Pierre-François Roussillon, le directeur de Malakoff, conduit la barque, chargée comme il faut. Ici, le public se retrouve en famille, entre amis, dans une sorte de tendresse et de fierté qui ne tombent pas de la lune, mais d’un travail continu, depuis quarante-trois ans. L’institution, née de la décentralisation et de la démocratisation des arts, marche, et bien.
Theatre-de-la-Commune-Centre-dramatique-national-d-Aubervilliers-Aubervilliers_w258h247C’est évidemment vrai aussi pour le Théâtre de la Commune, Centre Dramatique National d’Aubervilliers, dans un tout autre style. Marie-José Malis, sa nouvelle directrice, a posé résolument les bases de son projet : nous avons un travail à faire ensemble, artistes et public, « mûrir dans le désir d’un monde ». Nous avons, dit-elle, « beaucoup de muscles pour la critique », et peu pour le possible.

Dans cette visée, le spectacle n’est pas un divertissement, mais une hypothèse à suivre, à partager, à débattre. Si elle a choisi Hyperion de Hölderlin, c’est pour l’éclairage sans reniement ni nostalgie que la pièce porte sur l’échec de la Révolution française. C’est « faire usage du théâtre » : chercher des ressources de pensée pour aujourd’hui dans des textes qui rendent compte de façon lumineuse de la complexité du monde.
L’ambition et sérieuse, et surtout pas refermée sur une élite : comme à son origine, Gabriel Garran et Jack Ralite étaient là pour en témoigner, et pour adouber le nouveau projet, le théâtre ne peut interroger la ville que s’il lui est ouvert. D’abord le bâtiment : le restaurant sera ouvert à midi, pour ceux qui travaillent dans le quartier, et non plus seulement pour les spectateurs du soir, et l’après-midi, aux associations. Mais surtout, ce que Jack Ralite appelle « le courage de la création et de la connaissance en actes », ce qui définit le projet même de Marie-José Malis, les artistes auront, encore et encore, à chercher la matière, le feu de leur travail dans cette Commune si bien nommée, dans la force méconnue du peuple d’Aubervilliers.

Et un souhait « énorme » : que le théâtre redonne toute sa valeur au terme « intellectuel » ! Pensons, réfléchissons, les amis, cela vaudra mieux que de se fier à de tristes idées. Et n’ayons pas peur des grands mots : ils sont les bienvenus en cette période désabusée, pour nous faire sortir la tête de l’eau. Marie-José Malis a un an pour bousculer les habitudes et inventer de nouvelles pratiques d’alliance entre artistes et spectateurs, pour fêter en 2015 et dans une vraie joie, les cinquante ans d’un théâtre exemplaire. Et le talent du public, que l’on redécouvre à l’occasion de ces présentations de saison.

 

Christine Friedel

L’Ennemi déclaré, Jean Genet trahi par Roger des Prés

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L’Ennemi déclaré, Jean Genet trahi par Roger des Prés, d’après des extraits du VIème tome des Œuvres complètes de Jean Genet, mise en scène de Roger des Prés .

Langue, amour et trahison: trois clés de l’œuvre de Genet (1910-1986) : « J’étais un bâtard, je n’avais pas droit à l’ordre social. Qu’est-ce qui me restait si je voulais un destin exceptionnel ? Si je voulais utiliser au maximum ma liberté, mes possibilités ou, comme on dit, mes dons, si j’en ai ?Il me restait à désirer être un Saint, rien d’autre, c’est-à-dire une négation d’Homme. »
Dix-huit ans après
L’Enfant criminel, Roger des Prés, metteur en scène et directeur du Favela-Théâtre de La Ferme du Bonheur, revient à Genet , avec un travail au long cours qu’il avait déjà entamé.
Genet et des Près ont en commun une même immanence politique et poétique.
À Nanterre, des Prés, homme des bois et de la ville à la fois, médite le mot  Liberté, à la manière du premier, « un homme qui, au lieu de subir, revendique ce qui lui a été donné, le revendique et est décidé à le pousser à son extrême conséquence
».
La parole libre de Genet fait du Michel Foucault avant l’heure ; Foucault  qui, avec
Surveiller et punir (1975), analyse la sourde contrainte étatique qui, du XVIème au XIXème siècle, quadrille, contrôle, mesure, dresse les individus, les rend « dociles et utiles », corps et âme.
Les libertés du XVIIIème sont inventées à l’intérieur même d’une société disciplinaire. Le dramaturge récrimine contre cet ordre social notamment dans
Les Bonnes, Haute-Surveillance, Les Nègres et Les Paravents), et s’engage auprès des indépendantistes algériens, des Black Panthers et des Palestiniens (Le Captif amoureux).
L’Ennemi déclaré
, livre posthume, rassemble entretiens, lettres, préfaces de livres, articles de presse sur la bande à Baader, quatre heures à Chatila …Avec cette création, des Prés est à l’écoute de la dimension existentielle de cette parole singulière et radicale, et le public découvre à cette occasion, l’articulation d’une pensée forte sur l’art, la création et les pouvoirs infinis de la langue :
« Le souci même de faire une phrase harmonieuse suppose une morale, c’est-à-dire un rapport du créateur à un spectateur possible. »
Or, Genet ne confie rien de vrai: « Dans mon travail, je me mets nu… et en même temps, je me travestis par des mots, des choix, des attitudes, par la féerie.» Lutter contre la brutalité organisée du monde tel qu’il est, s’impose depuis la marge. Le spectacle – étrange et fantastique – est offert au public, captif de la représentation, au sens propre et au sens figuré. Le public, assis sur des bancs d’église, est séparé : vingt-quatre hommes d’un côté, et autant de femmes, de l’autre. Et, en situation de juge face à cet
Ennemi déclaré, aux prises avec maints procès.
La mise en scène égrène en effet régulièrement tous les signes du matériau Genet. Ainsi des policiers, intervenants du GIGN, en combinaison et cagoule noires, encadrent la salle ; l’un d’eux (Roger des Prés) capte, la caméra en main, le plateau et le public.
Pour définir une scène, des majordomes en habit noir et gants blancs dressent des rideaux et font descendre de magnifiques lustres dont ils allument les bougies. Au centre, une cheminée imposante de château flamboie. En haut, un écran, encadré d’or comme une toile académique et bourgeoise, laisse défiler des extraits du film muet et en noir et blanc de Genet,
Un Chant d’amour réalisé en1950 qui ne sera diffusé qu’en 1975, pour cause de censure sur l’homosexualité.
Un film de Roger des Prés nous montre un châtelain recueillant un jeune va-nu-pieds sur son chemin alors qu’il se rend à un enterrement. Un carrosse que traîne un lourd cheval de trait dans la campagne arrive, depuis l’écran jusqu’aux pieds du spectateur; en descend le jeune homme. Le châtelain en queue de pie le reçoit, le fait laver et habiller élégamment, lui indique ses lectures, lui dresse une table où les deux convives vont goûter avec cérémonie à tous les plats. Majordomes et serviteurs ne cessent d’être aux petits soins pour le maître de la maison et son invité,  avec un cérémonial digne de Genet.
Le maître et le disciple, le duo d’amants, c’est la même mise en abyme d’un destin. Ils dînent et les serviteurs s’affairent, mais les paroles se font rares. Juste une voix off se fait entendre, celle de la parole sentencieuse de Genet. On verra ensuite ce vieil et sage ami à l’écran.
Çà et là,  les caquetages de quatre oies puis apparaît un troupeau de belles brebis blanches avec son jeune pâtre sauvage, image mythique sortie du cinéma de Pasolini.
Le spectacle est splendide de justesse sur la problématique de l’artiste maudit et
n’en finit pas de filer les métaphores de l’empire des signes de Genet, avec des images grandiloquentes de château: grands lustres à bougies, vaisselle de porcelaine, argenterie, verres de cristal, rouge velours rouge du théâtre, feu de bois et livres, pour une fête lumineuse et les scintillements du temps qui passe :
« Une chose est sacrée pour moi… c’est le temps… Il n’y a que quelques lueurs dans une vie d’homme. Tout le reste est grisaille. C’est assez rare que nous fassions un effort conscient pour dépasser cet état d’hébétude. Moi, je le dépasse par l’art. »
Cette création est aussi une réinvention onirique et fantastique pleine d’audace. Un ange nu aux ailes blanches descend de sa cage d’oiseau pour veiller peut-être celui qui s’apprête à mourir… Les deux lourds chevaux reviennent sur la scène, portant chacun sur leur ample croupe, le maître et son disciple dévêtus. Avec noblesse et sensibilité, les acteurs dessinent et sculptent une œuvre d’art.

Véronique Hotte

La Ferme du bonheur à Nanterre, jusqu’au 22 juin.

Tchip

Tchip d’Éric Durnez, mise en scène de Ricardo Lopez Munoz.

TCHIP SOLÉric Durnez comptait parmi les plus grands auteurs belges francophones actuels. Il s’est éteint le 6 juin dernier dans le petit village du Gers où il avait élu domicile depuis 1999. Son écriture, vive, simple et très intérieure, mettait toujours en valeur la fragilité des gens.
« Les personnages de théâtre, disait-il, s’élaborent à partir de leurs failles ou leurs déchirures secrètes que la pièce ne dévoile pas ou partiellement (…) Et que cela aboutisse à des issues très sombres reflète sans doute (hélas peut-être) ma vision du monde ».
Parmi la trentaine de ses pièces publiées : Broussailles, Le Fils de la vodka menthe, le Voyage intraordinaire ou le somptueux Childéric, unique phrase du spectacle d’une heure, donné par Thierry Hellin au Théâtre des Doms à Avignon en 2012. Toute son œuvre ou presque est éditée chez Émile Lansman, inconsolable d’avoir perdu un ami, qu’il revoyait chaque été au festival Isérois Textes en l’air, où il officiait aussi comme cuisinier.
Tchip a été écrit en résidence en Guyane « une pièce sertie dans un territoire lourd de son histoire mouvementée de la confrontation des nombreuses communautés qui le peuplent légalement ou non ». Dans cette Guyane « peuplée de fantômes », quatre personnages : Louis Kerouac, qui est venu se refaire, et fuir la métropole aux bras de Mira qui ramène avec elle ce nouveau compagnon. Difficile à accepter pour Jérôme, son fils, un peu coincé et abandonné dans ce monde et dans cette région.
Et puis il y a l’énigmatique Deevee, l’ami de Jérôme, qui se révèlera ne pas être celui que l’on croit, après un conflit avec Louis. Jérôme construit en secret une fusée qu’il lancera lors de la fête,  mais  son nouveau beau-père donne déjà des signes d’agressivité et de supériorité.
La dernière pièce d’Eric Durnez n’est pas sa meilleure et son passage à la scène, loin d’être réussi ! Une ambiance sonore permanente. Amplification des voix et effets d’écho, vrombissement de guêpes, musique trop présente, jingles pour passer d’une scène à une autre:  le théâtre ici se fait rarement avec la simple parole des acteurs, et le court moment de play-back est mal synchronisé. Les pièces d’Éric Durnez ne sont pas très bavardes mais Ricardo Lopez Munoz semble avoir oublié qu’un spectacle vaut aussi (et surtout) par ses silences…
On a l’impression que Ricardo Lopez Munoz a eu peur du silence, alors qu’il aurait dû faire confiance au texte et aux acteurs… Le metteur en scène appuie et surligne : un des personnages dit qu’il fait moins 15° et se frotte en grelottant! Et tous les gestes sont chorégraphiés, ce qui les rend artificiels et rompt le rythme du spectacle. Deevee joue du coupe-coupe comme un samurai échappé d’un manga, et Louis a une chemise étriquée sans col, typique du colonisateur.
Mention spéciale quand même à Grégory Alexander qui habite son personnage avec une belle voix nuancée.

Julien Barsan

Spectacle vu au Tarmac Pairs XX ème.

Le Square et Savannah bay

Savannah Bay, de Marguerite Duras, mise en scène Didier Bezace.

 

4364567_4_516b_anne-consigny-et-emmanuelle-riva-dans-savannah_6f993796bb60d1000948fe2c27ca7c91Il était une fois une très jeune fille et un jeune homme qui nageaient loin dans la mer. Ils s’aimèrent, elle mit au monde un enfant, puis nagea si loin qu’elle mourut. L’homme, trop robuste, n’eut pas cette chance. Dans la grande maison, personne ne dit rien ? C’était Savannah bay, sur la mer de Siam.
Cette histoire ne peut se passer du théâtre,  seul lieu où l’on voit, où l’on sent le temps s’écouler comme il le fait réellement, dans un présent gorgé, rempli, du passé. Marguerite Duras fait preuve ici d’une lucidité inouïe, en mettant sur la scène la répétition, jour après jour, du jeu entre une comédienne « dans la gloire de l’âge », et une jeune femme qui pourrait être sa petite fille « ou pas » (tic de langage en voie de passer de mode), l’une dans le présent du récit, qu’elle joue, qu’elle anime, qu’elle contredit pour sa vieille compagne, l’autre dans le présent de sa mémoire, et de l’oubli.

Comme au théâtre, chaque représentation répète la précédente et en même temps est unique. L’ancrage concret du texte de Et voilà que la très concrète Duras –il y a sur scène un placard à confitures, en hommage à La Vie matérielle- nous entraîne paradoxalement vers des considérations très abstraites.
La boîte blanche du décor signé Jean Haas, juste coupée d’un ponton de bois, s’ouvre de fentes étroites, de « fuites » sur les côtés, et s’anime de rais de lumière entre les volets, du bruit adouci de l’extérieur, de rares objets bien de ce monde. La mer, ce sera pour plus tard, dans le noir des lointains ou de la salle.

Car la pièce n’oublie jamais le théâtre : l’ancienne comédienne et la jeune femme regardent le public : « la salle est pleine », dit Duras avec optimisme. Elle l’était presque, ce soir-là, d’un public venu se nourrir de l’énergie, parfois de la vivacité, de la gravité et de l’humour d’Emmanuelle Riva, tout aussi vaillante et tout autrement que naguère Madeleine Renaud. Le public fait lui aussi un saut dans le temps, pour rejoindre l’Emmanuelle Riva d’Hiroshima mon amour.
L’autre femme puissante de la soirée, mais rien d’une découverte, c’est Anne Consigny, gracieuse, on aurait même envie de dire délicieuse, sauf à réduire la force de sa présence, de son autorité. Elle est celle qui, ancrée dans le présent, dans la vie matérielle, le thé, le col d’une robe, peut faire monter des morceaux du passé à la lumière. Et revoilà le théâtre : de la pensée faite chair. Nous sommes heureux que le Théâtre de l’Atelier, fidèle à son histoire, donne un si beau texte à de si belles comédiennes.

 Christine Friedel

 Théâtre de l’Atelier

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Le Square, de Marguerite Duras, mise en scène de Didier Bezace.

  »Le Square, je crois bien que c’est en écoutant se taire les gens dans les squares de Paris. (…). Elle, elle surveille les enfants d’une autre. Lui est à peine un voyageur de commerce qui vend sur les marchés de ces petits objets qu’on oublie si souvent d’acheter. Ils sont tous les deux à regarder se faire et se défaire le temps ». Le texte, en  version radiophonique, a été salué par Samuel  Beckett.  Mais Duras disait qu’elle  » n’avait  voulu ni faire une pièce de théâtre ni, à vrai dire, un roman ».
Le Square écrit en 52, et adapté  au théâtre en 56, donc il y a  cinquante ans, tient-il encore la route sur un plateau de théâtre? Il n’y a guère plus de bonne à tout faire, même dans les arrondissements chic de Paris ni de voyageurs de commerce qui, avec une lourde valise plein d’objets ou de livres d’art difficilement vendables, comme un pauvre oncle à nous qui essayait  de gagner chichement leur vie. Et pourtant, cette petite pièce continue à remarquablement fonctionner…
Dans cette rencontre entre deux êtres  au discours pathétique, s’installe très vite entre eux une  sorte de  connivence, de grande politesse, et un besoin évident de parler, pour remplir un vide existentiel, un profond désespoir et une solitude absolue dans une vie sans but, ce qui finalement les réunit .« Nous sommes les derniers des derniers », dit elle. « Il en faut, nous sommes abandonnés » lui répond-il.
Tout est dit dans ces deux répliques. Et on n’est pas finalement loin de Godot, écrit en 1948.
Cela peut ressembler à du bavardage mais n’en est pas, et c’est à une espèce de jeu de la vérité qui ne dit pas son nom qu’il vont se livrer avec une grande tendresse et parfois beaucoup d’impudeur. Attentifs aux souffrances de  l’autre, surtout celle du corps.
Elle lui demande ainsi très vite dès le début de leur rencontre (ce qui est étonnant!) s’il mange tous les jours. Lui évoque ses tristes journées de voyageur de commerce  toujours dans les trains. Elle lui dit aussi qu’elle voudrait bien ne plus rester bonne à tout faire et arriver à se marier, son grand rêve, pour ne plus « être rien » comme elle dit!.
Ils n’hésitent ni l’un ni l’autre à se livrer, au jours le jour, sans mensonges: il lui parle de sa solitude dans les voyages qu’il fait et de sa propre mort. »Lorsque l’on sait, lui assène-t-il, que sa mort ne fera souffrir personne, pas même un petit chien, je trouve qu’elle allège de beaucoup de son poids ». Elle voudrait qu’on la regrette: « Mais on me pleurera un jour. J’ai de l’espoir. Ce n’est pas possible autrement. »
Le dialogue est parfois inégal mais Didier Bezace qui avait déjà monté la pièce en 2004 avec déjà Clotilde Mollet et Hervé Pierre, en a refait une mise en scène brillante, sobre, toute en litotes, et avec beaucoup de délicatesse. Il a su prendre la juste mesure des choses. Clotilde Mollet est parfaite, Didier Bezace lui, a quelquefois  tendance à  faire dans les glissando de violoncelle mais ils sont tous les deux crédibles dans des rôles pas si ,’ils ne quittent pas la scène.
Même si nous n’avons pas toujours une passion pour les textes de Duras, là, grâce à  la formidable empathie que Clotilde Mollet et Didier Bezace ont avec leurs personnages, il y a des moments craquants de vérité, et  vraiment émouvants.

Phlippe du Vignal

Théâtre de l’Atelier.

 

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