Festival de Sibui 2014
Festival de Sibui
Située au cœur des Carpates roumaines, Sibiu, avec son architecture typique, a les allures d’une coquette petite ville germanique. Elle accueille depuis vingt ans, un important festival international de théâtre orchestré par Constantin Chiriac avec son équipe du Théâtre national Radu Stanca, assistée d’une kyrielle de bénévoles.
Cette vingt-et-unième édition propose, du 6 au 15 juin, une copieuse programmation de théâtre, danse, concerts, animations de rue, lectures et conférences dont la diversité et le cosmopolitisme représentent les grandes tendances des scènes européennes, voire mondiales, avec des troupes de Corée, du Japon, et des Etats-Unis, mais pas d’Afrique ! Dont des spectacles déjà pas mal joués comme Cabale et Amour mis en scène par Lev Dodine, Orchidées de Pippo Delbono, Seuls de Wajdi Mouawad ou Ping Pang Xui d’Angelica Liddell, (voir Le Théâtre du Blog). Mais il y a aussi nombre de spectacles inédits…
6 juin
En ouverture, avec Seuls, Wajdi Mouawad opère donc, seul en scène un émouvant retour aux sources en images et en couleurs ; un long rêve éveillé l’entraîne lui et son double libanais, des longs hivers québécois au pays des figuiers sauvages, le Liban de son enfance, via le théâtre, la peinture et sa langue natale.
Un univers onirique mais plus tumultueux: cette adaptation monumentale du Faust de Goethe par Silviu Purcārete, dans un grand hangar permet de déployer une impressionnante machinerie. Et plus de cent choristes, et figurants accompagnent les principaux protagonistes : un Faust décati, interprété par l’imposant Ilie Gheorghe, et une excellente actrice, Ofelia Popii qui incarne un Méphistophélès androgyne. Marguerite, elle, est jouée par un chœur de fillettes dont l’une d’elles subira les outrages de ces gredins.
Dès le début, des images-choc : Faust, vieux barbon pontifiant, donne une leçon à une « classe morte » d’élèves fantomatiques dans une salle encombrée de grimoires poussiéreux et de papiers froissés ; le démon, lui, attend son heure, juché sur une armoire. Le vieux professeur se lamente longuement sur son sort dans la belle traduction versifiée du grand poète roumain Stefan Augustin Doina. Et des hurlements de loups et des croassements de corbeaux annoncent l’apparition du diable.
Arrive alors un grand chien noir auquel se substituera l’actrice. Le pacte signé, le vieux docteur se retrouve grimé en jeune vieillard libidineux et assouvit ses désirs en compagnie de son serviteur satanique et au dehors, les flammes de l’enfer font rage. Le mur du fond de scène s’ouvre et les spectateurs sont conduits par des démons aux masques porcins dans la nuit de Walpurgis sur une musique lancinante. Ils assistent à un sabbat de cracheurs de feu, de sorcières sanguinolentes à cheval sur des cochons grandeur nature en latex,ou de petits marquis en costumes XVIII ème à califourchon sur des rhinocéros.
Les images prolifèrent dans ce spectacle qui tourne en Europe depuis huit ans mais encore jamais présenté en France. Le baroque un rien superfétatoire n’aurait-il plus cours chez nous? L’ex-directeur du Centre dramatique de Limoges présente aussi deux autres spectacles à Sibiu: Oedipe en première mondiale, et Le Voyage de Gulliver dont nous vous reparlerons.
Et un feu d’artifice tiré de la grand-place, devant la Mairie, très impliquée dans cet ambitieux projet culturel, marquait le coup d’envoi des festivités.
7 juin
Autre adaptation beaucoup plus iconoclaste d’un classique, un Avare d’après Molière, réécrit à la sauce d’aujourd’hui par l’autrichien Peter Licht, et joué avec une rigueur toute germanique par cinq comédiens, sous la direction ingénieuse et limpide du metteur en scène viennois Bastien Kraft. De l’intrigue initiale, reste le squelette et l’action se situe dans une famille où toute dépense inutile est exclue, jusqu’au gaspillage de sa propre énergie.
Cette avarice est figurée par l’étroitesse de la boîte à jouer où évoluent les personnages, une sorte de placard dressé à l’avant du plateau et où les acteurs ont du mal à se mouvoir. Sous des lumières parfois éblouissantes et changeantes. Malgré ces qualités, un jeu trop démonstratif alourdit le comique du texte et le cocasse des situations.
Le théâtre documentaire est au goût du jour chez les jeunes dramaturges roumains. Ainsi Gianina Carbunariu présente deux spectacles, qu’elle a écrits et mis en scène. Typographie majuscule est tiré du dossier nº 738 des archives de la Securitate, concernant Mugur Calinescu, un lycéen de 17 ans arrêté en septembre 1981 et sévèrement maltraité et rééduqué pour avoir écrit des slogans sur les murs de sa ville, où il revendiquait justice et liberté. Gianina Carbunariu a reconstitué l’affaire grâce à ces rapports de police.
Le procès de l’élève devient celui de la Roumanie des années noires sous la dictature de Ceaucescu. Le texte, pris en charge par les comédiens qui jouent policiers, parents, enseignants, lycéens…, est un montage des interrogatoires de Mugur et de son entourage et met en lumière le courage du jeune garçon seul contre tous et qui finit par craquer (il mourra de leucémie deux ans plus tard). La pièce prend très vite des allures de cauchemar, grâce à une bande-son sursaturée, des éclairages agressifs et le jeu rageur des comédiens.
8 juin
Dans Solitaritate, sa seconde création, Gianina Carbunariu a impliqué le public avec un prologue où les comédiens se disputent les rangées de la salle, marquant ainsi leur territoire et traçant la ligne de démarcation dont il sera question dans la première séquence du spectacle.
Le titre: un jeu de mots dénonce justement le manque de solidarité et l’égoïsme qui régnaient dans la Roumanie ultralibérale, le chômage et les murs que l’on construit pour se protéger des Roms… En cinq sketches, d’une écriture inégale, l’autrice/metteur en scène épingle nos sociétés européennes qui broient les individus.
De cette comédie grinçante, on retiendra surtout une parodie des funérailles d’une actrice dont le pays s’enorgueillit (on pense à Elvire Popesco…) Les acteurs, tous excellents, la mise et la scénographie très précises rendent ce spectacle très convaincant et on pourra l’apprécier au festival d’Avignon (soyons optimistes!) du 19 au 27 juillet.
Dans les rues de Sibiu, la fête continue en ce chaud dimanche de Pentecôte avec des danseurs-jongleurs et des fanfares. Les habitants de la ville ne sont pas tenus à l’écart de cet événement et sont nombreux dans les théâtres.
10 juin
Macbeth de Shakespeare, adapté et mise en scène par Mansai Nomura, marie avec grâce le théâtre traditionnel japonais avec la dramaturgie shakespearienne. Ici les trois sorcières tissent le fil de la tragédie et tiennent tous les rôles hormis celui de Macbeth et de sa lady. Cette version d’une sobre beauté avec ses toiles peintes poétiques, une décor léger transformable à vue, valorise le caractère onirique de l’œuvre. Une heure et demi de bonheur théâtral à ne pas manquer à la Maison du Japon de Paris les 13 et 14 juin prochain.
À suivre…
Mireille Davidovici