Comme possible
Adolescence et territoire(s) :
Comme possible, mise en scène de Didier Ruiz
Quatorze adolescents de Clichy, Saint-Ouen et Paris 17ième, issus pour la plupart de ce qu’on appelle la diversité, se sont lancés l’an dernier sur un plateau de théâtre – les Ateliers Berthier-Odéon-Théâtre de l’Europe. C’est Didier Ruiz qui les y avait dirigés, en sachant être au plus près de leur présence.
Ils reviennent en 2014 sur ce même plateau, plus graves peut-être, car plus mûrs.
Ce sont ces mêmes jeunes existences en herbe, incertaines et fragiles, boutons de printemps confrontés déjà et sans être jamais abîmés, aux violences quotidiennes d’une société où les dits Français et Blancs restent sourdement dominateurs moraux…
Ces jeunes gens, même s’ils ressentent la brutalité cassante et humiliante des rapports sociaux, n’en restent évidemment pas à ce constat réducteur, heureusement mis à mal par une société nouvelle qui s’ouvre et s’enrichit de toutes les différences. Le brassage des populations est irréversible : c’est un beau combat contre la sclérose sociale, l’incapacité d’un pays ou d’une population à évoluer et à s’adapter aux situations nouvelles par manque de dynamisme, repliement sur soi, vieillissement, et peur de l’autre.
Tous, filles ou garçons, petits ou grands, minces ou ronds, égrènent leurs origines diverses, algériennes, marocaines, tunisiennes, maliennes, comoriennes. Mais très peu disent qu’ils sont français, par respect peut-être pour leurs origines et dans le refus symbolique de trahir leurs parents; l’un d’eux choisit même de se dire seulement Africain… sans même évoquer son pays.
Ils sont tous là, conscients de leur corps et de leur être, face au public qu’ils regardent à la fois avec timidité et assurance, assis sagement sur une rangée de chaises, puis se levant à tour de rôle, ou se lançant chacun ou collectivement, sur une musique, dans une danse effrénée qui libère leur énergie. Et ce temps de mobilité du corps est plein de grâce.
Un jeune évoque son engagement politique pour, dit-il, améliorer les relations humaines. Et on entend les aveux intimes de certains et qui leur font mal, tant ils exigent d’efforts sur soi. Ils auraient sans doute pu ne pas être offerts à un public. Cela mis à part, grâce à Didier Ruiz, le travail de ces jeunes qui ont peu de temps derrière eux mais beaucoup devant eux est attachant: « ils ont des centaines d’années comme tout le monde », écrivait Marguerite Duras.
Ils nous ressemblent tous… à moins que ce ne soit nous qui leur ressemblions.
Véronique Hotte
Ateliers Berthier – Odéon-théâtre de l’Europe, le 14 juin.