Le Chant des soupirs
Le Chant des soupirs, journal intime et musical d’Annie Ebrel, conception, écriture, d’Annie Ebrel, composition, guitare de Kevin Seddiki, conception, écriture et mise en scène de Pierre Guillois.
En compagnie de Kevin Seddiki et Pierre Guillois, la chanteuse traditionnelle bretonne Annie Ebrel nous livre son journal intime, une œuvre musicale, quand elle revient au temps de son enfance dans la ferme familiale, près d’un petit bourg des Côtes d’Armor.
Elle a des parents paysans, bretonnants et bilingues, et deux grand-mères qui restent détentrices d’un répertoire de chansons traditionnelles que la fillette de treize ans s’est employée patiemment à collecter pour affirmer et affiner son art du chant.
Auparavant, elle aura appris la langue bretonne ; c’est un changement de langue dont elle fait le choix pour être au plus près des siens qui formulent en breton ce qu’ils ne disent pas en français, des sensations, des impressions, une vision forte du monde faite d’histoires, de contes et de légendes qu’il faut préserver de l’oubli.
Les grand-mères, Yvonne et Marie-Alexine, sont pour leur petite-fille, des passeuses de mémoire, des prêtresses pour qui les chansons oubliées deviennent des soupirs. La chanteuse et narratrice évoque un éblouissement initiatique quand, en interprétant le kan ha diskan avec un compère lors d’un fest-noz, elle décida de faire de cette forme de chant traditionnel breton , un véritable mode d’expression artistique. Traduisant ainsi les émotions et les sentiments intimes, et grâce à la voix et au corps, la chanteuse accomplit ici les pas de la gavotte et ceux de la danse plinn.
Qu’il soit de travail ou d’amour, le chant poétise la vie sociale jusqu’à la fracture historique de la seconde guerre mondiale et l’ère de la modernité avec la Reconstruction qui brisa en Bretagne la transmission orale. Annie Ebrel convoque sur la scène des images fondatrices de son identité : le temps des betteraves à biner durant lequel les saisonniers chantent, l’époque où la fillette aide à la délivrance des truies qui mettent bas dans la paille, la route en voiture d’un retour nocturne de Lorient où Annie lit sur la pochette de disque les paroles des chansons de Yann-Fanch Kemener, un maître chanteur qu’elle admire.
Sur le plateau et dans l’ombre, la chanteuse est séparée du public par un écran translucide d’où l’on devine la chorégraphie de ses mouvements et de ses pauses. Parfois, affleurent des images vidéo avec des paysages de bois et de feuilles, de frais ruisseaux et de pieds démultipliés qui tapent le plancher de leur danse.
Ce Chant des soupirs déroule à merveille les plaintes lyriques existentielles, les cris sourds de l’âme, cette expression poétique de la mélancolie et du regret, comme de la joie d’être au monde, pleine de promesses, de désirs et d’espoirs. Partant de ses racines, Annie Ebrel a ouvert sa voix et sa voie aux sonorités des ailleurs universels.
Véronique Hotte
Théâtre des Abbesses, Musiques du monde, le 6 juin.