Le Rêve d’un homme ridicule

 Adolescence et territoire(s) :

Le Rêve d’un homme ridicule, de Fiodor Dostoïevski, traduction d’André Markowicz, mise en scène de Jean Bellorini.

_DSC2808_p1« Je suis un homme ridicule. Maintenant, ils disent que je suis fou. Ce serait une promotion, s’ils ne me trouvaient pas toujours aussi ridicule. Mais maintenant je ne me fâche plus, maintenant, je les aime tous, et même quand ils se moquent de moi –c’est surtout là, peut-être, que je les aime le plus. »
Incompris, idéaliste, pressé de refaire le monde, le narrateur-personnage du
Rêve d’un homme ridicule se destine à une mort choisie, quand la rencontre fortuite avec une petite fille chagrinée le détourne de son projet macabre.

Revenu chez lui, cet insomniaque tombe, étrangement, dans un profond sommeil, et un voyage onirique le conduit vers un monde alternatif et utopique, une planète imaginaire où règne le bonheur et la bonté d’âme, Éden bientôt corrompu…Il se réveille, fort de la conviction qu’on peut lutter contre le Mal, que le Paradis est accessible, ici et maintenant. Ce constat transcende tous les ridicules, même si l’homme en question provoque encore le rire et les moqueries, qui font de lui une éternelle victime expiatoire.
Jean Bellorini a eu l’intuition que ce fou, issu du
Rêve d’un homme ridicule (1877), aimait à se distinguer : « Je me moquerais bien avec eux, pas de moi-même, non, mais en les aimant, si je n’étais pas si triste quand je les vois. Si triste, parce qu’ils ne connaissent pas la vérité, et, moi, je connais la vérité ! Mais, ça, ils ne le comprendront pas », dit-il.
Et ce rêveur, qui regarde le monde depuis des hauteurs toutes relatives, correspond parfaitement à chacun des vingt-et-unjeunes comédiens amateurs d’Asnières, Clichy, Paris, Saint-Denis, Saint-Ouen, que le nouveau directeur du Théâtre Gérard Philipe de Saint-Denis a mis en scène.
Qui est ce fou? L’acteur qui raconte son aventure ? Ou simplement le metteur en scène, ou bien le spectateur? Ces jeunes gens, qui sont en train de passer de l’enfance à l’âge adulte, diffusent la flamme d’une parole critique avec une voix claire, aisée et agile. Ils dessinent romantiquement les mouvements d’une danse ample et gracieuse où ils s’échangent rôles et personnages, s’enfonçant dans un fauteuil, allongés sur un lit d’hôpital ou s’imposant au monde sur un trône élevé en majesté.
Nuit obscure, lampes jaunes et tremblantes qui descendent à vue des cintres, telles des étoiles filantes sur le noir du firmament, la vie qui va et vient capte les regards. Bellorini sait organiser des mouvements de foule, et la belle assemblée des acteurs forme un chœur habillé de couleurs acidulées. Ces jeunes gens insufflent du goût, de la vigueur et de la fraîcheur à leurs paroles. Ils ont conviction et foi en la vie.
Quand la lumière s’attarde sur l’un d’eux, son visage rayonnant donne à la scène toute la promesse du jeu qui l’habite, frêle et solide à la fois. On les sent pressés d’en découdre avec un monde qu’ils pressentent tyrannique et passionnant; ils attendent l’existence, instinctivement instruits des vagues de vie qui déferlent sur leur être en devenir.

Véronique Hotte

Ateliers Berthier, Odéon-Théâtre de l’Europe, le 14 juin.


Archive pour 17 juin, 2014

Le Vice-Consul

photo de répétition

photo de répétition

 Le Vice-Consul, texte-théâtre-film, atelier-spectacle du groupe 41 de l’Ecole du Théâtre National de Strasbourg ,dirigé par Eric Vigner.

 

  Eric Vigner avait rencontré Marguerite Duras en 1993 à l’issue d’un atelier-spectacle, à partir de La Pluie d’été, qu’il avait réalisé avec les élèves du Conservatoire National. L’œuvre de l’écrivain depuis lors n’a cessé de l’accompagner : « Duras m’a donné le vocabulaire et les fondamentaux du théâtre que je désire faire : faire entendre au théâtre quelque chose de la littérature. »
Et en cette année centenaire de la naissance de l’écrivaine, c’est à nouveau dans le cadre d’un atelier avec des élèves/acteurs sortants qu’il poursuit l’exploration de son œuvre, avec Le Vice-Consul, cette fois du côté de l’Inde, .
Ce roman fait partie du cycle indien de Duras, avec La Femme du Gange, India Song et Son Nom de Venise dans Calcutta désert. »
Durant deux heures, ces jeunes acteurs nous emmènent avec fougue et sensibilité,vers une écoute dramatique et poétique du Vice-Consul. Scénographie, costumes, montage des textes sont travaillés avec esprit, et avec  humour ou/et  romantisme.

Les déclarations, les fragments de conversation de l’auteur, les moments musicaux, choisis avec perspicacité se logent, tout en souplesse et théâtralité dans cette mise en scène, et renforcent la tension dramatique et la violence sobre, comme retenue, magnifique de cette écriture poétique et politique. Cette tension mystérieuse, unique et érotique dans sa musicalité, à travers ses silences et dans son phrasé, vient, et avant tout, de la langue de Duras, si particulière, dont les élèves s’emparent joyeusement sous la direction exigeante et complice de leur metteur en scène.
Nous sommes, dès le début, et pendant la plus longue partie du spectacle, comme traversés par cette écriture singulière, parfois étrange et énigmatique dans sa forme. En effet, il s’agit là d’un roman et, se lancer avec une telle œuvre est pour ces élèves/acteurs un véritable défi, qu’ils relèvent facilement! Bravo…Accompagnés par l’intelligence poétique d’Eric Vigner qui est metteur en scène  mais aussi un artiste/explorateur de la littérature, et un musicien de l’écriture.
Allez entendre et voir Le Vice-consul. C’est à Aubervilliers mais vous partirez en voyage, loin, très loin, et avec Duras.

Elisabeth Naud

Théâtre de la Commune-CDN d’Auberviliers. T: 01 48 33 16 16 jusqu’au 19 juin

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