Oh les beaux jours

 Glückliche Tage (Oh!les beaux jours) de Samuel Beckett, traduction d’Erika et Elmar Tophoven, mise en scène  de Stéphane Braunschweig.

 

 

  04-08GT259 Cette version en allemand de Oh! les beaux jours  d’ Erika et Elma Tophoven, écrite en collaboration avec Samuel Beckett en 1961, avant que la traduction ne soit retravaillée  par  l’auteur qui la mettra en scène lui-même au Schiller Theater de Berlin,  dix ans plus tard.
Beckett montera ensuite Happy Days, version initiale de la pièce écrite d’abord  en anglais,   en 1979 à Londres. L’œuvre s’est ensuite imposée en Europe, et le directeur du Théâtre National de la Colline qui a créé en avril dernier le spectacle  en allemand au Schauspielhaus de Düsseldorf, a confié  le rôle de Winnie à la belle comédienne Claudia Hübbecker.
« Fut-il un temps, Willie, où je pouvais séduire ? (Un temps.). Fut-il jamais un temps où je pouvais séduire (Un temps.) Ne te méprends pas sur ma question, Willie, je ne te demande pas si tu as été séduit, là-dessus nous sommes fixés, je te demande si, à ton avis,  je pouvais séduire – à un moment donné… »La musique beckettienne  s’impose en majesté, à l’aune des tragédies collectives du XXème siècle, à la fois incertaine et amusée, péremptoire et laconique, douloureuse et ironique.
Mais ce bavardage déclamatoire qui pourrait paraître futile mais qui ne fait que tendre plus serrés les fils que tient ensemble l’existence, faite d’habitudes et de menus gestes: extraire du fouillis d’un sac à main, des trésors quotidiens et dérisoires: brosse à dent, miroir et… revolver.
Entre l’éloquence des silences et les blancs de la partition, s’insinue le monologue de la parole salutaire de Winnie  clame son désir irréfragable de survie, et l’urgence virulente d’une rédemption laïque. Cette lumineuse Willie est frôlée de temps à autre et de loin en loin, par Willie, son compère masculin, mutique et rampant (Rainer Galke), admirablement présent et vivant, que l’on voit de dos, torse nu, ou en costume  de ville.
Les êtres semblent perdus dans un monde dévasté (la nature est calcinée, reste improbable de catastrophe nucléaire?)  et ne communiquent guère, si ce n‘est avec eux-mêmes, dans le mouvement exaspéré et vain d’un miroir que l’on se tend. La difficulté d’être au monde passe d’abord par l’épreuve du corps, ressenti comme passif et incontrôlable, tributaire de l’environnement extérieur comme intérieur. Un poids, un handicap, une ancre dure et terrienne qui interdit toute évasion.
Entre la vie et la mort, un cœur qui bat ou bien qui s’arrête, Winnie est incapable de bouger, enterrée jusqu’à la taille au premier acte, puis jusqu’au cou dans le second. Cette figure féminine beckettienne, à l’ombrelle levée d’un bras gracieux, ne cesse de soliloquer, ou de parler parfois à son Willie. Humour noir, dérision, cette survie est certes une catastrophe mais vaut plus que tous les néants du monde : l’actrice joue du comique comme de l’émotion vraie.
La scénographie insolite de Braunschweig est généreuse de clarté: elle ouvre à la lumière des espaces et des horizons, à travers les structures métalliques esquissées sur le plateau.  Avec  des corolles de fleurs renversées, des ossatures bombées d’amples vallons, rappels d’une nature vivante, à moins qu’il ne s’agisse des paniers somptueux de robes à la française. La maison design de coccinelle colorée où Winnie est enlisée, est recouverte d’une matière de couleur bleu de synthèse  proche de celle des logiciels informatiques.
La dentelle brute et nue de ces jupons de fils métalliques entrecroisés peuvent signifier les routes numériques et virtuelles des réseaux de notre temps, occasions infinies, réelles et fictives de libération et d’enfermement, diffusées depuis les lueurs illusoires des écrans bleus de nos rêves, dont l’un, au-dessus de la mer de rondeurs métalliques,  permet de voir au plus près le visage de  Winnie,  dans une remarquable mise en abyme.
Vivre vaut mieux que tout : la condition humaine est capable de retournements inattendus. Adaptable à l’infini, elle joue de l’art des illusions que l’on aime s’accorder, loin des blessures du désespoir,  et à l’ombre libératoire des mots.

 Véronique Hotte

 Théâtre de la Colline, du 10 au 14 juin à 20h30. Tél : 01 44 62 52 52.


Archive pour 12 juin, 2014

Festival de Sibiu (suite)

Festival de Sibiu (suite)

9 juin

Dreaming Romania , mise en scène par Radu Horghidan et Mihai Pintilei.

Cela commence par une manif et se poursuit par une parodie des émissions de télé-réalité où on demande aux spectateurs de jouer le rôle du public invité… Entreprise sympathique qui permet à un collectif de jeunes comédiens d’explorer de nouvelles formes dramatiques en vogue, comme ici le théâtre documentaire,voire l’agit-prop, et de montrer leur savoir-faire. L’école d’art dramatique de Sibiu est l’une des plus réputées de Roumanie et ces acteurs se révèlent excellents, même si le spectacle souffre d’un manque d’écriture et de rigueur dramaturgique.

10 juin

cie-umbral-franta-002Le Cabaret des mots de Matei Visniec, mise en scène de Maud Dhénin, figure parmi les quelques spectacles français invités cette année, avec L’Éloge du tabac de Tchekov mis en scène par Denis Podalydès, et interprété par Michel Robin, et Pierre et Mohamedd’Adrien Candiard, mis en scène par le percussionniste Francesco Agnello, en hommage à l’évêque Pierre Claverie, assassiné avec son jeune chauffeur, Mohamed Bouchikhi, à Oran, le 1er Août 1996.
L’auteur franco-roumain Matei Visniec, lui, est un habitué du festival de Sibiu, tout comme Alexandra Badea, originaire de Bucarest, dont
Pulvérisés (grand prix de littérature dramatique 2013), traduite et publiée en roumain pour l’occasion, fait l’objet d’une lecture. Ce sont des clowns qui se sont emparé des mots du « cabaret » de Visniec et qui leur donnent vie.
À commencer par Prologue, sortant tout fier de l’un des cadres où dorment ses collègues pour ouvrir poliment le bal par un bonjour retentissant. Ce texte facétieux stigmatise gentiment la langue de bois des politiciens, les faux amis et l’ostracisme, et met en boîte les mots doux, et les gros mots ; les clowns se font ici porteurs d’humour plus que de grotesque.
Les cadres dorés accrochés en fond de scène, où sont confinés les acteurs-mots, et où ils reviennent après chacune de leurs prises de parole, donnent une certaine rigidité à la mise en scène, et cela empêche les comédiens de trouver un rapport ludique avec le public, au point que le spectacle manque parfois sa cible. Mais l’excellente et persifleuse petite Zoé est là pour relancer le rire.

Le Chemin de Damas, d’après August Strindberg, mise en scène de Jan Klata.

to-damascus-polonia-003Fasciné par les contes de fées, les fables, et versé dans les sciences occultes, Strindberg abandonne le réalisme de ses premières œuvres et brouille les frontières entre rêve et réalité. Cette trilogie sous-titrée Jeu de rêves, offre tant d’interprétations possibles qu’elle donne toute liberté aux metteurs en scène d’ extraire et de combiner les différentes stations de ce périple.
Aussi, pour le jeune Polonais Jan Klata dont on a pu découvrir l’esthétique rock, au Festival d’automne 2009 avec
Transfer, le chemin de croix de l’homme appelé L’Inconnu et rebaptisé ici Idole, devient le parcours chaotique d’une star de la pop, en quête d’absolu, à la recherche de sa vérité artistique, de son identité profonde, plus que d’une conversion ou d’une transfiguration, telle que l´entendait Strindberg.
Insatisfait atavique, blessé de la vie, brutal et intransigeant envers lui-même et les autres,  cet anti-héros, interprété par le ténébreux Marcin Czarnik, entreprend un long  chemin pour apprendre qui il est. Il sait seulement qu’il court à sa perte, comme l’indique le squelette exposé dans un cercueil de verre. Rythmé par des morceaux pop, rock, et méta
l, son calvaire cauchemardesque n’a rien de métaphysique.
Les acteurs ont un jeu nerveux, dépouillé de tout pathos, et se déploient dans un ossuaire gigantesque, aux murs de crânes amoncelés où se découpent portes, fenêtres et balcons. La Dame/Eve (resplendissante Justina Wasilewska), rencontrée par Idole au coin de la rue, est la figure féminine qui l’accompagnera par intermittence dans un monde où tout est éphémère, irréel et fluctuant.
Elle concentre toutes les figures d´amoureuses de la pièce. Lui-même, et c’est tout son tragique, n’existe qu’à travers les personnages fantastiques qu’il croise, comme le Mendiant, les deux sœurs chanteuses, porteuses d’un plateau de têtes coupées aux longs cheveux, ou encore le Médecin et sa sœur, jumeaux infernaux dont les costumes se fondent dans le décor.
Dans cette impermanence toute contemporaine, le metteur en scène fait du couple Idole/Eve (La Dame, Ingeborg) le duo central du
Chemin de Damas. Car l’amour , lui aussi, est changeant : « Ce qui est le plus doux mais aussi le plus amer »,  dit Strindberg. Mais intrinsèquement, Idole reste et meurt seul, face à ses démons, ses fantômes et ses doutes : « Je ne sais, dit-il, si c’est un autre, ou bien si c’est moi-même dont je sens la présence. Des projections renforcent l’image flottante, sans cadre ni contenu, du protagoniste et de ces êtres étranges, fous, assassins, loups-garous, et comme lui, sans consistance, qui surgissent alors sur son chemin.
Malgré une lecture originale et assez juste de la pièce, malgré aussi une esthétique cohérente, et d’excellents comédiens, la mise en scène reste superficielle. Jan Klata impose en effet à ses interprètes un jeu sans intériorité et des gesticulations parfois hystériques. On passe de l’autre côté du miroir mais… souvent loin de ce
Chemin de Damas.

Mireille Davidovici

L’Homme au crâne rasé

L’Homme au crâne rasé, d’après Les Pensées de Johan Daisne, spectacle de Natali Broods et Peter Van den Eede.

 

homme-au-crane-rase-615_koen-broosLes présentations: Johan Daisne, écrivain flamand (1912-1978) a écrit neuf romans dont Les Pensées, et quelques soixante-dix nouvelles, quatre pièces de théâtre, et  plusieurs recueils de poèmes mais est resté fort peu connu en France.
Il avait inventé ce qu’il appelle le réalisme magique, soit, si on a bien compris, un savoureux mélange d’hyperréalisme et de spiritualité onirique.
Et la compagnie de Koe dirigée par Peter Van den Eede qui a souvent collaboré avec le TGstan, sortis tous les deux du Conservatoire d’Anvers en 89 et que l’on a pu voir quelques années plus tard au Théâtre de la Bastille et, à chaque fois, très applaudie.
Bref, ces Belges flamands ont encore frappé et fort ; ils ont une aptitude des plus rares à faire œuvre de déconstruction savamment mise au point, sur fond de brechtisme avec des personnages qui ne le sont pas toujours, en rupture de scène et d’illusion, encore que les choses soient plus compliquées. Et avec un humour singulièrement décapant.
Pas vraiment de metteur en scène mais une solide mise en scène, ce qui chez eux n’est pas un paradoxe mais un usage des plus iconoclastes de pièces de Tchekov, Ibsen mais aussi de Thomas Bernhard qui servent parfois de prétexte. Et cela fonctionne très bien  la plupart du temps.
On retrouve ces principes de base chez Peter Van den Eede qui a été séduit, c’est évident, par l’écriture de Johan Daisne. Sur scène, pas grand-chose sinon une quinzaine de tables carrées de restaurant sagement alignées et nappées d’un blanc immaculé. On discerne dans la pénombre, un couple assis dans le fond. Cela fait penser bien sûr à une toile de René Magritte.
L’homme et la femme, lui, la cinquantaine, en smoking et elle, un peu plus jeune, en robe longue. On arrive à comprendre d’après leurs bribes de conversation qu’ils se sont connus il y a longtemps et qu’ils se retrouvent une fois encore mais bien plus tard pour une histoire d’amour pas vraiment finie dans un restaurant.
Mais on ne sait jamais ici où est la part de narration et de réalité, de vérité et de mensonge. Lui parle beaucoup, sans doute plus qu’elle, et souvent de façon des plus maladroites, en lui racontant par exemple sa visite dans une salle de dissection. Il déraille alors complètement, tout en restant très juste et très vrai. Et elle, casse parfois le jeu amoureux en interpellant le public à qui elle demande une pastille de menthe, ou de la monnaie sur un billet de cinq euros.
Dans un jeu très subtil entre la réalité et, comme le dit Peter Van den Eede, « l’illusion démasquée où se niche l’authentique.  « Penser, dit il aussi c’est se distancier des choses et de soi-même pour tenter d’avoir une meilleure vue sur la supposée réalité « .
C’est un spectacle, disons très philosophique si le mot n’est pas trop effrayant quand on veut rendre compte d’un spectacle, puisqu’il parle aussi de l’art, et de la représentation: les discussions sur la peinture entre elle, remarquable experte en la matière, et lui, mal à l’aise, se raccrochant aux branches et d’une parfaite mauvaise foi, sont de véritables petits bijoux.
Il est aussi, bien entendu, question du temps inscrit dans leur relation bizarre, un temps qui les renvoie sans cesse au passé, tout en étant ancré dans un présent qui tangue sans arrêt, où les choses sont comme en apesanteur dans la vie de ce couple qui n’en sera peut-être jamais vraiment un. Proust disait cruellement que c’est avec des adolescents qui durent un assez grand nombre d’années que la vie fait ses vieillards.
Mais cette déconstruction permanente du jeu théâtral qui pourrait être sinistre est traversée par un solide humour, encore renforcé par une pointe d’accent belge. Sans doute, le spectacle a-t-il de temps à autre quelques baisses de régime et aurait gagné à être un peu plus court d’une vingtaine de minutes. Mais quelle maîtrise du plateau, quelle qualité de jeu, aussi bien oral que gestuel!
Cet Homme au crâne rasé est un vrai bonheur théâtral, et pour une fois, le public est majoritairement jeune. Que demander d’autre en ces temps troublés?

 Philippe du Vignal

 Théâtre de la Bastille jusqu’au 17 juin. T: 01- 43-57-42-14

 

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