Zinnias. The life of Clementine Hunter, opéra imaginé par Robert Wilson, musique et livret de Bernice Johnson Reagon, Toschi Reagon, Jacqueline Woodson.
L’ouverture du festival des Nuits de Fourvière s’est faite avec la première en France de cet opéra de Robert Wilson qui a voulu rendre hommage à Clémentine Hunter (1886-1988), une peintre très singulière. Cette Afro-américaine, née dans les plantations de Louisiane, a travaillé dur, de l’aube au soir, au ramassage du coton et des noix de pécan avant de se découvrir, à cinquante ans, un don pour la peinture, « un cadeau du ciel ».
Peintre autodidacte (elle ne sait ni lire ni écrire), elle est saisie par l’urgence de peindre ce qu’elle a dans la tête, comme elle ne cesse de le répéter. Son univers s’inscrit dans les limites de la plantation, avec ses ouvriers agricoles, ses domestiques, son église, les arbres, les fleurs, et les bouquets de zinnias…Elle peindra jusqu’à la fin de sa vie, à 101ans, environ quatre mille œuvres, dont certaines sont aujourd’hui exposées dans des musées.
Quand il avait douze ans, Robert Wilson a rencontré ce personnage hors du commun lors d’une visite à la plantation Melrose où elle était domestique, et il lui a acheté une petite toile. Il en achètera bien d’autres, fasciné par le destin de cette femme lié à l’histoire de son pays resté ségrégationniste. A partir de ces éléments de narration, il passera commande d’une œuvre musicale à Bernice Johnson Reagon et à sa fille Toschi avec lesquelles il avait déjà travaillé.
Elles aussi vont rendre un hommage Clementine Hunter par la musique, celle du Sud, née dans la communauté noire, celle des Créoles de Louisiane, avec le zydeco, le blues, le rock en roll, les spirituals…. musiques rythmées qui impulsent tant le mouvement qu’elles réclament une chorégraphie. Et la musique et la danse sont aussi importantes que le texte dans cet « opéra », terme qui ne semble pas tout à fait convenir. Il s’agit plutôt ici d’une comédie musicale , dans la ligne de celles de Broadway, très rythmée et éclatante de couleurs saturées…véritable hymne à la vie, même lorsqu’elle est difficile.
Robert Wilson transcende ici le récit réaliste, et impose sa gestuelle (mouvements décomposés dans l’espace, déplacements géométriquement inscrits sur le sol…), ses images, et une composition en tableaux réglés avec une précision admirable. Et il a conçu lui-même les quelques éléments de décor au dessin épuré.
Robert Wilson a installé un peu à l’écart de la scène, une femme noire en robe noire aux emmanchures surhaussées, qui est assise dans un rocking-chair blanc : c’est, quarante-trois ans plus tard, la même actrice, Sheryl Sutton, qui jouait et qui, par moments, regardait aussi, impassible, le formidable et surréaliste Regard du sourd ! Une image marquante dans l’histoire du théâtre contemporain mais qui ne serait surtout, pour lui, un souvenir de son enfance dans le Texas.
Rien ici de vraiment novateur : notre œil n’est jamais dérangé mais plutôt flatté par l’esthétique très soignée de ce Zinnias. The life of Clementine Hunter, spectacle qui est à sa place pour ouvrir un festival aussi diversifié que Les Nuits de Fourvière, où les spectateurs sont heureux d’être assis sur les gradins de pierre du théâtre romain, encore tiédis par le soleil de juin.
Certains sifflotaient les airs, d’autres tapaient dans leurs mains pour marquer le rythme. Aurait-on pu penser, il y a quelques décennies, que Robert Wilson deviendrait un metteur en scène populaire ?
Elyane Gérôme
Nuits de Fourvière, jusqu’au 6 juin à 22h. T: 04 72 32 00 00.www.nuitsdefourviere.com