Fiodor Dostoïevski, le démon du jeu
Fiodor Dostoïevski, le démon du jeu, une adaptation de Virgile Tanase, d’après la correspondance de Fiodor Dostoïevski, mise en scène d’Isabelle Rattier.
Sur scène, deux châssis blancs, trois chaises et une petite table en bois… Une liasse de feuillets: des extraits de la correspondance que le célèbre écrivain russe (1821-1861), à partir des années 1860, entretint avec sa deuxième épouse Anna, ses amis dont Tourgueniev et la direction du journal qui publiait ses romans. Avec un leit-motiv obsédant: des demandes d’argent récurrentes pour rembourser des dettes de jeu ou récupérer la montre et/ou les vêtements qu’il avait mis en gage. Impossible pour lui, sous un prétexte ou sous un autre, d’échapper à la tentation de filer au casino, avec, soi-disant, la bonne intention de gagner de quoi se mettre à l’abri du besoin quelques semaines et ainsi de pouvoir continuer à écrire.
Mais en fait, comme tous les joueurs, fasciné par l’idée de perdre la somme importante qu’il venait de gagner, et la reperdant toujours., et aussitôt… Dostoïevski, enrage, se sent très coupable, et jure que c’est la dernière fois, avant de recommencer! Quitte à être lourdement endetté, menacé de prison et donc obligé de vivre dans des hôtels sordides, et de compter sur une aide hypothétique de proches souvent très loin de lui pour survivre et pouvoir continuer à écrire.
Ce qui frappe aussi dans ses lettres, c’est comme obéissant à une profonde nécessité intérieure, une quête permanente d’un ailleurs où il se sentirait mieux: Dresde, Baden-Baden, Florence, etc… les capitales européennes et Saint-Petersbourg qu’il est contraint de fuir pour échapper à ses créanciers. Tel était Dostoïevski, joueur impénitent et atteint de crises d’épilepsie mais recommençant parfois tout un roman au prix d’une incroyable énergie. Ce qui ne l’empêcha pas en effet en une dizaine d’années, d’écrire de grands livres, comme Crime et châtiment (1866), L’Idiot (1868), Les Possédés (1871), Les Frères Karamazov (1880) où les dialogues, dotés d’une force théâtrale évidente ont été souvent mis en scène .
Et sur un plateau, cela donne quoi? La mise en scène de correspondances de personnages célèbres ou de grands écrivains a toujours quelque chose d’un peu convenu et ce spectacle n’échappe pas à la règle. Patrick Chesnais, en complet gris foncé et chemise blanche, a la belle présence qu’on lui connaît depuis longtemps au théâtre comme au cinéma, mais ne semble curieusement pas très convaincu par ce qu’il lit, boulant souvent ses phrases, et surtout, erreur grave de direction d’acteurs, regardant très peu son public, ce qui crée une sorte de coupure désagréable entre salle et plateau.
Beata Nilska, qui interprète sa femme, elle au début, surtout récite son texte, ce qui n’arrange pas les choses, et semble jouer les faire-valoir. C’était une première en Avignon, peut-être difficile dans un contexte tendu d’énervement généralisé (comme chacun sait, la première hier soir du Prince de Hombourg a été annulée et la ville battue par la pluie ,avec de nombreuses affiches du off décollées et par terre, un peu vide, était vraiment triste). Mais bon, la trentaine de spectateurs qui était là pour voir Chesnais, a aussi droit au meilleur. Et on ressort de là, quelque peu déçu par ce spectacle de soixante minutes qui permet au moins de découvrir un autre Dostoïevski, souvent très proche de ses fameux personnages…
Philippe du Vignal
Théâtre actuel à19h 05, 80 rue Guillaume Puy Avignon. T: 04 90 82 04 02. Tarif :22€ et tarif off: 15€