Ni Dieu ni diable
Ni Dieu ni diable, texte d’Augustin Billetdoux, d’après Les deux Etendards de Lucien Rebatet, mis en scène de Julie Duquenoÿ et Augustin Billetdoux.
Rebatet (1903-1972) fut élève du collège catholique Sainte-Marie à Saint-Chamond (Loire), on s’en serait douté! et après un début d’études de droit et de lettres, entra comme critique musical au journal monarchiste L’Action française en 1929, puis devient journaliste à Je suis partout et écrit des articles foncièrement nationalistes. Il s’enthousiasme pour le nauséeux pamphlet antisémite de Céline Bagatelles pour un massacre et devient vite lui aussi un antisémite convaincu. Mais aussi anticommuniste, antidémocrate, anticlérical, et n’hésitera pas ensuite à se proclamer fasciste…
Il fera aussi l’apologie de la Collaboration avec les Allemands, et collaborera au journal Le Cri du peuple de Jacques Doriot et publiera en 1942, un pamphlet Les Décombres contre les juifs,le régime de Vichy, les politiques et l’armée, déclarés collectivement comme responsables de la débâcle de 1940, avant de s’enfuir en Allemagne avec Céline et d’autres sympathisants du même tonneau.
Condamné à mort en 47, mais gracié par Vincent Auriol, et détenu à Clairvaux, il écrira un roman Les deux étendards, publié en 52 par Gallimard, puis d’autres romans et redeviendra journaliste dans des journaux d’extrême droite. Mais anti-gaulliste, il soutiendra en 65… le candidat François Mitterrand, et défendra en 67…les valeurs sionistes parce que nationalistes et patriotiques. Comprenne qui pourra à ce personnage sulfureux!
Son roman Les Deux Etendards – un millier de pages! où on peut sentir l’influence des écrits spirituels de Saint-Ignace, est un peu un Jules et Jim catholique. C’est une histoire d’un amour à trois mais non consommé, avec force évocations métaphysico-théologico-sexuelles, et parfois au langage des plus crus. Il y a ainsi deux très jeunes gens, Régis et Michel, amoureux d’Anne-Marie qui veut entrer au couvent. Ira, ira pas? Je t’aime mais mieux vaut se séparer, notre amour peut exister sans être consommé, etc… Réussirons-nous à sauver notre amitié? Bla, bla,bla,etc… Tous aux abris!
Cela dit, ce roman touffu et volontiers bavard, bénéficie cependant d’une solide écriture. Lucien Rebatet emmène ses lecteurs dans des scènes parfois très sensuelles, voire torrides mais où Rebatet semble vouloir entamer une longue plaidoirie pour un renoncement au plaisir sexuel et pour un amour des plus chastes, sur fond de mysticisme catholique, considéré comme une valeur morale des plus sûres, et à contre-courant de notre époque actuelle. Tous aux abris!
Augustin Billetdoux, petit-fils du dramaturge François, et fils de la romancière Raphaëlle Billetdoux, avait publié il y a deux ans Le Messie du peuple chauve, roman qui avait été très remarqué. Il a écrit une adaptation du roman de Rebatet et l’a mise en scène avec Julie Duquesnoÿ. Leur réalisation, comme la direction d’acteurs, est du genre précis et rigoureux, et les jeunes comédiens (Lou de Laâge, Clément Séjourné, Damien Zanoly, Mathieu Graham, Ariane Brousse et Pierre Vos, après un début un peu laborieux, sont tout à fait convaincants. La scénographie n’a pas grand sens (quelques tonneaux d’huile estampillés Total, des amas de feuilles de papier machine, six chaises en fer pour des récitants/acteurs, et trois pans de toile en fond de scène, mais, au moins, n’a rien de prétentieux.
Cela dit, on a bien du mal à voir les raisons qui ont poussé Augustin Billetdoux et Julie Duquesnoÿ à se lancer dans ce travail scénique sur un texte qui possède c’est vrai une certaine originalité de ton mais comme souvent beaucoup d’adaptations de romans, ce Ni Dieu ni diable, passé le premier quart d’heure, il distille un ennui pesant et irréversible. Et cela n’en finit pas de finir, et se termine subitement plus sans que l’on sache pourquoi.
Bref, il y a un grave problème de dramaturgie qui n’a pas été résolu, et cette suite de petites scènes aurait pu, à la grande rigueur, tenir la route soixante minutes, mais jamais quatre-vingt-dix. Cela dit, il y a de bons (mais trop rares) moments, bien joués et qui emportent l’adhésion du public mais le bavardage Rebatien est du genre insupportable, et on voit mal l’avenir de ce spectacle sur cette scène ou sur une autre.
Mais bon, cette opération du Théâtre 13 a le mérite d’exister et c’est un banc d’essai significatif ( voir Le Théâtre du Blog) et doté d’un prix de 6.000 € et d ‘un autre de 3.200 € de la SACD, pour une reprise du spectacle… Augustin Billetdoux n’a pas trente ans et ces jeunes comédiens ont le potentiel suffisant pour se lancer dans d’autres aventures théâtrales.
Faisons-leur confiance mais… avec autre chose que cette proposition artistique et la prose indigeste de M. Rebatet…
Philippe du Vignal
Théâtre 13 (Seine) T: 01 45 88 62 22, jusqu’au 21 juin à 19h 30