Macbeth/Ariane Mnouchkine

Macbeth©Michèle-Laurent6 

Macbeth de William Shakespeare, traduit et dirigé par Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre.

Il y a foule et les places ont été réservées depuis longtemps. Ariane Mnouchkine est à l’entrée, comme d’habitude, pour accueillir le public et valider les tickets d’entrée; ici, pas de lecture électronique du code, et c’est tant mieux. Ariane déchirant les tickets, c’est devenu une image mythique du théâtre contemporain depuis cinquante ans. Avec des spectacles souvent très bons, voire excellents, et jamais médiocres, depuis les premiers comme Les Petits bourgeois de Gorki que nous avions vu en 64 (le temps passe), Barbe-Bleue d’Offenbach, monté par ses comédiens dans une salle de patronage, avec des costumes de cinéma prêtés par son père, une action de rue en six minutes près des usines Renault, et bien sûr, celui, fameux, qui avait lancé le Théâtre du Soleil: La Cuisine d’Arnold Wesker dans une petite salle de Montmartre qui accueillait les matches de boxe. Et enfin le célèbrissime 1789, à la Cartoucherie, encore très  mal chauffée avant d’être vraiment restaurée, suivi de 1793. Souvenirs, souvenirs…
Cinquante ans après, le Théâtre du Soleil est toujours là, chapeau! Et Ariane aussi, toujours déterminée et combative, malgré les épreuves: «Mes engagements ont toujours été idéalistes », dit-elle, avec raison. Les comédiens ne sont évidemment plus les mêmes, certains ont disparu comme Philippe Léotard, ou Louba Guertchikoff, qui, un an avant sa mort à 80 ans, disait crânement:  » Je ne veux pas de médicaments contre ce cancer, j’ai eu une belle vie, c’est bien comme cela ».
Et aussi les compagnons de la première heure, comme Françoise Tournafond, sa créatrice de costumes, Catherine Franck sa photographe, épouse de Cartier-Bresson, et Guy-Claude François, son excellent scénographe décédé lui, cette année (voir Le Théâtre du Blog). Impossible de ne pas penser à eux quand on pénètre pour la xème fois, avec émotion et respect à la fois, sous les fermes Polonceau du grand hall du Soleil, dont le sol est en partie couvert des tapis-brosse de L’Age d’or (1975!). Les murs sont peints avec, entre autres, avec une grande fresque de Londres et un portrait de Shakespeare en médaillon, des affiches des Macbeth: entre autres, celui d’Henry Irving à Londres, de Kean, de metteurs en scène russes ou japonais; il y a aussi, en clin d’œil, la couverture du texte de Macbeth, le premier sans doute qu’ait vu Ariane Mnouchkine, celui du T.N.P., quand Vilar avait monté et joué la pièce avec Maria Casarès. Le public et les professionnels sont toujours accueillis chaleureusement au Théâtre du Soleil comme dans peu de théâtres français, institutionnels ou non… Et c’est, à chaque fois, comme une sorte de pèlerinage à cette Cartoucherie, devenu un lieu mythique, et dont tous les gens de théâtre français, et même étrangers, connaissent au moins l’adresse…
Et Macbeth? Nous ne somme pas tout à fait d’accord avec notre amie Véronique Hotte (voir Le Théâtre du Blog). Que dire en effet, sinon notre grande déception! Certes, on ne peut demander à Ariane Mnouchkine de refaire une mise en scène proche de celles de ses flamboyants Shakespeare des années 80, comme Richard II, La Nuit des rois, ou Henri IV, cela n’aurait aucun sens. Mais ici, désolé, on ne voit pas bien ce qu’elle a voulu réaliser avec cinquante acteurs, comme si elle voulait nous persuader que le nombre faisait l’efficacité. Et on ne voit pas bien  non plus ici ni la violence politique de la pièce, ni non plus la folie qui s’empare du couple infernal après qu’ils aient tué le roi Duncan.
Le spectacle a été réglé au cordeau et avec une exemplaire minutie: que ce soient les effets sonores et visuels, ou les impeccables entrées et sorties de scène, avec une quinzaine de comédiens/serviteurs de scène chargés de balayer le sol et d’introduire puis de déménager aussi vite après une seule scène: lande en tapis de fibres de coco, ou arrière-boutique de fleuriste avec bouquets et de plantes en pot pour figurer le  jardin de Macbeth, ou encore meubles et tapis de salon.
C’est parfaitement orchestré et cela ressemble à une sorte de performance qui ne déparerait pas dans un quelconque musée d’art contemporain et  dont on apprécie la vision, même si, paradoxalement, il n’y a pas grand chose à voir… Cela fait partie intégrante du spectacle mais le rallonge inutilement. En fait, l’absence de Guy-Claude François se fait ici cruellement sentir, et on peut mesurer encore plus combien il aura été aussi, et depuis longtemps, le véritable co-auteur des spectacles du Soleil, comme son ami Richard Peduzzi le fut pour ceux de Patrice Chéreau.
Ariane Mnouchkine possède toujours cette très grande maîtrise de l’image comme du son, mais ces déménagements incessants parasitent la mise en scène de ce Macbeth, en cassent singulièrement le rythme. Tout se passe en fait comme si elle avait eu peur de rater le train de la modernité. En habillant les soldats en uniforme contemporain, et en suggérant la présence de récents dictateurs (Hussein, Khadafi…et mantenant Bachar el Hassad),  avec bruit de mitraillettes, vacarme d’hélicoptères et cohortes de photographes et reporters de télévision… Bref, ce ballet confus est bien peu crédible, et ne fonctionne pas.
D’autant plus que les deux acteurs choisis pour jouer Macbeth et Lady Macbeth (Serge Nicolaï et Nirupama Nityanandan) ne sont pas du tout à la hauteur de leurs personnages. Lui, à la fin, enfermé dans une sorte de bunker, possède (mais c’est bien le seul moment!) une vérité tragique mais la comédienne, qu’on entend souvent mal, n’est pas convaincante et n’a rien de cette redoutable épouse, à la fois séductrice et monstrueuse qui pousse son mari au crime. Et, comme on ne croit guère ce couple infernal est peu crédible, la mise en scène déjà alourdie par ces déménagements inutiles et permanents, ne tient plus trop la route.
Même si on entend bien le texte, articulé de façon presque caricaturale, (on ne sait pourquoi les acteurs tapent sur la fin des mots, comme aucun apprenti comédien n’oserait le faire!), on commence à s’ennuyer assez vite d’autant que le spectacle, coupé d’un trop long entracte, dure quatre heures! Le public, toutes générations confondues, trouve le temps long…
Bref, on est en effet dans l’imagerie, voire dans la bande dessinée (comme la scène dans l’écurie avec ces deux beaux chevaux, plus vrais que nature, dans leurs stalles) mais jamais vraiment dans l’action dramatique de cette pièce difficile mais souvent passionnante dont le texte recèle de belle pépites. Sauf à de trop rares moments, comme dans la scène du portier très bien jouée, ou celle du banquet avec une image sublime: des pétales de rose rouges en rivière de sang…
Et il y a la partition sonore de Jean-Jacques Lemêtre en direct, aussi discrète qu’efficace, qui introduit un climat d’angoisse. Mais, comme beaucoup d’autres metteurs en scène plus jeunes qu’elle et qui n’ont pas sa formidable expérience), Ariane Mnouchkine semble s’être fait piéger ici par un sorte de primauté, voire de dictature de l’image, (la « médiacratie » comme dit Régis Debray), alors que nous sommes tous impressionnés par la seule force des images mentales que développe une simple phrase de Shakespeare. Comme dans les célèbres et simples mots prononcés par Lady Macbeth:  « Tous les parfums de l’Arabie…
A la question: avait-on besoin de tout ce bordel scénique pour jouer Macbeth, la réponse est non! Et c’est le défaut majeur de ce spectacle pourtant très soigné, très professionnel mais qui, la plupart du temps, tourne un peu à vide. Après quelque vingt représentations, Ariane Mnouchkine était encore à sa table de travail dans la salle, prenant des notes, comme si elle était insatisfaite… Il y avait ce soir-là, des fans inconditionnels du Soleil dans le public mais le spectacle a été fraîchement applaudi!
Donc, à vous de décider, si vous avez envie de tenter l’aventure ou non. Le Théâtre du Soleil prépare un autre Macbeth « contemporain », écrit par Hélène Cixous… Croisons les doigts.

Philippe du Vignal

Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ-de-Manœuvre, Métro Château de Vincennes, et navette gratuite. T. : 01-43-74-24-08. Les mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 13 h 30 et 19 h 30, dimanche à 13 h 30. Places de 15 € à 29 €€
Théâtre du Soleil.fr.
Le texte dans la traduction d’Ariane Mnouchkine, coédité avec les Editions Théâtrales, sera disponible en librairie à l’automne prochain, et est déjà en vente à la librairie du Théâtre du Soleil.


Archive pour 2 juin, 2014

Macbeth/Ariane Mnouchkine

Macbeth©Michèle-Laurent6 

Macbeth de William Shakespeare, traduit et dirigé par Ariane Mnouchkine, musique de Jean-Jacques Lemêtre.

Il y a foule et les places ont été réservées depuis longtemps. Ariane Mnouchkine est à l’entrée, comme d’habitude, pour accueillir le public et valider les tickets d’entrée; ici, pas de lecture électronique du code, et c’est tant mieux. Ariane déchirant les tickets, c’est devenu une image mythique du théâtre contemporain depuis cinquante ans. Avec des spectacles souvent très bons, voire excellents, et jamais médiocres, depuis les premiers comme Les Petits bourgeois de Gorki que nous avions vu en 64 (le temps passe), Barbe-Bleue d’Offenbach, monté par ses comédiens dans une salle de patronage, avec des costumes de cinéma prêtés par son père, une action de rue en six minutes près des usines Renault, et bien sûr, celui, fameux, qui avait lancé le Théâtre du Soleil: La Cuisine d’Arnold Wesker dans une petite salle de Montmartre qui accueillait les matches de boxe. Et enfin le célèbrissime 1789, à la Cartoucherie, encore très  mal chauffée avant d’être vraiment restaurée, suivi de 1793. Souvenirs, souvenirs…
Cinquante ans après, le Théâtre du Soleil est toujours là, chapeau! Et Ariane aussi, toujours déterminée et combative, malgré les épreuves: «Mes engagements ont toujours été idéalistes », dit-elle, avec raison. Les comédiens ne sont évidemment plus les mêmes, certains ont disparu comme Philippe Léotard, ou Louba Guertchikoff, qui, un an avant sa mort à 80 ans, disait crânement:  » Je ne veux pas de médicaments contre ce cancer, j’ai eu une belle vie, c’est bien comme cela ».
Et aussi les compagnons de la première heure, comme Françoise Tournafond, sa créatrice de costumes, Catherine Franck sa photographe, épouse de Cartier-Bresson, et Guy-Claude François, son excellent scénographe décédé lui, cette année (voir Le Théâtre du Blog). Impossible de ne pas penser à eux quand on pénètre pour la xème fois, avec émotion et respect à la fois, sous les fermes Polonceau du grand hall du Soleil, dont le sol est en partie couvert des tapis-brosse de L’Age d’or (1975!). Les murs sont peints avec, entre autres, avec une grande fresque de Londres et un portrait de Shakespeare en médaillon, des affiches des Macbeth: entre autres, celui d’Henry Irving à Londres, de Kean, de metteurs en scène russes ou japonais; il y a aussi, en clin d’œil, la couverture du texte de Macbeth, le premier sans doute qu’ait vu Ariane Mnouchkine, celui du T.N.P., quand Vilar avait monté et joué la pièce avec Maria Casarès. Le public et les professionnels sont toujours accueillis chaleureusement au Théâtre du Soleil comme dans peu de théâtres français, institutionnels ou non… Et c’est, à chaque fois, comme une sorte de pèlerinage à cette Cartoucherie, devenu un lieu mythique, et dont tous les gens de théâtre français, et même étrangers, connaissent au moins l’adresse…
Et Macbeth? Nous ne somme pas tout à fait d’accord avec notre amie Véronique Hotte (voir Le Théâtre du Blog). Que dire en effet, sinon notre grande déception! Certes, on ne peut demander à Ariane Mnouchkine de refaire une mise en scène proche de celles de ses flamboyants Shakespeare des années 80, comme Richard II, La Nuit des rois, ou Henri IV, cela n’aurait aucun sens. Mais ici, désolé, on ne voit pas bien ce qu’elle a voulu réaliser avec cinquante acteurs, comme si elle voulait nous persuader que le nombre faisait l’efficacité. Et on ne voit pas bien  non plus ici ni la violence politique de la pièce, ni non plus la folie qui s’empare du couple infernal après qu’ils aient tué le roi Duncan.
Le spectacle a été réglé au cordeau et avec une exemplaire minutie: que ce soient les effets sonores et visuels, ou les impeccables entrées et sorties de scène, avec une quinzaine de comédiens/serviteurs de scène chargés de balayer le sol et d’introduire puis de déménager aussi vite après une seule scène: lande en tapis de fibres de coco, ou arrière-boutique de fleuriste avec bouquets et de plantes en pot pour figurer le  jardin de Macbeth, ou encore meubles et tapis de salon.
C’est parfaitement orchestré et cela ressemble à une sorte de performance qui ne déparerait pas dans un quelconque musée d’art contemporain et  dont on apprécie la vision, même si, paradoxalement, il n’y a pas grand chose à voir… Cela fait partie intégrante du spectacle mais le rallonge inutilement. En fait, l’absence de Guy-Claude François se fait ici cruellement sentir, et on peut mesurer encore plus combien il aura été aussi, et depuis longtemps, le véritable co-auteur des spectacles du Soleil, comme son ami Richard Peduzzi le fut pour ceux de Patrice Chéreau.
Ariane Mnouchkine possède toujours cette très grande maîtrise de l’image comme du son, mais ces déménagements incessants parasitent la mise en scène de ce Macbeth, en cassent singulièrement le rythme. Tout se passe en fait comme si elle avait eu peur de rater le train de la modernité. En habillant les soldats en uniforme contemporain, et en suggérant la présence de récents dictateurs (Hussein, Khadafi…et mantenant Bachar el Hassad),  avec bruit de mitraillettes, vacarme d’hélicoptères et cohortes de photographes et reporters de télévision… Bref, ce ballet confus est bien peu crédible, et ne fonctionne pas.
D’autant plus que les deux acteurs choisis pour jouer Macbeth et Lady Macbeth (Serge Nicolaï et Nirupama Nityanandan) ne sont pas du tout à la hauteur de leurs personnages. Lui, à la fin, enfermé dans une sorte de bunker, possède (mais c’est bien le seul moment!) une vérité tragique mais la comédienne, qu’on entend souvent mal, n’est pas convaincante et n’a rien de cette redoutable épouse, à la fois séductrice et monstrueuse qui pousse son mari au crime. Et, comme on ne croit guère ce couple infernal est peu crédible, la mise en scène déjà alourdie par ces déménagements inutiles et permanents, ne tient plus trop la route.
Même si on entend bien le texte, articulé de façon presque caricaturale, (on ne sait pourquoi les acteurs tapent sur la fin des mots, comme aucun apprenti comédien n’oserait le faire!), on commence à s’ennuyer assez vite d’autant que le spectacle, coupé d’un trop long entracte, dure quatre heures! Le public, toutes générations confondues, trouve le temps long…
Bref, on est en effet dans l’imagerie, voire dans la bande dessinée (comme la scène dans l’écurie avec ces deux beaux chevaux, plus vrais que nature, dans leurs stalles) mais jamais vraiment dans l’action dramatique de cette pièce difficile mais souvent passionnante dont le texte recèle de belle pépites. Sauf à de trop rares moments, comme dans la scène du portier très bien jouée, ou celle du banquet avec une image sublime: des pétales de rose rouges en rivière de sang…
Et il y a la partition sonore de Jean-Jacques Lemêtre en direct, aussi discrète qu’efficace, qui introduit un climat d’angoisse. Mais, comme beaucoup d’autres metteurs en scène plus jeunes qu’elle et qui n’ont pas sa formidable expérience), Ariane Mnouchkine semble s’être fait piéger ici par un sorte de primauté, voire de dictature de l’image, (la « médiacratie » comme dit Régis Debray), alors que nous sommes tous impressionnés par la seule force des images mentales que développe une simple phrase de Shakespeare. Comme dans les célèbres et simples mots prononcés par Lady Macbeth:  « Tous les parfums de l’Arabie…
A la question: avait-on besoin de tout ce bordel scénique pour jouer Macbeth, la réponse est non! Et c’est le défaut majeur de ce spectacle pourtant très soigné, très professionnel mais qui, la plupart du temps, tourne un peu à vide. Après quelque vingt représentations, Ariane Mnouchkine était encore à sa table de travail dans la salle, prenant des notes, comme si elle était insatisfaite… Il y avait ce soir-là, des fans inconditionnels du Soleil dans le public mais le spectacle a été fraîchement applaudi!
Donc, à vous de décider, si vous avez envie de tenter l’aventure ou non. Le Théâtre du Soleil prépare un autre Macbeth « contemporain », écrit par Hélène Cixous… Croisons les doigts.

Philippe du Vignal

Théâtre du Soleil, Cartoucherie de Vincennes, route du Champ-de-Manœuvre, Métro Château de Vincennes, et navette gratuite. T. : 01-43-74-24-08. Les mercredi, jeudi et vendredi à 19 h 30, samedi à 13 h 30 et 19 h 30, dimanche à 13 h 30. Places de 15 € à 29 €€
Théâtre du Soleil.fr.
Le texte dans la traduction d’Ariane Mnouchkine, coédité avec les Editions Théâtrales, sera disponible en librairie à l’automne prochain, et est déjà en vente à la librairie du Théâtre du Soleil.

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